Dans "Le Tatoué", impérissable chef d'œuvre des années 60 pour le scénario duquel se sont éreintés Alphonse Boudard et Pascal Jardin, Gabin se trimballait avec un Modigliani dans le dos et Louis de Funés était prêt à se ruiner pour le récupérer. La fiction qui prétend nous surprendre en scénarisant l'impossible s'efface pourtant devant les extravagances du réel. Et le "roman" de Lionel Destremau illustre ce vertige qui nous ferait douter de tout.
Pour atteindre ce lieu documenté des années trente où un vrai médecin légiste a procédé à la reliure en peau humaine d'un livre sur le criminel Louis Rambert, l'auteur s'autorise l'invention en 2024 d'un jeune officier de police qui va mener l'enquête à la fois sur ses origines et sur cette étrange passion pour les tatouages.
D'autres incartades avec la réalité vont permettre au patchwork littéraire de reconstituer le destin tragique des deux criminels, Louis Rambert et Gustave Mailly. Les deux ont été condamnés à la peine de mort par les Assises du Rhône pour avoir assassiné à coups de marteau un retraité et sa tante dans une maison d'Écully. De 1930 à 1931, ils avaient déjà commis une vingtaine de cambriolages. L'un était chauffeur, l'autre chiffonnier, et Lionel Destremau repousse le curseur du calendrier pour raconter leur parcours.
Le début du Vingtième Siècle, les errances, les fréquentations et les trajectoires qu'on pressent destinées au malheur, tout se lit selon un procédé qu'affectionnait Dos Passos, coupures de presses et bulletins de situation qui nous donnent aussi bien des nouvelles du mauvais temps que du mauvais karma des deux compères.
Le roman explore le passé en multipliant les angles pour mieux sourcer cette récurrence du crime, pour échapper peut-être à la tyrannie des interprétations, pour laisser surgir enfin une vision du monde qui appartienne en partie au lecteur.
Un Crime dans la peau - Lionel Destremau – La Manufacture de livres – 304 pages – 19,90€ - ***
Lionel Germain
Lionel Germain