Avec Dominique Dayau, embarquons pour le Bassin d'Arcachon des années trente. L'été 1935, exactement, en compagnie d'un reporter du "Petit Parisien", au Pilat, Pierre Amilatégui. En commençant par nous rappeler que le nom de Pyla-sur-Mer n'est "que pure invention (…) et qu'il ne cadre pas avec l'étymologie, l'appellation originelle toute gasconne de l'endroit, que nous avons toujours nommé (…) le Pilat, la pile, le tas de sable." Pierre Amilatégui, orphelin depuis ses 6 ans, est aussi pupille de la nation après la mort de son père sur le champ de bataille en juin 1915. Sa mère, Solange, ancienne ouvrière des ateliers de couture à Paris, a été "munitionnette" chez Citroën pour participer à l'effort de guerre.
La prouesse de Dominique Dayau, c'est la profusion de détails qui enrichissent le tableau des mondanités littéraires arcachonnaises. En s'installant dans sa pension de famille de troisième ordre, Pierre sent monter l'inspiration qui va guider sa plume. De Jean Lorrain, "un modèle d'écriture journalistique au fil du jour", à Octave Mirbeau chez qui "tout est dans la tournure d'esprit, tout est dans celle des phrases".
La postérité est parfois injuste. Plus personne n'ignore ce que désigne la "Côte d'Argent", mais il est peu probable qu'on ait retenu le nom du journaliste sportif bordelais Maurice Martin qui inaugura la jolie formule en 1905. Tout comme Pierre Frondaine, "inspirateur de l'hôtel Haïtza, architecte occulte du "roc" et du bar élégant qui lui fait pendant" a disparu depuis longtemps derrière l'ombre de "L'Homme à l'Hispano", le roman dont il est pourtant l'auteur.
Dans ce métier de chroniqueur futile où les femmes se doivent d'être troublantes et les inconnus mystérieux, l'art du faux semblant consiste à enfiler un costume avec culotte de golf, une tenue yachting, des lunettes "rayonnantes", un canotier et des chaussettes en fil d'Écosse, avant de se laisser guider jusqu'au charme de la "troublante" Aliona Morochkine, exilée russe au service d'une riche compatriote. Avec elle, Pierre pourra croiser le "mystérieux" Rudy, Rudolf Von Sterne. L'homme au physique avantageux est-il un professeur autrichien venu exercer ses talents d'ornithologue sur la réserve du Bassin d'Arcachon ou un militant en service commandé pour le Troisième Reich?
Si les patrons parisiens de notre Rouletabille ne veulent pas de digressions sur les relations franco-allemandes, ils sont friands en revanche des potins qui bruissent dans les jardins de la Ville d'Hiver. Ou encore des exploits d'Antonin Magne et de Julien Moineau, les deux régionaux de l'étape du Tour de France entre Pau et Bordeaux.
On aurait pu espérer une intrigue plus nerveuse mais Dominique Dayau finira bien pourtant par nous ramener au souvenir de Gaston Leroux. Pierre, du "Petit Parisien", se glisse peu à peu dans le costume du journaliste aventurier. "Nous avions tous les deux succombé au charme slave, lui en sauvant in-extremis Ivana, la nièce du général Vilitchkov dans "Le Château noir", puis en l'épousant dans "Les Étranges noces" et moi, le cocu de service, en m'amourachant de mademoiselle Morochkine, l'assistante d'Olga Zemgorova".
Comme souvent dans le roman populaire, les personnages sont rarement aussi coupables qu'on ne le pressent ni aussi vertueux qu'ils le proclament. Et la séduction principale de l'œuvre tient à la façon d'installer un décor familier que notre souvenir accorde soudain à cette reconstitution historique farcie d'un trésor d'anecdotes.
Un grain de sable dans la dune – Dominique Dayau – Cairn – 330 pages – 16€ - **
Lionel Germain