Si Martha Grimes a consacré plus d'une vingtaine de livres à ses deux héros favoris basés en Angleterre, Jury et Melrose Plant, elle a aussi développé une œuvre très singulière autour de la fillette Emma Graham, personnage central de romans situés cette fois aux Etats-Unis, à Spirit Lake, une bourgade de la Nouvelle-Angleterre. Pensée magique, poésie et puissance de l'intuition irriguent ces petites histoires anodines qui au fil des années s'enrichissent d'une interrogation sur l'acte d'écrire.
La preuve en est avec "Le Mystère de la chambre 51". Désormais célèbre dans sa ville pour avoir réussi à élucider plusieurs affaires de meurtres, la jeune détective et journaliste amateur, enquête sur l'enlèvement d'une fillette vingt ans plus tôt. Restituant par petites touches l'atmosphère des années cinquante, Martha Grimes s'offre à travers Emma, un voyage dans une version fantasmée du réel. Un cadavre exquis de signes qu'on peut combiner à loisir pour organiser un récit du monde où s'intercalent les échos angoissants du poète Robert Frost, où la réalité est une création permanente.
Tout au long du livre, Emma est perturbée par une apparition, une "jeune fille évanescente" qui ne trouve jamais sa place dans le déroulement de l'intrigue. Une fois l'énigme principale résolue, il reste cette hallucination inexpliquée, ce refus de la clôture et ce sentiment diffus que le monde est plus sombre, qu'on s'enfonce au plus profond du récit dans les ténèbres du conte, "au bord de la nuit", dirait Robert Frost, mais aux sources de la littérature, là où le monde reste un mystère.
Le mystère de la chambre 51 – Martha Grimes – Traduit de l'américain par Nathalie Serval – Pocket – 448 pages – 7,70€ - ***
Lionel Germain – d'après un article publié dans Sud-Ouest-dimanche le 15 janvier 2012