"Parfois, je lisais "Le Cœur des ténèbres" (…). Je pensais à la solitude et à la folie de Kurz, au découragement nonchalant de ceux qui l'entouraient. Que je comprenais. Je comprenais cette sorte d'obscurité qui vous envahit et vous dévore et vous dissout sans que personne ne s'en inquiète."
Jusqu'à la dernière ligne de l'épilogue, le roman de Victor Del Arbol est porté par la puissance désespérée de son personnage, Isaïe Yoweri. Il nous raconte l'Ouganda du siècle dernier, mais plus largement l'Afrique; cette métaphore géographique où s'inscrivent les pages les plus sombres de l'humaine condition. Dans un pays dévasté par les milices, Isaïe a été amoureux de Lawino. L'innocence de leur amour s'est perdue dans le chaos quand Isaïe est devenu un enfant soldat.
Réfugié des années plus tard à Barcelone, il est soumis à la reconstitution des années noires par un visiteur qui l'invite à venir témoigner au pays. À servir d'appât surtout pour dénicher le dernier seigneur de guerre.
La référence à Conrad n'est pas usurpée, elle est clairement assumée par Victor Del Arbol. Le massacre fétichiste des albinos, les mères adolescentes violées, la folie religieuse fécondée dans les "ténèbres", tout est charrié dans le flux de ce roman magnifique. Les histoires qui finissent mal sont des histoires d'amour, en général.
Avant les années terribles – Victor Del Arbol – Traduit de l'espagnol par Claude Bleton – Actes Sud "Lettres hispaniques" – 400 pages – 23€ - ****
Lionel Germain
Lionel Germain
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