Vous souvenez-vous de vos premières lectures de romans noirs? Chandler, Hammett, Ross McDonald ou peut-être Lawrence Block? Ce sentiment de découvrir la face cachée du monde. Une façon de ne pas se prendre au sérieux tout en respectant le lecteur et la littérature.
Autant de qualités qu'on retrouve chez Jonathan Ames. La sincérité de l'auteur dans "Alcoolique" est encore flagrante dans "Il s'appelait Doll", un roman qu'on ne peut réduire à un hommage aux grands maîtres du roman noir sans passer à la trappe l'arrière-plan critique d'une société américaine très contemporaine et très loin de ses plus beaux rêves.
Hank Doll est un héros sans armure. Même celle trouée de Marlowe le protégerait des coups du mauvais sort.
"H. Doll Enquêtes et Sécurité – La plupart des gens m'appellent Hank. Mais mon vrai nom c'est Happy, Happy Doll. C'est mes parents qui m'ont affublé de ce prénom. Et pour eux, il ne s'agissait pas d'une blague. Ils voulaient tout ce qu'il y avait de mieux pour moi. On ne peut pas dire que ce soit une réussite. On ne peut pas non plus dire le contraire."
À cinquante ans, dont un certain nombre d'années passées dans la Navy puis dans la police de Los Angeles, la "poupée heureuse" a quelques rides et des turbulences dans les hautes sphères que le mélange vodka-cannabis ne parvient pas totalement à stabiliser. Quand Lou Shelton, son vieux pote, vient lui quémander un rein pour gagner quelques mois de survie, Happy Doll ne manifeste pas un enthousiasme exagéré. Et quand le lendemain, le même Lou vient sonner à sa porte, c'est pour mourir sur son palier d'une blessure par balle sans rapport avec ses problèmes de santé.
Jonathan Ames asticote le destin de son personnage jusqu'aux extrêmes limites de la bienséance. Les flics grincent des dents de joie à l'idée de coffrer le coupable idéal. Même son psy ne peut plus rien pour lui. Avec pourtant du lourd dans le dossier: un papa qui l'appelait "ma poupée", la fréquentation à onze ans d'un animateur de camp adepte de la sodomie et le suicide de son meilleur ami. Reste dans un coin du tunnel, la séduisante Monica, patronne de bar dont il est amoureux. Oui, sans doute autant du bar que de Monica.
Jonathan Ames nous livre une belle mécanique littéraire, rodée sans tapage, avec l'équilibre parfait entre humour et noirceur. Un polar indispensable pour sonder les reins de l'Amérique. Du moins, celle d'avant l'agent orange.
Il s'appelait Doll – Jonathan Ames – Traduit de l'américain par Lazare Bitoun – Joelle Losfeld Éditions – 222 pages – 23€ - *** Lionel Germain