Deuxième épisode des aventures de Cal Hooper, ancien flic américain venu se ressourcer dans le village d'Ardnakelty, en Irlande. Le lieu est fictionnel mais les personnages qu'on croise ont une vérité qui nous les rend très attachants.
Cal compose un shérif hors-jeu et bienveillant pour Trey, une adolescente qu'il protège d'une tutelle déguisée. Surtout quand le retour du père de la jeune file n'annonce rien de bon pour elle. La recherche d'un hypothétique filon aurifère dissimule un paquet d'embrouilles grâce auxquelles Tana French nous gratifie d'un réjouissant western. À l'irlandaise.
Le chasseur de feu - Tana French – Calmann-Lévy noir – 512 pages – 22,90€ - *** Lionel Germain
Au fin fond du bush australien, à Patterson, bourgade de quelques milliers d’âmes, deux jeunes ouvriers agricoles ont disparu, l’un champion de football local, l’autre un routard étranger du même âge.
Jay Swan (Aaron Pedersen), inspecteur de police à Melbourne, est dépêché sur place pour mener l’enquête avec Emma James (Judy Davis), la chef de la police locale. Le binôme qu’ils composent apparaît très vite insolite et bancal: d’un côté Jay, d’origine aborigène, au look de cowboy taciturne, "bad ass" et quasiment mutique, de l’autre Emma, policière blanche guère plus bavarde et sœur du patron des disparus.
Les deux enquêteurs vont se heurter au mutisme des populations locales, blanches comme aborigènes. La toile de fond de cet "outback" où règne la défiance, est un univers verrouillé par des décennies de haine mutuelle, d’amertume et de rancœur entre aborigènes et descendants de colons blancs. A tout instant la violence peut exploser, trafic de drogue et alcoolisme aidant.
Remake voire réinvention du western américain, "Mystery Road" en a modernisé les codes pour une série "d’atmosphère" aux allures de polar, lente et pesante. On retrouve en Aaron Pedersen - l’un des meilleurs acteurs australiens de sa génération - le personnage bourru à la présence magnétique du justicier solitaire Jay Swan, tiraillé entre son devoir et sa communauté, rôle qu’il incarnait déjà dans les films "Mystery Road" (2013) et "Goldstone" (2017) dont la série est le spin-off.
Avec sa bande musicale immersive teintée de patrimoine country local, associée à la qualité de la photographie magnifiant les paysages désertiques, la série nous plonge très vite dans l’ambiance si particulière de cet "outback" australien, théâtre très réaliste de discrimination, d’omerta et de non-droit. Un pari scénaristique réussi.
Mystery Road – Apple TV VOD – Arte VOD – CANAL VOD - ****
Réalisée par Rachel Perkins (à partir du scénario d'Ivan Sen pour le film éponyme)
Avec Aaron Pedersen, Judy Davis, Tasia Zalar, Wayne Blair, Madeleine Madden, Sofia Helin, Tasma Walton, Deborah Mailman Alain Barnoud
À part les mauvaises langues, personne n'aurait l'idée de qualifier d'hôtel les résidences pénitentiaires. Flic à la retraite, le héros de Ian Rankin est en taule pour la mort d'un truand qu'on lui reproche depuis le précédent épisode. Mais l'inspecteur John Rebus n'est pas du genre à se planquer dans le quartier réservé. Le voilà également consultant à titre grâcieux, puis menacé pour un meurtre commis dans sa propre cellule.
En prison, il faut surveiller ses arrières. La mort est une rôdeuse qui frappe avec assiduité les pensionnaires trop curieux. Deux enquêtes pour le prix d'une, avec les ombres de la pornographie enfantine et les règlements de compte parfois aussi violents à l'intérieur qu'à l'extérieur. Le meilleur du polar écossais.
Minuit à l'ombre - Ian Rankin – Traduit de l'anglais (GB – Écosse) par Fabienne Gondrand – Le Masque Grand Format – 400 pages – 22,50€ - *** Lionel Germain
L’engouement pour La Servante écarlate est-il un signe des temps? Le livre de Margaret Atwood, publié en 1985 et traduit en français deux ans plus tard, a été adapté au cinéma en 1990 puis en opéra et en ballet; depuis quelques années, la série TV qui en a été tirée a conforté son succès, huit millions d’exemplaires dans le monde rien que pour l’édition anglaise. De quoi faire oublier tous ses prédécesseurs en matière de dystopie, Orwell ou Huxley en tête.
Dans leur essai de "démografiction" sous-titré "Quand la fiction anticipe l’avenir des sociétés", Jacques Véron et Jean-Marc Rohrbasser leur rendent hommage, et commencent même par la République de Platon.
Si Atwood occupe une place d’honneur avec son livre qui raconte comment la dégradation de l’environnement réduit dramatiquement la fertilité des femmes, les deux auteurs interrogent aussi la manière dont Soleil vert, le roman de Harry Harrison et le film de Richard Fleischer, imaginent New York confrontée à la surpopulation – ou encore la vie dans des tours de mille étages (Les Monades urbaines de Robert Silverberg) ou dans des immeubles aussi profonds que hauts (avec le roman moins connu de Nina Berberova, À la mémoire de Schliemann).
Mais la littérature générale est aussi mise à contribution, avec Les raisins de la colère de Steinbeck qui raconte une migration climatique avant la lettre, ou le roman de Laurent Gaudé Ouragan, fiction récente sur la catastrophe de l’ouragan Katrina survenue en 2005 en Louisiane. Nombre d'œuvres littéraires, bien au-delà de la science-fiction en effet, ont abordé des questions démographiques.
On le voit l’ouvrage est touffu et le lecteur peut avoir des difficultés à suivre le propos des auteurs, tant les très nombreuses références romanesques font du livre une quasi-encyclopédie des dystopies sur la population, le vieillissement, la ville, où l’on découvre des auteurs qu’on n’attendait pas, Jean Dutourd, Jean Raspail, à droite, Simone de Beauvoir à gauche, ou encore Émile Ajar.
La population en effet est bien au cœur des utopies ou des dystopies; en trop grand nombre elle questionne la natalité et le vieillissement; conjuguée aux changements climatiques elle interfère avec le problème des migrations et celui du retour des grandes pandémies. Mais le pire n’est pas toujours certain, concluent les auteurs avec un certain optimisme....
La démographie de l’extrême – Jacques Véron, Jean-Marc Rohrbasser – Cahiers libres/La découverte – 292 pages – 22 € - **** François Rahier
Quand dans une équipe d'enquêteurs, on retrouve Maddie, la fille de Harry Bosch, on sait que Michael Connelly cherche à nous avoir aux sentiments. Mission accomplie. Renée Ballard, qui dirige l'unité des Affaires non résolues de Los Angeles, se lance avec Maddie sur la piste d'un criminel identifié par son ADN. Et Maddie apporte la cerise sur le gâteau en permettant de clore une affaire encore plus célèbre, celle du Dahlia noir. Ellroy en a des frissons.
Michael Connelly ne se contente pas de recycler ses personnages. Depuis le début, il nous raconte leur histoire. La vie au LAPD, la police de Los Angeles, n'est pas un long fleuve tranquille. Harry Bosch et Renée Ballard ont beaucoup de choses en partage. Enfin, dans ce nouvel épisode, on apprend que l'ADN n'est plus le seul auxiliaire scientifique d'identification. Les enquêteurs disposent désormais de l'oreille dont l'analyse rendrait celle-ci irréfutable. À bon entendeur…
À qui sait attendre – Michael Connelly – Traduit de l'américain par Robert Pépin – Calmann-Lévy noir – 468 pages – 22,90€ - *** Lionel Germain
Les sept robes du titre sont celles que la mariée traditionnelle du Maroc devra porter aux différents moments de la cérémonie. Tristan Saule en fait le pivot du roman consacré à Lounès et Léa. Dans ce cinquième épisode des "Chroniques de la Place carrée", l'auteur s'attache aux conséquences d'un trafic de stupéfiants dans un quartier encore secoué par les émeutes après la mort d'un jeune abattu par un policier.
Lounès est en panne de fournisseurs pour son réseau tandis que Léa, journaliste locale, enquête sur un scandale municipal. A distance l'un de l'autre et dans une tension permanente, ils préparent tant bien que mal ce mariage entre deux univers contrastés.
L'auteur décrypte les codes et les usages dont le lecteur ne perçoit généralement que des échos dans la rubrique des faits divers. On parle souvent des "territoires perdus" de la République mais on devrait peut-être se demander pourquoi tant d'enfants se sont "perdus" dans ces mêmes "territoires".
Don Minu La Piana (Adriano Chiaramida) parrain affaibli en fin de carrière de la ‘Ndrangheta, la mafia calabraise, sort du bois et projette, pour ressouder ses soutiens, d’acheter (puis de partager) 5 tonnes de cocaïne au puissant cartel mexicain des frères Leyva. Les intermédiaires pour le transport de la cargaison sont les Lynwood, une famille de courtiers de la Nouvelle-Orléans possédant une prestigieuse compagnie maritime.
La triangulation du récit est en place, là où se croisent les grandes lignes directrices de la série: les acheteurs, les vendeurs et les intermédiaires. Les luttes intestines au sein de la‘Ndrangheta vont rendre le parcours du bateau entre Monterrey (Mexique) et Gioia Tauro (Calabre) dantesque, surtout pour les enfants Lynwood, Emma (Andrea Riseborough) et Chris (Dane DeHaan). Pour tenir les engagements de leur père Edward(Gabriel Byrne), ils vont embarquer sur le cargo.
Stefano Sollima (Romanzo Criminale, Gomorra, Suburra, Sicario 2), fidèle à sa fascination pour le milieu mafieux italien et international, s’est chargé de l’adaptation du roman éponyme de Roberto Saviano (auteur de Gomorra) et des deux premiers épisodes de la série. ZeroZeroZero désigne la cocaïne extra pure en langage criminel.
Elle nous plonge tout au long de trois histoires interconnectées dans les arcanes les plus sombres du trafic depuis longtemps mondialisé et dans un sillage de mort inévitable: chaque personnage corrompu est contraint de faire ce qu’il y a de pire pour survivre. Ainsi en est-il de Stefano (Giuseppe de Domenico), le petit-fils de Don Minu, de Manuel Contreras (Harold Torres) chef ripoux d’une unité d’élite de lutte anti-drogue mexicaine, et du clan Lynwood.
Trahisons, corruption, ultra violence, luttes de pouvoir, nous sommes bien dans le monde impitoyable du narcotrafic, cocktail détonnant d’un mélange de Gomorra, Narcos ou Sicario. Comparativement à ces dernières, on pourra se demander si Sollima apporte de nouvelles propositions au genre. Bien qu’elle affiche une vraie authenticité et une réelle crédibilité grâce à un tournage sur trois continents, la série devient par endroits attendue. Dénuée de tout humour, elle manque sur la longueur de souffle épique.
Réalisation : Stefano Sollima, Janus Metz, Joseph Trapero Avec Andrea Riseborough, Dane DeHaan, Gabriel Byrne, Giuseppe de Domenico, Harold Torres, Adriano Chiaramida, Tcheky Karyo Alain Barnoud
Découvrir cinq femmes dans un conteneur relève d'une plaisanterie macabre. Elle va réunir Aurora, enquêtrice financière exilée en Islande dans l'espoir de retrouver sa sœur disparue, et Daniel, un flic chargé justement de cette affaire de disparition.
Mais c'est évidemment le cas des "surgelées" dont Lija Sigurdardottir dénoue les fils. Une seule des cinq femmes a survécu sous protection policière. Et c'est la mafia russe qui semble surgir sous les projecteurs de la "criminelle". En marge de l'intrigue principale, la relation toxique entre un jeune Russe de 27 ans et une artiste qui approche de la cinquantaine révèle peu à peu son caractère crapuleux. "Noir comme la neige" volcanique islandaise, ce polar est agréablement rythmé par la romance naissante entre les deux enquêteurs.
Noir comme la neige - Lilja Sigudardottir – Traduit de l'islandais par Jean-Christophe Salaün – Métailié noir – 304 pages – 22€ - *** Lionel Germain
Après Karel Čapek qui inventa le mot "robot" (tiré du tchèque), Asimov qui les imagina bons grâce à ses trois lois de la robotique, Dick qui scruta leurs rêves dans Blade Runner (aussi intitulé Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques?) et tous ceux qui en ont fait la pire des choses (cf. la série des Terminator), et au moment d’une déferlante médiatique sans pareille au sujet de l’Intelligence Artificielle, une cacophonie où l’on dit tout et n’importe quoi, cette anthologie aux allures de manifeste permettra peut-être de raison garder.
Il s’agit d’abord d’un travail s’inscrivant dans le cadre d’une recherche académique, le projet VIVERES (Vers une Industrie du Futur Verte et RESponsable) porté par l’Université de Lorraine et ICN Business School. Poursuivant le dialogue entre sciences, technique et imaginaire, ce recueil est dans la ligne d’autres ouvrages publiés par le même éditeur, Nos futurs solidaires, Travailler encore etc.
À ce propos Ado Kyrou écrivait récemment que la "dialectique entre le monde institué et entrepreneurial et celui des arts et de la science-fiction est fructueuse si le premier accepte de se dessaisir de certaines de ses hypothèses de départ et de les mettre en question". Pour rapprocher les deux domaines, quoi de mieux et de plus inattendu qu’un atelier d’écriture de science-fiction en entreprise?
Une grande partie des textes de fiction de cette anthologie sont nés dans cet atelier, animé par Ketty Steward. Des classiques du genre empruntés à Fritz Leiber et Sylvie Denis, des articles, des entretiens avec des spécialistes sur la robotique et ses possibles évolutions complètent ce livre, et permettent d’en savoir un peu plus par exemple sur les robots industriels, ce que l’on nomme aujourd’hui "cobots", qui ne sont pas des "amibots" ni des "collabots" …
Au boulot, les robots… - Anthologie dirigée par Stéphanie Nicot & Jean-François Stich – ActuSF – 256 pages – 19,90 € - *** François Rahier
Ce deuxième roman de Julien Freu démarre en 1994 par l'assassinat de jeunes amoureux, dans le décor hivernal d'un bord de lac. De quoi alimenter les migraines du premier enquêteur, un commissaire qui se noie peu à peu dans cette nuit où les oiseaux sont cloués aux arbres. Le deuxième flic caresse les flacons de gin et le troisième est marié à une femme fascinée par la tumeur qui la ronge.
Malgré ce climat nocturne, parfois proche du conte, le roman n'exclut pas le monde réel, celui des fermetures d'usine et du fracas terroriste sur le tarmac des aéroports. Mais la qualité littéraire du texte autorise aussi tous les manquements à la vraisemblance et finit par nous convaincre de l'existence à travers brume de cet univers hanté par les mauvais génies de l'enfance.
"C'était le problème. Le problème fondamental. Le monde n'était pas fait pour les gens sensibles. C'est pour ça qu'ils devaient mentir. Se créer des frontières mentales infranchissables. Parce que, sinon, tout était trop dur. Et trop dangereux. C'est ainsi qu'ils devaient se raconter des histoires."
Hors la brume - Julien Freu – Actes Sud actes noirs – 336 pages – 22,50€ - **** Lionel Germain