C'est un revenant, de ceux qui hantent les territoires de fiction en vous laissant croire que le réel est à portée de fusil: Philippe Clerc, assureur niçois survivant des années quatre-vingt. Le roman s'appelait "Fenêtre sur femme" et renvoyait moins à Hitchcock qu'à Howard Hawks. Patrick Raynal a dirigé la Série noire et ce personnage qui refait surface appartient à une époque où les noyés savaient nager, où le soleil se levait sur la plage de Miami avant d'aller sombrer dans les rouleaux du Pacifique entre Malibu et San Francisco.
A plus de soixante-quinze ans, Philippe Clerc se réveille dans le lit d'une femme qui est morte. On l'accuse du meurtre mais la seule chose dont il est certain, c'est que sa libido est en berne, "l'éternelle question du corps qui vieillit alors que l'esprit musarde encore dans sa jeunesse". Au cours de cette enquête sur le tripot à ciel ouvert de la baie des Anges, le "héros" croise les vrais méchants et très peu de gentils, sauf une femme peut-être, Moïra, une parque attentive qui contrairement à la légende voudrait l'empêcher de filer du mauvais coton.
Masséna, c'est aussi le nom du troisième mousquetaire aux côtés de Clerc et Bandry. A la fin des années soixante, le trio d'adolescents rêve d'un autre monde et va se partager la galaxie soixante-huitarde. Anar, "trotsko" et "mao". Bandry le trotskiste deviendra flic, Masséna truand, et Clerc assureur. Comme dans une chanson de Brel, on devient vieux quand on assume le frisson coupable pour "la musique des quarante-huit soupapes d'une Ferrari". Le temps n'est qu'un intervalle qui nous sépare d'une très mauvaise nouvelle et le roman noir classique de Patrick Raynal diffuse un mélange de colère et de nostalgie impuissante.
L'âge de la guerre – Patrick Raynal – Albin Michel – 264 pages – 18,90€ - *** –
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 17 janvier 2021Lire aussi dans Sud-Ouest