Comme
le souligne le préfacier et traducteur Jacques B. Hess, Ronald L. Morris n'est
pas un historien du jazz et sa conclusion suffirait à le déconsidérer aux yeux
des puristes. N'empêche, cet essai très documenté est une véritable mine d'or
sur les relations troubles entre jazz et mafia.
Le jazz n'est pas né avec la Prohibition mais c'est une coalition qui ne doit rien au hasard. Discriminée par l'aristocratie capitaliste anglo-saxonne et blanche, une partie de l'immigration italienne et juive s'est repliée sur la nuit du rêve américain où le commerce illégal de l'alcool et le divertissement nocturne s'enrichiront de la rythmique endiablée du jazz. Auparavant, la musique populaire se limitait aux romances sucrées ou aux parodies méprisantes des Minstrels shows.
La ségrégation raciale sévissait dans toutes les grandes villes et la musique noire n'aurait jamais pu avoir droit de cité sans la pression "affectueuse" des gangsters sur les responsables politiques. Certains jazzmen adoptèrent les méthodes de leurs commanditaires comme Jelly Roll Morton, racketeur et proxénète, qui se perdit dans son ambition d'ouvrir un casino et un bordel.
La
fin de la Prohibition sonne le glas de cette sainte alliance. Et Morris
assimile, à tort, la fin de la fête à la disparition pure et simple du jazz. Un
constat réducteur qui oublie l'émergence de la 52ème Rue avec l'Onyx
club et le Three Deuces, dernière poche où des formations réduites pour des
raisons économiques allaient féconder le jazz moderne, la formidable évolution
culturelle des héritiers, la création des académies de musique noire et le
génie tragique de Charlie Parker.
Le jazz et les gangsters –
Ronald L. Morris – Préface et traduction de l'américain par Jacques B. Hess –
Le Passage – 280 pages – 16€ - **
Lionel
Germain - Sud-Ouest-dimanche – 7 juillet 2013