Les paysages de fantaisie de la science-fiction, au cinéma, dans la BD mais aussi bien sûr dans les livres, quand ils ne sont pas l’aboutissement de la réflexion d’un auteur qui prend la science au sérieux (Asimov, Herbert), stimulent parfois à rebours l’inventivité des chercheurs qui les prennent comme point de départ d’étonnantes expériences de pensée. 
Bachelard a bien montré la complémentarité de l’imagination créatrice et de l’imagination rationnelle, plus proches l’une de l’autre que de l’imagination simplement reproductrice. En son temps, Kant disait déjà que dans l’art l’entendement était au service de l’imagination, et que dans la science l’imagination était au service de l’entendement. 
On a vu dans une période récente, en particulier depuis la découverte des premières exoplanètes, comment les "vues d’artistes", dans les revues scientifiques ou les publications de la NASA, suppléaient l’impossibilité de produire des représentations de ces planètes, qui n’étaient, au début, tout au plus que des déductions physico-mathématiques.
On trouve un exemple particulièrement pertinent de ce rapprochement entre la science et la fiction dans la petite somme que vient de publier Le Bélial’ concernant "Avatar", le film. La collection "Parallaxe", dirigée par Roland Lehoucq, offre d’ailleurs depuis quelques années régulièrement des livres illustrant cette problématique, "Dune", "La Vie alien", "Station Métropolis direction Coruscant", etc. 
Cette "Exploration scientifique et culturelle de Pandora" qui vient de paraître, presque comme une préface au 3e opus de la saga cinématographique de James Cameron ("Avatar : De Feu et de Cendres", sortie prévue le 17 décembre prochain), est réellement époustouflante. 
Sous la houlette de Roland Lehoucq, lui-même astrophysicien, ce ne sont pas moins de douze chercheurs, astrophysiciens, biologistes, paléontologue, linguiste, anthropologue, chimiste, historien de l’art, etc. qui s’attaquent à la fiction concoctée par Cameron – en la prenant très au sérieux, et pas en se disant "Si c’était vrai?" mais "Comment cela pourrait-il être possible?"
Un premier chapitre s’interroge sur le vaisseau spatial utilisé dans le film: Comment le "Venture Star" pourrait-il atteindre Pandora? Il s’avère que le réalisateur n’a pas bricolé n’importe quoi et que son vaisseau est très crédible, même si nos technologies sont encore loin de pouvoir réaliser un tel exploit. 
Un autre chapitre s’arrête sur le "Contexte astrophysique de Pandora", le monde des Na’vis, un satellite de la planète imaginaire Polyphème, géante gazeuse gravitant autour de la bien réelle Proxima du Centaure; le chapitre s’arrête en particulier sur la notion de zone habitable où l’eau en surface est liquide. 
Les "Monstres et merveilles de Pandora" et en particulier ses "plantes cognitives" sont eux aussi pris en compte, entre science et fantasmes, biologie et fiction. Un des chapitres les plus étonnants est celui qui porte sur la langue des Na’vis: Cameron a travaillé avec le linguiste Paul Frommer pour imaginer la langue de ce peuple, sa phonologie, sa grammaire, son lexique (près de 3000 mots). Et Frommer était présent sur le tournage pour corriger la prononciation des acteurs! 
À la recherche de notre humanité, cette histoire que Cameron porte en lui depuis sa jeunesse (une première esquisse des paysages d’Avatar faite à 19 est mise en ligne sur son site), est peut-être un anti-Alien: l’extraterrestre, comme jadis le peau-rouge, n’est plus l’autre absolu. S’il faut se considérer "Soi-même comme un autre" ainsi que le disent les auteurs en paraphrasant le philosophe Paul Ricoeur, à la fin, alors cette saga ouvre un espace initiatique pour changer de point de vue. Belle péroraison.
Avatar. Exploration scientifique et culturelle de Pandora – sous la direction de J.-Sébastien Stever et Roland Lahoucq – Parallaxe/Le Bélial’ – 277 pages – 19,90€
François Rahier
François Rahier