Pourquoi craindrait-on l'arrivée au pouvoir du parti nazi quand on est victime de l'hyperinflation de 1923, quand on préfère brûler les billets de banque plutôt que du charbon qui reviendrait plus cher? Comment assiste-t-on à la dilution de l'âme allemande dans les brumes "cosmopolites" de Berlin? Royaume des "Revues Nègres" soumis à la dépravation des cabarets de sodomites, la République de Weimar symbolise aux yeux d'une partie du peuple éreinté par la crise et les spoliations du Traité de Versailles la dernière marche vers l'anéantissement.
C'est donc un décor paré pour une remise en ordre définitive que nous propose David Thomas au départ de "Ostland". C'est aussi un éclairage indirect sur l'argumentaire des criminels. Georg Heuser, le héros tragique de ce roman est un personnage réel. Ses crimes, hélas, le sont tout autant. Dans les années soixante, les enquêteurs chargés de le ramener devant les tribunaux n'étaient pas très populaires. Quant à George Heuser, flic ambitieux et prudent, il n'avait pas de sympathie pour les nazis en 1941. Mais son accession au grade d'enquêteur l'incorpore de fait dans la SS et sa vie va changer.
De la police criminelle aux crimes de la police, toutes les étapes de la déchéance sont franchies à Minsk où se planifie la déportation des Juifs. Hanna, la jeune femme juive qu'il a sauvée au prix d'un viol, est la seule à pouvoir estimer que son bourreau est autant victime qu'elle de la violence qu'il leur a infligée.
Pendant la rédaction de ce roman-documentaire, un ami juif a tenté de remonter le moral de l'auteur inquiet de cette banalité du mal. Chacun de nous est-il capable du pire? "C'est de cette crainte" qu'il est question ici.
Ostland – David Thomas – Traduit de l'anglais par Brigitte Hébert – Presses de la Cité – 350 pages – 21€ - ***
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche – 29 novembre 2015