"L'autre côté des docks", d'Ivy Pochoda nimbait Brooklyn d'une lueur fantomatique pour deux adolescentes en quête d'un ailleurs proche. Ivy Pochoda est née à Brooklyn, où les rêves de lointain peuvent se contenter des feux de Manhattan. Elle y a vécu jusqu'en 2009. Puis elle a posé son sac à Los Angeles. Chacun sait que le monde s'y est condensé dans l'illusion hollywoodienne, et c'est presque un film que ce nouveau roman dont le premier chapitre, comme un mouvement symphonique, est aussi une mise en mouvement du monde. On pense à "La la land", la scène d'ouverture qui infuse de la grâce dans la folie du siècle. Parce que Los Angeles se réduit chaque matin au monstrueux réseau routier où chaque segment figure le circuit neuronal d'une énergie sans conscience.
Tom Wolf révélait dans "Le Bûcher des vanités" le piège communautaire et la terreur panique de son "golden boy" coincé dans les phares du Bronx, Ivy Pochoda propose au contraire un personnage d'avocat soucieux d'échapper à l'enfermement auquel le condamne son mode de vie. L'occasion sera fournie par le surgissement d'un type courant nu le matin sur l'autoroute.
La balade prend des accents plus sombres que la charmante fable de Damien Chazelle. Sur deux époques, on suit des marginaux perdus entre le désert des Mojaves, les quartiers dangereux de Los Angeles et leurs mauvais souvenirs. La liberté après laquelle on court a parfois des effets meurtriers.
Route 62 – Ivy Pochoda – Traduit de l'américain par Adélaïde Pralon – Liana Levi – 360 pages – 22€ - ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche - 21 octobre 2018