Lire Jo Nesbo, c'est s'interroger à chaque fois sur le paradoxe nordique. La séduction d'une contrée lointaine et glacée s'est dissipée dans un rapport au monde où tout nous est offert d'un simple clic. Par ailleurs, le froid qui exclut l'obscénité exubérante du sud épargne un trésor de perversité parfois plus redoutable. Il y a le paysage, Oslo, "vilaine et belle", "froide et chaude", et le personnage démesuré d'Harry Hole qu'on aurait du mal à imaginer sous d'autres latitudes.
Redevenu un poivrot abandonné par la femme de sa vie, Harry Hole n'a plus que "la moitié d'un cœur" pour accomplir sa mission face à la lame impitoyable de son adversaire. Les tueurs en série sont à la littérature ce que le glutamate est à la gastronomie. Chez Nesbo, on en redemande. Parce que ce monstre d'Harry Hole est un professeur de pathologie criminelle, et le type avec son couteau dont la police traque la piste sanglante, un cas d'école.
Les lecteurs français sont friands de disputes entre thrillers à grosses ficelles et romans noirs en col Mao. Les travaux dirigés du professeur Harry, mélange d'esbroufe, de grand guignol et d'habiles déductions, réconcilient les amateurs des deux sous-genres. L'intrigue à tiroirs de ce dernier roman dissimule une critique sociale dans le refus des conventions et le comportement hors-norme du personnage.
Le couteau – Jo Nesbo - Traduit du norvégien par Céline Romand-Monnier – Série noire Gallimard – 602 pages – 22€ - ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 8 septembre 2019Lire aussi dans Sud-Ouest