C'est le bordel. Et c'est Alexandra Schwartzbrod qui le dit en hébreu: "Balagan", titre éloquent pour qualifier ce que nous nous contenterons d'appeler pudiquement le "bourbier" israélien. "Balagan" est le premier volet d'une série qui inclut "Adieu Jérusalem" et "Les Lumières de Tel-Aviv".
Les enquêtes sur deux attentats commis dans la partie juive et arabe de Jérusalem sont menées par Landau, côté juif, et par Bishara, côté arabe. Dans un pays où les checkpoints séparent deux univers, celui de l'opulence et le tiers-monde aux "routes défoncées", la paix paraît également impossible entre ces deux flics israéliens, l'un arabe et l'autre juif.
Par la grâce du visa littéraire, on pénètre des territoires inaccessibles aux étrangers. On y rencontre Salomon, l'ange ultra-orthodoxe qui sauve les morts, on découvre les Russes de l'armée israélienne, et la relégation moins médiatisée des chrétiens palestiniens, "victimes ultimes". La douleur du commandant Bishara, arabe chrétien israélien procède du choix auquel il a soumis son existence: la malédiction israélienne plutôt que la déliquescence palestinienne.
Mais les frontières entre les hommes ne sont pas réductibles aux évidences géographiques. Une course de chameaux dans le désert montre à quel point le repérage identitaire est trompeur. "Regardez-les qui vibrent tous à l'unisson. On a du mal à imaginer qu'ils puissent tant se haïr." Le roman noir ici est au cœur de l'interrogation qui fonde sa légitimité: la lumière n'a pas de patrie, pas davantage que les ténèbres. Les morts ont décidément tous la même peau.
Balagan - Alexandra Schwartzbrod – Rivages noir poche – 316 pages – 9€ - ****
Lionel Germain
Lionel Germain