En s'appuyant sur les parcours d'une jeune résistante gaulliste, Anne Laborde, d'un jeune homosexuel proche des communistes, Alain Véron, et d'un ancien collabo en rémission, Aimé Bacchelli, Gérard Delteil nous offre un panoramique sur les "Trente Glorieuses". À travers les balbutiements de l'informatique, on voit aussi se dessiner les enjeux économiques (en partie ratés en ce qui concerne la France) et se profiler les menaces sur les libertés individuelles.
Homosexuel et communiste, ce n'est pas vraiment tendance en 1946. Alain Véron doit s'apprêter à donner le change aux camarades un peu avant cette grande grève ouvrière chez Renault où la CGT et les gauchistes vont déjà s'affronter. En 1951, l'existentialisme réduit à un bal nègre, on espère apercevoir la silhouette de Sartre dans les lueurs du Vieux Colombier. Dix ans plus tard, l'Aronde joue les belles américaines et la Simca 1000 est un cercueil roulant avec son moteur à l'arrière. A la même période, les "blousons noirs" font la chasse aux pédés dans les rues de Cannes et le climat social se durcit avec l'apparition de la CFT, syndicat patronal.
Bull va renvoyer au musée les fiches perforées en révolutionnant le traitement de l'information grâce à ses machines. Le pouvoir, alors, ne tarde pas à en utiliser la puissance de calcul pour constituer ses propres bases de données dans un trou noir juridique bien commode.
Pas de génération spontanée, donc, dans la colère de Mai 68 mais le passif douloureux d'un après-guerre qui n'a jamais totalement soldé les comptes pendant la période de la reconstruction et les luttes anticolonialistes, laissant face à face les survivants de la collaboration et le melting-pot de la Résistance.
Et quoi de plus efficace qu'une fiction pour revitaliser les mécomptes et les espérances de l'Histoire contemporaine. Depuis les années quatre-vingt, Gérard Delteil s'inscrit avec talent dans la grande tradition du roman populaire.
Les années rouge et noir – Gérard Delteil – Seuil – 464 pages – 22€ - **
Lionel Germain