Chez Franck Bouysse, la terre transpire et se creuse sous le poids des souffrances. Une terre meuble dans laquelle se façonnent les âmes rudoyées, des paysages où dominent les clochers en semis, les moissons silencieuses d'hommes et de femmes qu'on dirait sortis d'un tableau de Courbet. De femmes surtout, comme dans "Glaise" justement. La Première Guerre les mettait non sans péril au cœur du nouveau monde en train de naître.
Dans ce nouveau roman, c'est Rose, femme d'un autre siècle encore, dont le témoignage nous parvient sous la forme d'un journal. Rose est morte dans un asile. Son journal est récupéré clandestinement sur son lit de mort par Gabriel, un curé auquel une inconnue a transmis l'information. C'est donc une première transgression que Gabriel s'autorise avant de devenir le médiateur de cette série de manquements à l'harmonie apparente de l'ordre social.
En racontant la chaîne des servitudes dont nous sommes les héritiers parfois sans mémoire, Franck Bouysse met en évidence l'assignation douloureuse des femmes. Là où le polar est ramené à sa filiation avec le conte, l'histoire de cette mère dépossédée de son seul bien inaliénable le renvoie à ses propres déterminants: la cruauté bien réelle du monde. Et ce portrait magnifique de Rose se nourrit de "la musique des mots magiciens", dernier refuge peut-être où se niche "ce qu'on appelle une âme".
Né d'aucune femme – Franck Bouysse – La Manufacture de Livres – 416 pages – 20,90€ - ****
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche - 27 janvier 2019Lire aussi dans Sud-Ouest