Dans ces 13 accidents de parcours, on bourlingue sur tous les continents à la recherche du coup de griffe meurtrier, et on fait escale en Flandre avec Mabrouk qui se rêve en futur Benazzi du rugby hexagonal. On connaît le charme des troisièmes mi-temps:
"décapsulage par le pack, ouverture au goulot sur les ailes, (…) cadrage débordement des canettes sans recours à l'arbitrage vidéo et maul à la bière suivi d'une transformation cul-sec."
Après l'échange de maillots, on se retrouve comme au premier jour du monde, et quand on s'appelle Mabrouk, on découvre alors que ça pose un problème qui peut s'avérer fatal. Près d'Ostende, on ne tolère que l'ivresse made-in-Flandres et si les poulets ne sont pas forcément de mauvais bougres, les réflexes de meute ont la vie dure. Ce sont ces préjugés que la plume de Pierre Hanot égrène accompagnée du pinceau impitoyable de Yan Lindingre.
Poulets pigeons - Pierre Hanot, illustrations de Yan Lindingre – Plume de chat – nouvelles – 104 pages – 15€ - *** Lionel Germain
La petite ville irlandaise de Kilraven, à peine 5000 âmes, compte, pour traiter de l’actualité locale, sur le seul "Kilraven Chronicle", quotidien exclusivement en format papier, et en fortes difficultés financières.
Elvira Clancy (Cullen Siobhan, "Bodkin", "The Dry"), 25 ans, a été embauchée depuis six mois au titre de rédactrice de la rubrique nécrologique (Obituary : nécrologie en français). Coupes budgétaires obligent, son rédacteur en chef, Hughie Burns (David Ganly), lui annonce un jour qu’elle ne sera désormais plus payée qu’à la pige. Donc seulement lorsqu’un hommage sera publié!
Célébrer des défunts insuffisamment nombreux pour lui permettre de vivre décemment l’incite à s’interroger: pourquoi ne pas accélérer un peu le processus? Et ne pas organiser elle-même quelques trépas, aider en quelque sorte la nature, surtout en le faisant avec un minimum d’éthique? Tout en anticipant la notice nécrologique de ses "victimes", choisies parmi les moins méritants de ses concitoyens.
En tuant "accidentellement" un homme "vénéré" (à tort) localement, elle va se découvrir une soif de sang insoupçonnée et, à la manière d’un Dexter Morgan, se convaincre qu’elle ne tuera que "des mauvaises personnes". Ces décès devront ressembler à des accidents, à des suicides, à des incidents médicaux, qui ne doivent pas attirer l’attention de la police. Jusqu’à ce que les choses se compliquent.
Elvira, sosie de la gothique Mercredi de la famille Addams, a une jolie plume et aucune empathie. Obsédée par son travail et par la mort, elle oscille entre pulsions meurtrières et penchants morbides, alimentés par le désespoir de la mort de sa mère à sa naissance et par la vue de son père, Ward (Michael Smiley, "The Lobster", "Luther"), sombrant dans l’alcoolisme.
Sa vie sociale s’arrête à la relation complexe qui l’unit à Mallory Markum (Danielle Galligan), rude "amie" d’enfance avec laquelle elle a très peu en commun, sinon d’être toutes deux orphelines de mère, et, au sein du journal, à son coup de foudre pour Emerson Stafford (Ronan Raftery), séduisant et ambitieux journaliste travaillant à la rubrique criminelle.
Tout au long d’une intrigue baignant dans une atmosphère "dexterienne", à la "Fargo", sur fond d’Irlande rurale, avec en fil rouge une enquête sur un cold case, "Obituary" ne fait qu’effleurer la critique sociale pour mieux s’inscrire dans une comédie, policière et sombre. Bijou d’humour noir - autant que ravageur – la série nous entraîne dans un labyrinthe de secrets refoulés, dans l’engrenage d’un piège fatal.
Elvira trouve en l’excellente Cullen Siobhan une interprète parfaitement ambiguë, qui n’hésite pas à questionner ses certitudes et ses incertitudes. "Obituary", sorte de "dramédie macabre", joue la carte de l’absurde, de l’humour et du suspense, se distinguant ainsi judicieusement des séries-fictions irlandaises politiques ou misérabilistes. A découvrir et à déguster comme un bon vieil irish whiskey.
On connaît la boutade de Peter Graham, vieille gloire du fandom: "L’âge d’or de la science-fiction, c’est treize ans." Militant de la cause, Serge Lehman sait bien que ce n’est pas vrai: tout commence à treize ans peut-être, mais ce qui surgit à l’improviste un soir d’été peut vous laisser métamorphosé à jamais.
Ce beau conte initiatique, où l’on n’est jamais très loin du "Corps" de Stephen King, raconte les dernières vacances d’été de quatre préados réunis par une amitié fusionnelle et un même goût pour l’aventure et les terrains vagues. Un jour, le surnaturel impose son évidence. Mais ce qui aurait pu être une banale histoire d’ovni s’arrête au bord du non-dit, en une manière de transfiguration biblique: de quoi cet éphèbe rayonnant est-il le nom?
Ce court roman avait été publié initialement dans la revue "Bifrost" en 1997. Romancier, essayiste, scénariste, Serge Lehman est aussi un auteur de BD récompensé à Angoulême par le prix René-Goscinny 2025 pour "Les Navigateurs".
L’Inversion de Polyphème - Serge Lehman - Le Bélial - 105 pages - 9,90€ - *** François Rahier