Dans le "polar", il y a les irréductibles qui haïssent le thriller, synonyme de divertissement. Ils parcourent les territoires de fiction à la recherche d'un projet d'insoumission à l'ordre absurde et brutal qui nous gouverne. Mais si le "roman noir" a toujours son mot à dire pour contrer les illusions contemporaines, on l'a lui aussi enterré mille fois depuis son âge d'or à la mi-temps du siècle dernier. Et à côté de ces irréductibles, les amateurs de "suspense" ne se privent pas forcément d'un regard critique sur le monde. Comme le roman noir, le thriller a ses mauvaises périodes où les intrigues répétitives s'accumulent. N'est pas Patricia Highsmith qui veut. Du moins jusqu'à l'apparition d'A.J.Finn.
"La femme à la fenêtre" est un premier roman, concentré de toutes les vertus du genre et consécration déjà pour l'écrivain dont la Fox a acheté les droits. Dans un lotissement de Harlem, une femme, prisonnière de sa maison à cause d'une agoraphobie aigue, se réinvente sur la Toile et traque le voisinage avec son appareil photo.
Son mari et sa fille se sont éloignés d'elle sans qu'on sache vraiment pourquoi, elle abuse du vin rouge, et sa rencontre soudaine avec une femme provoque un drame aussi prévisible qu'impossible à qualifier. A.J.Finn revisite Hitchcock et les atmosphères oppressantes de Clouzot. Comme avec "Le journal d'Edith" de Highsmith, le lecteur accompagne la narratrice dans le naufrage des certitudes et de la raison. Paré pour le coup de poing final.
La femme à la fenêtre – A.J.Finn – Traduit de l'américain par Isabelle Maillet – Presses de la Cité – 520 pages – 21€ - ****
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche - 10 juin 2018Lire aussi dans Sud-Ouest