Le narrateur, Straham Younger, personnage inventé par Rubenfeld, est un jeune médecin psychologue new-yorkais. Son admiration pour Freud est doublée d'une fascination obsédante pour l'interprétation que celui-ci a donné du Hamlet de Shakespeare. Mais le complexe d'Œdipe qui résout si parfaitement les incertitudes du héros shakespearien face à l'assassin de son père ne lui semble pas le dernier mot de l'histoire. Pour Younger, membre du comité chargé d'accueillir Sigmund Freud et Carl Jung aux Etats-Unis en août 1909, cette interprétation reste un défi à surmonter.
Alors que la psychanalyse est une science nouvelle déjà fortement critiquée pour ses théories jugées inconvenantes, des réseaux de psychologues bien pensants se sont constitués pour interdire les conférences. Carl Jung, disciple dissident, paraît mûr pour une trahison. Ce Carl Jung dépeint par Rubenfeld est bien différent du sage que l'on peut deviner en relisant "Essai d'exploration de l'inconscient". Rubenfeld en fait un personnage pervers et manipulateur, très sensible aux charmes des jeunes femmes, au point de s'inscrire de façon diffuse dans l'intrigue criminelle comme un potentiel suspect.
Le crime, décrit d'un point de vue omniscient, est le meurtre d'une jeune fille victime d'un rituel sado-masochiste. L'enquête est menée par le jeune inspecteur Littlemore. Sollicité par Littlemore, Younger prendra conseil auprès de Freud pour tenter de cerner les mobiles. Littlemore traque les indices, Younger déchiffre les symptômes. A travers la complicité de ces deux personnages, l'enquête se fond peu à peu dans le travail analytique.
Le flic s'inscrit dans l'instant avec bonheur, croyant au réel, interprétant les contradictions matérielles à la recherche d'un dispositif caché, Younger, lui, est penché sur la malédiction, le sens qui échappe au présent: "être ou ne pas être…".
Le va-et-vient entre le flegme analytique de Freud, la jeunesse de Younger, son appétit intellectuel qui le conduira à trouver une réponse nouvelle à l'énigme shakespearienne, la naissance d'une ville qu'on pressent fascinante et monstrueuse, font de "L'interprétation des meurtres" un très agréable moment de lecture.
L'interprétation des meurtres - Jed Rubenfeld - Traduit de
l'américain par Carine Chichereau - Pocket - 512 pages - 8,10€ - ***
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche - septembre 2007