Gilles Vincent a déjà consacré plus de la moitié de son œuvre romanesque à la commissaire Aïcha Sadia, flic obstinée, indépendante mais fidèle à sa petite meute d'officiers à laquelle s'est rallié son compagnon, le détective privé Sébastien Touraine, un ancien des stups. Les séquelles de la colonisation dans "Djebel", les mauvais souvenirs de la guerre d'Espagne dans "Beso de la muerte", la pédophilie dans "Hyenae", et plus récemment le terrorisme avec "Trois heures avant l'aube", la série publiée par Jigal a permis à l'auteur de décliner les différentes facettes du roman noir français.
Dans "Ce pays qu'on assassine", l'auteur change d'enseigne éditoriale et propose une nouvelle scène de crime à Hénin-Beaumont où deux jeunes filles noires sont retrouvées violées et sauvagement assassinées. Comme une chambre d'écho à l'enquête marseillaise d'Aïcha Sadia sur l'exécution d'un Franco-syrien, directeur de campagne d'une candidate d'extrême-droite. La transparence du personnel politique emprunté au réel n'est pas le vrai sujet du livre qui interroge les conséquences de l'engagement, notamment à travers le portrait réussi d'une capitaine de police, Carole Vermeer.
Son passé en fait un personnage fragile, séduit par les programmes de ceux qui promettent de faire du neuf dans les régions dévastées par la crise. Son enquête aura la même valeur rédemptrice que celle menée par un supérieur hiérarchique un peu trop vite tenté de se débarrasser d'une affaire emblématique à la veille des attentats de Paris.
Au cœur d'un scénario millimétré, Aïcha Sadia et Carole Vermeer incarnent les deux versants d'une république déboussolée. Pas loin de "chez nous".
Ce pays qu'on assassine – Gilles Vincent – In8 – 386 pages – 19€ - ***
Lionel Germain – Sud-ouest-dimanche – 5 mars 2017