Dans le roman de Jean-Christophe Tixier, on ne perçoit des années soixante que le faux brillant du lino, le râle des premiers transistors et le balbutiement d'un monde prêt à rompre les digues du conformisme. En 1965, ce sont celles d'un barrage aveyronnais qui s'allègent. Et en même temps que le lac disparaît pour cette vidange, les rancœurs enflent au sein d'une auberge où trois femmes se font face.
Victoire la propriétaire se prépare à la mort et à la transmission de son bien à sa nièce Ève. La troisième femme, Marie, est une religieuse boulimique, héritière légitime que tout oppose à Ève. Pour elle, l'auberge qu'elle a connue enfant ne lui renvoie que des souvenirs douloureux. Marie la nonne n'est pas la fille de Victoire dont son père fut le dernier compagnon. Quant à Ève, sa jeunesse la rend prisonnière d'un paysage étriqué. Elle s'en protège et s'en libère en invoquant avec une ferveur païenne le personnage de Barbarella inventé par Jean-Claude Forest.
Autour de ce trio de femmes, planent effectivement des fantômes, ce père dont Marie soupçonne qu'il a été contraint d'abandonner ses vignes pour une auberge difficile à gérer, le frère disparu évincé par Victoire, les fantômes de la Guerre, et plus tenaces encore, les fantômes du Front populaire. "Il ne s'agissait pas seulement d'un monde où les femmes agissaient comme des hommes, mais d'un monde où les femmes effaçaient les hommes."
Jean-Christophe Tixier anime ce tourbillon de fête interdite, le transforme en trou noir où sous les eaux du barrage ressurgira le refoulé du crime, un moment d'espérance trahie.
Effacer les hommes - Jean-Christophe Tixier - Livre de Poche policiers - 384 pages - 7,70€ -
Lionel Germain
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