Le Geek de la Bodleian Library
James Blish (1921-1975), entre Roger Bacon et Mr Spock
James Blish (1921-1975), entre Roger Bacon et Mr Spock
Cinquante ans après sa disparition en juillet 1975, seule l’intégrale des "Villes nomades" demeure disponible en librairie, en français chez Mnémos, dans la belle traduction en partie réalisée par Michel Deutsch, et, en version originale chez Orion Publishing un groupe qui appartient à Hachette.
Cette vision du futur d’une ampleur rarement atteinte, a mis cet auteur malheureusement un peu oublié en bonne place parmi les Asimov, Heinlein, ou autres Van Vogt. Le cycle raconte comment, de 2012 à 4004, grâce à l’antigravité et à la drogue de longue vie, des villes entières quittent la Terre appauvrie et sillonnent l’espace, peuplées d’émigrants d’un nouvel âge comme les "okies" américains des années 30 auxquels l’histoire est implicitement dédiée. L’humanité va essaimer dans les étoiles, fécondant des cultures étrangères et jouant son rôle dans le développement de la grande civilisation de la Voie lactée.
C’est vrai que Blish aimait aussi l’ombre.
Étrange personnage que cet américain né en 1921, zoologiste féru d’occultisme, qui choisit de mourir à Oxford en 1975 pour se rapprocher de l’esprit de la philosophie médiévale, et dont les manuscrits sont déposés à la Bodleian Library. Son œuvre majeure, une trilogie qui emprunte son titre à un vers de T. S. Eliot, "Après pareil savoir", s’interrogeait, un peu à la manière de Goethe, sur le désir de connaissance profane et les rapports entre la science et le mal.
Le premier volume, "Doctor Mirabilis", inédit en français, est un roman historique consacré au philosophe du XIIIe siècle Roger Bacon, que la tradition appelle le "Docteur admirable". Le second, en deux tomes réédités jadis par Presses-Pocket ("Pâques noires"/"Le lendemain du Jugement dernier"), conjugue d’une manière saisissante démonologie et science-fiction: un esthète dévoyé lâche sur Terre, un matin de Pâques, quarante-huit princes et présidents des enfers, et la Troisième Guerre mondiale éclate.
Le troisième volume, "Un cas de conscience" (Denoël), reste le chef-d’œuvre de Blish: les sauriens intelligents que découvre le jésuite Ruiz-Sanchez sur la lointaine planète Lithia vivent heureux. A-t-on découvert un nouvel Eden préservé du péché originel, ou au contraire un piège dangereux tendu par Satan? L’apocalypse qui clôt ce livre difficile et parfois décrié révèle une amère vérité: le Dieu de Job règne sur le monde, le Dieu vengeur et jaloux de l’Ancien Testament que le jésuite découvre dans le visage des hommes torturés par la souffrance.
Ensuite, Blish rentra vraiment dans l’ombre.
Il s’était pris de passion pour le fameux feuilleton télévisé "Star Trek", retrouvant l’esprit des "Villes nomades" des débuts de son œuvre dans l’épopée stellaire du gigantesque "USS Enterprise" et de son équipage, une série de SF née dans les années lumières de la lutte pour les droits civiques aux USA et dont la richesse thématique marquera durablement le genre.
Il novellisa les soixante-dix-neuf épisodes de la saison 1 dans une série de volumes dont l’éditeur bruxellois Claude Lefrancq avait publié une traduction aujourd’hui malheureusement épuisée – se permettant parfois de broder sa propre histoire avec "Spock doit mourir", un inédit qui se lit comme un passionnant roman d’aventures mais aussi, au deuxième degré, et avec ce qu’il faut d’humour, comme une enquête théologique: au cours d’un accident de téléportation, le célèbre vulcain Mr Spock réapparaît deux fois; "L’homme qui se rematérialise après sa première téléportation a-t-il toujours une âme immortelle"?
Blish, "après pareil savoir", était retourné aux étoiles qu’il avait promises à l’homme, avec la candeur de l’enfance et un dernier pied de nez à la raison.
Cities in flight – James Blish – Orion – 640 pages – 18,80 € (ebook 3,99 €)
Les Villes nomades – James Blish – Mnémos – 680 pages - 35 € - En librairie (les livres épuisés sont aisément disponibles en bouquineries)
François Rahier
Les Villes nomades – James Blish – Mnémos – 680 pages - 35 € - En librairie (les livres épuisés sont aisément disponibles en bouquineries)
François Rahier