Si le roman policier obéit à des règles, la première et la plus importante consiste sans doute à les rendre invisibles. R.J. Ellory qu'on n'a jamais pu prendre en faute depuis "Seul le silence", nous offre une fugue en territoire hostile.
"Et ce lieu était Jasperville. Ce nom était en soi une ironie. J'espère-ville. Altéré petit à petit par des travailleurs immigrants non francophones. Désormais Jasperville de mémoire d'homme. Ville d'espoir, alors qu'il eut été difficile de trouver un lieu plus désespérant."
L'auteur britannique renonce pour une fois aux États-Unis pour nous balancer un courant d'air glacial en provenance du nord-est canadien. Une région minière que Jacques ou "Jack" Devereaux, personnage central de cette histoire, pensait avoir fuie pour toujours. Quand on l'appelle pour lui apprendre que son frère est soupçonné d'une tentative d'homicide, il est contraint au retour.
Du père, sauvé de sa violence par une femme de caractère, au grand-père saisi d'une folie qui pactise avec certains mythes effrayants du Grand Nord, on accède à l'intimité d'une famille contrainte à l'exil.
Dans les années 70, au cœur de ce désert glacé, les disparitions de jeunes filles ne suffisaient pas à convaincre les autorités fédérales d'intervenir. Les loups et les ours affamés étaient forcément coupables. Ce retour au pays des jours sans lumière et des nuits trop longues ravive le mystère de ces disparitions et les légendes qui les accompagnent. Mais Jacques demeure un homme en fuite. L'homme de tous les abandons, peut-être même dépouillé de lui-même comme le pense la dernière femme avec laquelle il a eu un semblant de relation.
Autant de défaites et de renoncements qui nous mènent au plus loin des ténèbres, là où Ellory réussit le mieux à faire scintiller le "noir" du roman. Un lieu vide comme l'enfer parce que c'est bien connu, "tous les démons sont parmi nous".
Une saison pour les ombres – R.J. Ellory – Traduit de l'anglais par Étienne Gomez – Sonatine – 408 pages – 25€ - ***
Lionel Germain
Lionel Germain
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