C'est donc le troisième roman de Julien Suaudeau, professeur aux États-Unis et pourtant si proche des peurs de la France contemporaine dont il a analysé les ferments dans "Dawa" avant de se projeter avec "Le Français" dans l'intimité d'un djihadiste "de souche". Un romantisme noir d'une vérité hallucinante.
"Ni le feu ni la foudre" n'explique rien, rôde autour de la menace avec cinq piétons chargés de leurs propres malheurs mais inconscients du drame national qu'ils vont symboliser. Cinq personnages lancés comme des billes de flipper dans le petit matin de novembre. Paris ce matin-là se redessine sur leur humeur maussade. Un roman choral dans lequel Julien Suaudeau excelle à faire entendre les désaccords intimes, les rendez-vous manqués.
Il y a Stella, treize ans et "froissée comme une vieille". Raphaël, son père, "fauché d'amour et d'argent", loser uberisé qui cultive une aversion affichée des Arabes. Raphaël est subordonné à Igor, un homme de 67 ans en pleine forme mais qui découvre brutalement que son mal de tête va l'expédier en soins palliatifs. De la même manière qu'il observe le naufrage de Raphaël, Igor prophétise sur celui de Paris: "une ville où seuls travaillent ceux qui ont pour fonction de servir ceux qui y vivent n'a pas d'avenir." Il y a encore Ariane, inquiète de son gros ventre où la vie s'impatiente, Pauline, enfin, échographe à la recherche de son frère disparu.
Julien Suaudeau ne nous raconte pas la fin parce que nous la connaissons déjà. Stella, Raphaël, Igor, Ariane et Pauline naviguent sans boussole apparente vers un concert programmé le soir. Nous sommes le 13 novembre 2015. Désorientés, singuliers et désormais condamnés à subir le feu et la foudre.
Ni le feu ni la foudre – Julien Suaudeau – Robert Laffont – 259 pages – 18€ - ***
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche - 18 septembre 2016