Le "Mal" existe. Pour qui en doute, il suffit de suivre la mort dans son sillage, souvent masquée par des volutes sensuelles. Quelques bouffées encore et l'arrière-plan s'éclaire sur une scène de crime terrifiante, un désastre planétaire. Le coup de maître de Marin Ledun, c'est de fournir aux derniers sceptiques les preuves de l'existence du "mal", cette industrie qui tue patiemment ses clients et travestit son pouvoir de nuisance grâce à un trésor de guerre corrupteur.
Ils sont deux flics à se mesurer à la pieuvre. Le premier, Simon Nora, enquête en 1986 comme inspecteur de la brigade financière sur un vol de camions d'ammoniac indispensable à la composition des cigarettes. Refusant d'être le pion commis d'office à l'enterrement du dossier, il va jusqu'en 2002 s'obstiner à dénouer les fils de l'affaire.
Le deuxième, Patrick Brun, enquête sur la disparition d'Hélène Thomas, étudiante qui travaillait en alternance pour la société des camionneurs de l'ammoniac et jouait les informatrices pour les braqueurs. Son recyclage comme Escort-girl par "European G. Tobacco" établira le point de jonction entre les deux traques policières.
Mais dans un bon polar, les méchants doivent être à la hauteur et Marin Ledun ne rate pas la distribution des rôles. En première ligne, Bartels, ancien assistant parlementaire et conseiller ministériel de la "gauche de gouvernement" reconverti dans le privé en lobbyiste. "Mon métier consiste à falsifier, manipuler, abuser, tricher, corrompre pour vendre le plus de cigarettes possible et m'enrichir. Je ne sais faire que cela."
Dans ce thriller dégraissé qui tient toutes les promesses du genre, on regarde du côté d'Ellroy pour le rythme et la puissance documentaire. On est surtout bluffé par la palette du romancier dont chaque personnage est une aubaine pour le lecteur.
Leur
âme au diable – Marin Ledun – Série noire Gallimard – 604 pages – 20€ - ****
Lionel Germain
Lire aussi dans Sud-Ouest