Freddy J. Frenger, psychopathe en cavale, s'est mis en ménage avec la petite Susan, prostituée la nuit et étudiante le jour. Ce n'est pas vraiment une histoire d'amour. Une histoire de fous, ça, oui. Hoke Mosley, le flic sans dents, locataire d'un taudis squatté par les "Marielitos", se demande encore comment il peut bosser dans une ville aussi barjot que Miami. Charles Willeford est mort en 1988. "Miami Blues" est son premier roman traduit en français et Hoke Mosley, sergent de la police criminelle, "héros magnifiquement buriné", était l'un des personnages préférés de Westlake.
On le retrouve dans "Une seconde chance pour les morts" où son chef brigue des galons de colonel. Pour les mériter, il confie un certain nombre d'affaires anciennes non résolues à ses meilleurs détectives, avec obligation pour eux d'obtenir des résultats.
Au début du roman, Hoke Mosley enquête déjà sur un décès survenu dans un quartier respectable, un gamin mort d'une overdose. On s'aperçoit vite que rien ne fonctionne comme dans un roman policier. Les affaires anciennes dont on connaîtra le dénouement seront résolues pratiquement par hasard. Quant à l'enquête du départ, elle se résoudra dans les dernières pages avec un minimum de suspense sans que Mosley ait eu à utiliser son flair ou à faire preuve de pugnacité.
Les flics et les procédures que nous dépeint Willeford semblent tirer d'un reportage de Depardon. Tout cela serait d'un ennui inqualifiable si ce sentiment de réalité ne conférait pas à Mosley une singularité surprenante. Le flic sans dents, moins harcelé par un idéal de justice que par le souci d'économiser deux dollars sur sa prochaine facture, vit seul dans un hôtel miteux habité par des réfugiés cubains et des vieilles dames. Ces dernières meurent gentiment dans leur lit à raison d'une tous les deux mois.
Hoke Mosley a deux filles, deux adolescentes qui débarquent un jour avec leurs valises dans son trou à rats. Il les avait perdues de vue quand elles étaient toutes petites, se contentant d'envoyer la moitié de son salaire à sa femme et n'éprouvant aucun désir de les revoir. Et voilà qu'avec Ellita Sanchez, son équipière d'origine latine, ils forment une drôle de famille au sein de laquelle l'amour se passe de commentaires. Une famille que personne ne peut comprendre de l'extérieur.
Ce sont pourtant bien des romans policiers qu'écrivit Charles Willeford. Son héros est un flic et il est donc "forcément" conduit à s'occuper d'affaires criminelles. Mais "forcément" est le mot juste. À l'inverse de McBain ou de Wambaugh dont les personnages nous entraînent au cœur de la procédure policière, c'est le destin de Mosley qui passionna Willeford. Flic sans enthousiasme, il ne sait tout simplement pas faire autre chose. La survie de ce type décalé dans un environnement hostile est le véritable sujet de chacun des romans.
"Dérapages" confirme cette impression. Hoke Mosley se réveille un matin en décidant de ne plus parler à personne, ni à Ellita Sanchez, l'équipière enceinte avec laquelle il partage son appartement, ni à ses deux filles que sa femme lui a confiées en partant avec un riche sportif. Il retourne chez son père, veut quitter la police, refuse de bouger. Pendant ce temps-là, un psychopathe et un vieillard esseulé forment une étrange association criminelle. Leurs histoires se rejoindront mais la conclusion importe moins que la trame du récit d'une grande richesse anecdotique.
Dans "Hérésie", enfin, un critique d'art retrouve le plus grand peintre du monde, exilé volontaire dans les marais du sud de la Floride. Va alors commencer un détournement artistique d'anthologie. "Rien n'existe. Si une chose existe, elle est incompréhensible. Si une chose était compréhensible, elle serait incommunicable" dit Gorgias cité en exergue. Willeford joue magnifiquement avec le vide.
Miami Blues – Charles Willeford – Rivages – Traduit de l'américain par Danièle et Pierre Bondil – 298 pages – 9,15€ - ***
Une seconde chance pour les morts – Rivages – 298 pages – 8,65€ -
Dérapages – Rivages – 360 pages – 9,15€ -
Hérésie – Rivages – 184 pages – 7,65€ -
Lionel Germain – d'après des articles publiés dans Sud-Ouest-dimanche –