Un peu comme l’ouragan du roman qu’il avait consacré à Katrina il y a quelques années, la marée humaine qui déferle dans Athènes au début de ce nouveau livre de Laurent Gaudé signe la fin d’un monde. Mise à l’encan, rachetée par une multinationale, la Grèce est démembrée puis vendue par morceaux, ses habitants fuient en masse. Si la quasi mise en faillite du pays au moment du gouvernement Tsipras vient tout de suite à l’esprit du lecteur, la violence de la répression évoque aussi l’époque des colonels et Z, le film de Costa-Gavras.
Mais cette fiction s’élève au-dessus de l’histoire et de ses contingences. Le futur proche dans lequel elle s’inscrit est celui d’une possible prise de contrôle des états par les puissances d’argent, un monde privatisé où les citoyens sont devenus des "cilariés" – le néologisme indiquant à l’évidence que les non-salariés ne seront peut-être plus des citoyens…
Parqués dans des cités sous globe qui les protègent plus ou moins d’un climat devenu fou selon la catégorie à laquelle ils appartiennent, hyper-connectés mais en même temps étroitement surveillés, la plupart survivent, abrutis de propagande, sous l’emprise de drogues hallucinogènes, dans l’attente de greffes qui leur assureraient un répit illusoire.
Entre thriller et dystopie le roman raconte l’aventure d’un flic issu des bas-fonds, qui enquête sur des meurtres horribles. Dans ce monde anonymé où les quartiers, les rues ne sont plus que des numéros, ce grec se souvient d’Athènes, des rues de Plؘáka, du vent du cap Sounion. Et ici, le roman noir se mue en un long poème en prose dont les ultimes chapitres évoquent Delphes et ses nuits plus grandes que le ciel.
"Les soirs d’été, lorsque le soleil décline doucement, c’est l’immortalité qui vous glisse sur la peau". Le sous-texte de ce beau livre affleure dans le chant profond qui le clôt, tout à la gloire d’Ithaque, chantée par Homère et Constantin Cavafy.
Chien 51 - Laurent Gaudé - Actes Sud - 291 pages - 22€ - ****
François Rahier
François Rahier
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