La "tempête" de James Ellroy est une lessiveuse dans laquelle bouillonne le linge sale de l'Amérique. Alors que la Californie agonise aujourd'hui sous les flammes, la nuit de la Saint Sylvestre 1941, des trombes d'eau s'abattent sur une ville réinventée. Los Angeles est un mirage. On y voit flotter les ombres d'une légende dont Ellroy garnit la trame avec les fils noirs du réel sans jamais laisser ses personnages de fiction démériter devant les poids lourds de la grande Histoire.
On retrouve par exemple Dudley Smith, Sergent du LAPD, déjà présent dans plusieurs épisodes du premier Quatuor. Dans une fumerie d'opium de "Perfidia", il revisite son parcours au cœur de la violence séparatiste des années vingt à Dublin avec Joe Kennedy. Celui-ci évoque la prospérité des entrepreneurs du crime grâce à la Prohibition avant de lui affirmer: "Je peux te faire entrer dans la police. Tu pourras baiser des vedettes de cinéma".
Quand la "Tempête" jette ses premières bourrasques le 31 décembre 1941, Dudley Smith le survivant trinque à cette nouvelle année avec des archevêques érotomanes et racistes. L'un reluque sa compagne, l'autre le serveur, tandis qu'un troisième alimente la tribune de haine contre "les rouges et les youpins".
Les femmes ont encore droit aux premiers rôles avec l'insoumise Kay Lake, la fille qui défilait avec les socialistes avant de vouloir s'enrôler en vain dans les Marines. Son journal est toujours la clé de voute de ce second volet. Avec également la surprenante Joan Conville, ancienne infirmière de nuit et désormais chimiste médico-légal du LAPD. Elle fonce à travers la pluie à "son rendez-vous avec l'Histoire".
Los Angeles n'est pas un lieu de hasard. On y a inventé le mensonge industriel. On y a fabriqué le mythe d'une Amérique puissante et sûre de ses valeurs. Dans une intrigue de polar, on poursuit les tueurs. Chez Ellroy, les justiciers sont des mercenaires sans scrupules appointés par une mafia galonnée dont Dudley Smith est l'un des parrains. Le vrai sujet, c'est cette ville qui crache les vivants et les morts dans un torrent de boue, qui usine le rêve avec des dormeurs au bord de l'overdose. Ellroy pratique le dépeçage organisé du récit officiel, et c'est une magnifique leçon de littérature porteuse des mauvais vents du Nouveau Monde.
La tempête qui vient – James Ellroy – Traduit de l’américain par Sophie Aslanides et Jean-Paul Gratias – Rivages noir – 398 pages – 24,50€ - ****
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 17 novembre 2019Lire aussi dans Sud-Ouest