On éprouve un malaise légitime à évoquer les effets d'une terreur bien réelle, celle qui s'est invitée au cœur même de Paris, et son glissement dans l'enclos sécurisé d'une fiction. Depuis l'enfance, on partage le plaisir du conte où se dessinent les figures du mal dans la mélodie apaisante des mères. Le thriller n'est qu'un des avatars de ce frisson, davantage destiné à libérer nos peurs qu'à nous renvoyer au cauchemar éveillé du monde.
DOA, l'auteur de "Pukhtu", nous révélait dans un entretien récent le projet d'un scénario point par point identique à celui qu'on vient de vivre à Paris. Julien Suaudeau dans "Le Français" nous offre une description saisissante des mécanismes qui conduisent à la radicalisation d'une partie de la jeunesse.
En ouvrant avec "Les Fauves", la nouvelle collection des éditions Robert Laffont, Ingrid Desjours ignorait qu'on le lirait à la lumière si sale de nos chagrins, que les échos du Bataclan se mêleraient à la bande-son d'une histoire offerte aux insomniaques.
On y retrouve essentiellement deux personnages, Lars le vétéran d'Afghanistan et Haiko, une jeune femme menacée de mort pour son action visant à sauver les enfants tentés par DAESH. Lars est victime du syndrome post traumatique depuis son retour de guerre. C'est lui qui est chargé de protéger la jeune femme mais leurs secrets à l'un et à l'autre font le sel d'un roman âpre et utile pour comprendre les racines du mal.
"Le vieux monde se meurt. Le nouveau est lent à apparaître. Et c'est dans ce clair-obscur que surgissent les monstres." Ingrid Desjours a bien choisi sa citation d'Antonio Gramsci. Le problème, sans doute, c'est que le vieux monde n'en finit pas de mourir. Du coup les monstres s'organisent et leur drapeau noir annonce des nuits plus sombres encore que celles de Barcelone en 1936.
Les Fauves – Ingrid Desjours – La Bête Noire, Robert Laffont – 440 pages – 20,50€ - ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 22 novembre 2015