Louis Sanders-Médiathèque de Nérac-©D.R. |
Louis Sanders est le pseudonyme d'un homme à la rondeur énigmatique. Son enfance parisienne dont on retrouve la trace dans "La chute de Monsieur Fernand" livre les faux-semblants à décrypter. Le roman publié en 2014 aux éditions du Seuil, raconte Pigalle à travers la vie d'un faussaire charismatique. Ça pourrait n'être qu'une parenthèse dans l'œuvre d'un auteur qui évoque désormais le charme trompeur d'un Périgord où se fracassent les rêves de la communauté anglaise.
Cette œuvre se tient en cinq romans chez Rivages. Et dès le premier, "Février", on découvre le malentendu fondateur de cette collision du fantasme avec le réel. Ce n'est jamais la Dordogne que ces expatriés pensent conquérir mais un territoire bucolique qui n'existe nulle part. Louis Sanders, enfant de Pigalle, a fréquenté Cambridge avant de venir s'installer dans le Périgord. À l'intersection de deux imaginaires, il a su voir à quel point la ligne de partage prenait parfois des allures de douve.
En contemplant des cartes postales depuis Londres, des vies exténuées se promettent une nouvelle naissance. Sauf que la carte postale est habitée par d'autres vies rugueuses dont la langue et les coutumes ne sont guère accessibles aux citadins en quête d'un joli décor.
Enfin et surtout, les héros de Sanders arrivent suffisamment lestés pour sombrer corps et âmes. Alcoolisme, jalousie, couples désemparés, la Dordogne n'est plus qu'un repère géographique malheureux où le naufrage peut s'accomplir. À la lecture du dernier roman de l'auteur, on retrouve en condensé la structure profonde de l'œuvre. "Auprès de l'assassin" n'est pas un roman régionaliste. Le lieu n'est qu'un prétexte nécessaire vers lequel convergent des hommes et des femmes destinés à se perdre. Profitons-en pour effacer un reproche déjà entendu. Louis Sanders ne méprise pas les Périgourdins. Les Anglais non plus d'ailleurs. L'écosystème lui aussi est un leurre.
Louis Sanders nous parle de la nuit. Celle qui arrive lentement, comme une effraction dans les clartés désirables de l'aube. La nuit qui ne sera jamais plus belle que le jour, sauf sans doute dans la rêverie opiacée des poètes. "Auprès de l'assassin" est une nuit en devenir. Mark, sa femme Jenny, et leur fils Jimmy, investissent la maison délabrée qu'ils ont le projet de transformer en chambres d'hôtes. Le voisin proche a peut-être assassiné sa femme. Les autres sont hostiles. Dans une sorte d'hallucination alcoolisée, Mark découvre la chasse, le conformisme, la haine et le lâche engourdissement qui le sépare de sa famille.
"Cette nuit-là, Jenny (…) se réveilla, convaincue qu'une présence hostile habitait la maison, mais elle n'en parla pas à Mark. (…) elle avait eu le sentiment, une fraction de seconde, d'apercevoir les êtres grotesques, aux visages difformes, aux membres atrophiés."
Comme dans le Horla de Maupassant, une puissance dévorante et invisible rôde à la frontière de ce monde en éveil. Avec vue sur la mort.
Auprès de l'assassin – Louis Sanders – Rivages noir – 200 pages – 7,50€ - ****
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 10 juillet 2016