Invité à Metz en 1977, Philip K. Dick y prononce une conférence devenue culte – et objet de controverse: en gros, il y a une infinité d’univers parallèles tous plus illusoires les uns que les autres emboités comme des poupées russes et dans le tourbillon desquels nous entraîne un mauvais démiurge.
Celui qui avait fait de son corps, comme le dit Carrère, un "shaker à cocktails chimiques", vivait-il le retour d’un bad trip d’acide, ou persistait-il dans son rôle de clown triste de la SF? Ses derniers romans, la Trilogie divine en particulier, en déroutèrent plus d’un: il paraissait sombrer dans un délire mystique.
Et pendant ses dernières années, on l’apprit plus tard, il avait noirci les milliers de pages d’une mystérieuse "Exégèse" sur laquelle les éditeurs aujourd’hui lèvent le coin d’un voile. Mais cet ensemble impressionnant n’a rien à voir avec les délires psychédéliques d’un Timothy Leary. Dick relit les gnostiques, interroge Héraclite et les présocratiques, prenant à bras le corps toute la tradition philosophique de Plotin à Spinoza et Heidegger, pour tenter de comprendre le monde où nous vivons, qui va mal c’est un lieu commun de le dire. À le lire ainsi on comprend mieux son Blade runner, plus proche de Pascal et de Beckett que de la lecture cyberpunk qu’en fit Ridley Scott.
Junkie, clown, prophète, grand barjo devant l’éternel, un titre qu’il revendique, Dick plaide à sa manière pour les simulacres que nous sommes, il cherche à savoir dans la crainte et le tremblement.
L’Exégèse 1 - Philip K. Dick – Éditée et annotée par Jonathan Lethem et Pamela Jackson - Traduction d’Hélène Collon - Nouveaux millénaire/J’ai lu – 764 pages – 39,90€ - *****
François Rahier – Sud-Ouest-dimanche – 2 octobre 2016