L'inconscient collectif a engrangé des raccourcis trompeurs sur la Pologne. Quand Wojtyla redonnait des couleurs à nos presbytères, remontaient les facéties ubuesques de Jarry déconsidérant Wenceslas et le comté de Sandomir. Ce n'est sans doute qu'un hasard si c'est justement de cette province que nous parviennent les dernières rumeurs contemporaines de Zygmunt Miloszewski.
Sandomierz est un lieu d'exil pour son héros, le procureur Teodore Szacki. Il y découvre la solitude, après son divorce, et l'antisémitisme provoqué par l'assassinat d'une femme abandonnée devant la synagogue. On a drainé le sang de la victime comme le suggèrent les propagandistes de la légende absurde d'un rituel juif. Derrière les superstitions, on voit réapparaitre le refoulé des pogroms dont les traces sont encore visibles.
Avec l'aide du rabbin, Teodore reformulera l'interprétation de la fameuse maxime biblique, "œil pour œil", que Matthieu opposait, dans une vision réductrice de la loi juive, au principe d'amour universel.
Soucieux de ne pas se focaliser sur les froissements de soutane et les mirages d'une citoyenneté réservée aux chrétiens, Teodore se veut nostalgique de cette Varsovie métissée où le polonais se mêlait au russe et au yiddish. Mais si la Pologne au nom si doux est bien davantage qu'un décor de théâtre, le grand silence des synagogues nous rappelle qu'elle a aussi sa part dans l'effroyable modernité du vingtième siècle.
Un fond de vérité – Zygmunt Miloszewzski – Traduit du polonais par Kamil Barbarski – Éditions Mirobole – 475 pages – 22€ - ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 30 novembre 2014