jeudi 19 décembre 2024

La hotte est pleine

 
" - Le problème, Benjamin - si je peux vous appeler Benjamin -, c'est que la justice est aveugle, et que pour elle, y'a pas photo: on a deux cadavres, les bijoux retrouvés dans vos bagages, la petite Mercier qui disparaît brusquement alors qu'elle logeait chez vous... Si vous prenez moins de quinze ans, je me fais nonne. 
Elle a un truc avec la religion, elle."



N'oublie pas mon petit soulier - Gabriel Katz - Le Masque poche - 320 pages - 8€


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mercredi 18 décembre 2024

Anti-contes de Noël


Créée en 2008 par Maxime Chattam, Olivier Descosse, Henri Loevenbruck et Franck Tilliez – vite rejoints par une quinzaine d’autres auteurs, la Ligue de l’imaginaire se donne pour but de réhabiliter une littérature populaire un peu décriée en se plaçant sous le patronage d’Alexandre Dumas voire de Victor Hugo. 


À ce titre ils publient régulièrement des œuvres collectives. La toute dernière paraît pour Noël, dans le cadre d’un événement caritatif, la campagne "Soutenez le rire médecin", retenue pour son implication constante auprès des enfants. Depuis 1991 cette association fait intervenir en effet des comédiens-clowns professionnels dans les hôpitaux pour permettre aux enfants, à travers le rire, de mieux se battre contre la maladie et la douleur. Le livre est donc vendu au profit de cette association. 




Vingt-et-un textes inédits, autant ou presque de contes de Noël, ou d’anti-contes à vrai-dire, tant leur contenu recommande de ne pas les mettre en toutes les mains. Le recueil s’ouvre par une auto-parodie collective signée Agnès Abécassis dans laquelle les 21 auteurs de la Ligue se retrouvent dans une sorte d’escape-game horrifique, un huis-clos infernal gore à souhait à côté duquel celui de Sartre paraît un peu gnan-gnan. 

Le jeu continue dans une autre histoire où l’on propose au lecteur de retrouver tous les membres de la LDI présents dans le texte. Mais ce genre de quizz cède vite la place à ce qui est le meilleur du recueil: petits bijoux policiers ou fantastiques (Maxime Chattam, Sébastien Drouin), noirs de chez noir (Nicolas Lebel), récits d’épouvante (Olivier Descosse), plongées dans l’histoire médiévale (Mireille Calmel), l’ésotérisme (Éric Giacometti), le conte philosophique (Bernard Werber) ou encore le récit maritime à la manière de Joseph Conrad (Bernard Minier). 

Ces "contes de Noël" ne pouvaient pas faire l’impasse sur le Père Noël: on y apprend son histoire à travers la biographie revisitée de Thomas Nast, qui publia réellement le 1er janvier 1881 dans le Harper’s Weekly son célèbre portrait de "Santa Claus" (Olivier Bal), des journalistes viennent l’interviewer dans son refuge lapon à un moment où il pense diversifier son activité tant ses lutins peinent à satisfaire des enfants avides de jouets "faits de plastique et de matériaux qui pillent les ressources naturelles de la planète" (Olivier Norek); mais on le retrouve aussi sous les traits d’un ogre – ou pire. Les jouets ne sont pas oubliés, et Niko Tackian nous fait partager le point de vue d’un petit soldat en lego perdu d’angoisse dans un gigantesque arbre de Noël vacillant sous les coups d’un énorme chat et que remettent en place tant bien que mal ces gigantesques créatures que sont les enfants venus déballer leurs cadeaux. 

Histoires macabres, humour féroce, rires grinçants, c’est parfois une sorte de révérence du désespoir que font chacun à leur manière tous ces auteurs à la magie de Noël et à la nostalgie de l’enfance. Enfin, seuls parmi tous ses confrères David Khara ne propose pas un conte mais une belle méditation qu’accompagne en 2e page de couverture du livre la photographie d’un minuscule coin de l’espace réalisée avec ses compagnons de l’équipe d’astrophotographie amateurs Astro-Fleet, un amas d’étoiles contenu dans la constellation de la Licorne : "Il était une fois un sapin de Noël si grand que notre système solaire tout entier y tiendrait plusieurs fois et si lointain qu’il faudrait plusieurs générations pour s’y rendre... "

Le Pire des Noëls – par la Ligue de l’Imaginaire – Le Livre de poche, 283 pages, 7,90 € - *** 
François Rahier




Gras de Noël


"J'aime pas le foie gras. J'ai jamais aimé le foie gras. Ou alors il y a longtemps, quand ma mère en achetait pour Noël, en promo au Leclerc, sous vide, dans un torchon à carreaux 100% synthétique. C'est gras, le foie gras. Ça colle au palais, ça laisse une pellicule de graisse et une culpabilité terrible, comme si c'était moi qui la gavais, l'oie."

 
"Ce qui ne m'a pas empêché de tartiner des toasts toute la journée, parce que j'ai besoin de ce job, et qu'il y a pire. Comme le pauvre mec au rayon jouets qui étouffe dans son costume de Père Noël, ou la nana qui vend des huîtres à l'extérieur, dans le bon air des pots d'échappement, alors qu'il s'est remis à neiger. J'ai fait ça, moi aussi. J'ai tout fait. Et s'il faut choisir, j'aime autant déambuler avec mon plateau dans les allées du Monop, pour proposer mon foie gras industriel à des gens qui ne l'achèteront pas."

Dehors tu vas avoir froid - Gabriel Katz - Le Masque poche - 240 pages – 8,50€ - **


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mardi 17 décembre 2024

Mémoire ouvrière


Scénariste pour le cinéma et la télévision (on lui doit le scénario et la réalisation de "Bluebird", adapté du roman de Dannie M. Martin, "L'Homme de plonge"), Jérémie Guez est aussi un auteur de polars distingué à deux reprises, d'abord pour "Balancé dans les cordes" par le Prix du polar SNCF en 2013, et par celui du roman historique en 2014 pour "Le Dernier Tigre rouge".


Dans "L'équilibre des corps", les valeurs qui caractérisent cette évocation des années 70 nous semblent effacées des bases de données contemporaines. À une époque où l'incertitude et l'angoisse du lendemain justifient les bouquets de dystopies au rayon noir des librairies, l'auteur réinstalle le logiciel du bonheur ouvrier et évacue le parfum de désastre à la mode au détour d'un simple échange amoureux: "il crut sentir dans ses cheveux une odeur de cendre mouillée, celle d'un petit matin après la fin du monde".



L'histoire commence en banlieue parisienne. Une famille italienne se rassemble autour de la figure patriarcale de Marcelo, ouvrier couvreur marié à Cécilia et père de la petite Chiara. Quand Marcelo ramène un jour à la maison un jeune orphelin sans abri, la bonne humeur et l'entente familiale se fissurent en deux clans: les hommes d'un côté, les femmes de l'autre.

L'hostilité de la mère est dirigée contre ce fils qui n'est pas d'elle, et Chiara n'épargne pas non plus ce "frère" avec lequel elle va pourtant partager beaucoup de choses. Mais à travers cette affaire de famille, récit d'une transmission d'un savoir-faire et d'une culture identitaire, c'est le portrait d'une classe ouvrière sommée de choisir entre le désir de rupture et celui de pérenniser l'héritage. 

Si Marcelo disparait, le monde après lui sera moins généreux. En ouvrant l'armoire où reposent les souvenirs du siècle dernier, Jérémie Guez restaure avec talent l'idée que la puissance romanesque de ces valeurs est sans doute l'antidote aux dystopies qui nous accablent.

L'équilibre des corps - Jérémie Guez – Seuil – 330 pages – 21€ - ***  
Lionel Germain




Jobs à barbe

 "J'ai toujours eu des jobs à Noël plus pourris les uns que les autres. J'ai été Père Noël, démonstrateur, agitateur de clochettes pour l'Armée du Salut, distributeur de tracts pour un attrape-touristes à Pigalle. J'ai vécu de petits contrats, de pourboires, d'amour, d'eau fraiche mais - jamais aussi loin que je me souvienne – je n'avais passé une journée complète à la période des fêtes en caleçon, sous la couette, à enchaîner les épisodes sur Netflix."




Quand tu descendras du ciel - Gabriel Katz - Le Masque poche - 288 pages - 8€ - **


sur le site de l'éditeur




lundi 16 décembre 2024

Enfants de Marie



Jurica Pavicic n'écrit pas des romans d'action, encore moins des "Whodunit". Ses portraits introspectifs installent un climat d'inquiétude autour d'une intrigue dont le lecteur a l'impression de posséder les clés avant de se soumettre aux personnages. Katja est une femme de ménage dont les prières à la "Mater Dolorosa" visent à éloigner la police de son fils Mario. Le corps d'une adolescente de 17 ans, fille d'un notable, a été découvert dans une usine désaffectée et les enquêteurs se rapprochent peu à peu du coupable.



Quand Katja joue la vie de son fils dans cette trahison de la logique policière, Ines, sa fille, risque la sienne dans des liaisons dangereuses, et Zvone, le flic, ne sait plus à quel saint vouer son désir de justice. Finalement, un innocent pourrait bien pâtir des bons offices de la "Mater Dolorosa". Scénario impeccable pour trois personnages en quête de hauteur.

Mater Dolorosa - Jurica Pavicic – Traduit du croate par Olivier Lannuzel – Agullo – 416 pages – 23,50€ - *** 
Lionel Germain




mercredi 11 décembre 2024

Posthumains, trop humains?


Publié d’abord sous forme digitale en Pologne puis en Grande-Bretagne, ce livre a inspiré deux séries Netflix, en Belgique et en Turquie, avant de paraître en France cet automne. Récompensé par de nombreux prix, dont le European Science-Fiction Award, l’auteur a été l’invité du Festival des Utopiales à Nantes du 30 octobre au 3 novembre. 

Jacek Dukaj, né en 1974, est considéré comme le plus populaire des auteurs de SF polonais et le successeur de Stanislaw Lem. Auteur de romans et d’essais, il a aussi traduit dans sa langue le livre de Joseph Conrad "Au cœur des ténèbres" (qui a inspiré "Apocalypse now" à Francis Ford Coppola). Juste retour des choses, Conrad, qui écrivait en anglais, était d’origine polonaise. 



"La Vieillesse de l’axolotl" commence aussi par une Apocalypse, même si le terme est souvent remplacé dans le livre par celui d’"Extermination". Une onde de radiation neutronique probablement issue d’une éruption solaire atypique, mortelle pour la matière organique, se déplace vers l’ouest, au fur et à mesure de la rotation de la Terre autour de son axe, couvrant toujours l’un des hémisphères du globe. 



Les survivants échappent à la catastrophe en fuyant à bord d’avions de ligne volant en permanence dans la zone où il fait nuit, ou bien à bord d’un sous-marin, et quelques-uns cherchent refuge, le temps d’un hiver, sur la calotte polaire. 

C’est le thème des deux séries Netflix: la série belge "Into the night", deux saisons de 6 épisodes chacune (2020), et la série turque qui lui fait suite "Yakamoz S-245", une saison de 7 épisodes mise en ligne depuis 2022. 

Les séries se présentent comme l’adaptation du roman de Dukaj, mais en fait mis à part le début du livre qui évoque directement la catastrophe avec l’alerte clignotant sur les écrans: "EXTERMINATION?! ONDE NEUTRONIQUE À VARSOVIE À 19 H 54", quelques notes éparses au fil des pages, et, de temps en temps, les histoires que se racontent les posthumains pour s’amuser car ils pensent que l’homme est une légende, le roman parle de tout autre chose. 

Il y a effectivement eu une catastrophe, mais toute vie organique ayant disparu de la surface de la Terre, celle-ci n’est maintenant peuplée que de robots et de méchas, qui sont souvent des humains dont la conscience a été digitalisée juste avant la catastrophe. Privés de leurs corps, ils continuent d’exister en se téléchargeant sur des robots industriels, des drones militaires, des sexbots ou autres avatars inspirés des mangas japonais. L’univers dans lequel se déploie le roman de Dukaj est beaucoup plus proche de celui des "Transformers" que des deux thrillers d’anticipation belge et turc que diffuse Netflix. 

Le renversement des vieilles oppositions entre la vie et la mort, le progrès et la stagnation, l’organique et le mécanique, l’exploration des mystères de l’âme humaine et l’éternelle solitude de l’individu, tout cela est abordé dans un environnement et par des personnages que nous avons l’habitude de voir évoluer plus familièrement dans l’univers des mangas destinés aux adolescents. 

Ce qui renforce le caractère étrange, déroutant de ce livre, avec sa composition graphique très particulière, le texte est imprimé sur les pages de droite, le verso est réservé à un dessin, un schéma, des ex-libris ou des emblèmes, ou la plupart du temps simplement la page est blanche, – un cahier central en couleurs étant réservé aux illustrations hors-texte de Marcin Panasiuk du studio Platige Image. 

Et l’axolotl dans tout ça? Cette bestiole, une salamandre néoténique qui conserve ses caractéristiques juvéniles en devenant adulte, est une sorte d’icône de la culture contemporaine, de Julio Cortázar à Bernard Werber, de "Pokémon" à "One Piece" ou au jeu "Minecraft", du rap à l’astrophysique, avec l’étoile HD 224693 récemment nommée "Axolotl" etc. En vrai l’axolotl ne devient jamais adulte, et donc ne peut pas vieillir. 

"Il nous fallut bien du talent pour être vieux sans être adulte", chantait Brel. Et les méchas de Dukaj, quand ils philosophent sur l’homme, se retrouvent presque avec René Daumal qui écrivait dans "La Grande beuverie" en 1966: 

"Outre l'homme, il existe un autre animal qui, dans les conditions naturelles, n'arrive jamais à l'état adulte et qui, pourtant, se reproduit régulièrement. Il s'est accommodé de son état embryonnaire et n'a pas plus que l'homme le désir d'en sortir. C'est la larve d'une espèce de salamandre que l'on trouve dans des mares et des étangs du Mexique et que nous nommons, d'après un mot du pays, axolotl".

La Vieillesse de l’axolotl – Jacek Dukaj – Traduit du polonais par Caroline Raszka-Dewez – Rivages/Imaginaire – 329 pages – 22,50 € - ***
François Rahier 



mardi 10 décembre 2024

Salaud suprême




C’est le genre de personnage dont on redoute d’avoir un jour à croiser le chemin. Romain Slocombe, dont l'œuvre littéraire a longtemps été inspirée par le Japon et ses fantaisies sexuelles, a fait de l’inspecteur Sadorski le pivot d’une série consacrée à la Guerre et plus précisément à la collaboration.  Salaud suprême, ce héros négatif a participé à toutes les turpitudes du régime de Vichy. Inspiré d’un personnage réel, on le retrouve dans deux trilogies qui couvrent la période 42 à 45.



Déportation, pillage des biens juifs, torture des résistants, Sadorski a tout fait. On assiste dans ce dernier épisode au renversement de l’Histoire et des postures quand les mouvements de résistances mènent la chasse aux collabos en octobre 1942. Au cœur de cette traque, Romain Slocombe nous propose la rencontre entre deux monstres, Petiot et Sadorski. Un dernier voyage au bout de l’horreur.

Sadorski chez le docteur Satan - Romain Slocombe – Robert Laffont La Bête noire – 506 pages – 21€ - ***  
Lionel Germain




Fin de partie


"C'est joli, l'Autriche, au mois d'avril. Les sommets encore enneigés, la douceur de la lumière, le vert tendre des pâturages, et celui plus sombre des forêts. Ce sont tes premières vraies montagnes, mais tu n'as pas l'occasion d'en apprécier la beauté. Tu sais maintenant que la fin de la guerre approche, et qu'il s'agit de ne pas manquer ta sortie. C'est joli, l'Autriche, au mois d'avril, quand on n'a pas l'Armée rouge à ses trousses."




Ces féroces soldats - Joël Egloff – Buchet-Chastel – 240 pages – 20,50€ - ***


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lundi 9 décembre 2024

Faux amis




Le flic de Malin Persson Giolito s'appelle Farid, et même si on est à Stockholm, c'est la commune misère européenne qu'on découvre dans ce roman. D'ailleurs Malin Persson Giolito, qui a de qui tenir puisqu'elle est la fille de Leif G. W. Persson, lui-même auteur de polars, est une Européenne pur jus, ancienne élève du Collège européen de Bruges et un temps employée de la Cour de justice des Communautés puis de la Commission à Bruxelles.
 


Les banlieues de Stockholm produisent des drames qu'on pourrait dupliquer entre Berlin, Amsterdam ou Marseille. Farid y est né dans ces banlieues, son parcours tient du "miracle" qu'on affectionne dans les reportages sur les lieux de relégation tellement le destin des jeunes semble assigné à la violence. Et comme à Marseille dans cette banlieue de Stockholm on meurt beaucoup au cours de fusillades. 

Mais le portrait de deux de ces jeunes gens nous ramène encore à l'universel. L'un et l'autre appartiennent à des clans sociaux que tout oppose. L'amitié la plus puissante peut-elle alors résister à la brutalité du monde? C'est cette question qui traverse le roman et nous cueille à l'épilogue avec une force bouleversante.

Délits mineurs - Malin Persson Giolito – Traduit du suédois par Laurence Mennerich – Pocket – 528 pages – 9€ - ***
Lionel Germain




mercredi 4 décembre 2024

Faire de la Lune un jardin


"Je m’occupe d’une ferme sur la Lune, au bord oriental de la mer des Îles". Le ton est donné. Et les citations de Karen Blixen, Colette ou Aminata Sow Fall émaillant le texte nous font vite comprendre qu’ici nous sommes loin d’une SF hard science que la précision du vocabulaire technique laisserait parfois augurer. Quand elle a fondé le collectif Zanzibar avec d’autres auteurs de SF, Catherine Dufour se proposait de désincarcérer le futur.
 


Féministe, très critique sur le rôle assigné aux femmes dans la SF, elle a travaillé aussi sur l’imaginaire de l’exploration lunaire. Son dernier livre est une quête empreinte de poésie: une Lune terraformée, des humains reclus dans des cavernes souterraines, un jardin extraordinaire cultivé sous serre par une humanoïde, un chat augmenté, une gamine surdouée, beaucoup de robots – et une question: quel est l’avantage d’être humain?




Les champs de la Lune - Catherine Dufour - Ailleurs et demain/Robert Laffont, 283 pages, 20,50 € - ***
François Rahier


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mardi 3 décembre 2024

Règlements de comptes à Oran


Le polar algérien est une denrée rare (au moins en version française) et Yasmina Khadra s'est émancipé des collections du mauvais genre après avoir abandonné les aventures du commissaire Brahim Llob. On sera donc ravi de découvrir pour la première fois traduit de l'arabe un nouvel auteur expatrié d'abord en Italie puis aux États-Unis où il est professeur à l'université de Yale. 



Amara Lakhous a publié pourtant déjà quatre romans chez Actes Sud mais traduits de l'italien. Il nous offre une série B sur les retombées du terrorisme dans un pays qui s'abrite derrière une Charte de 2005 pour empêcher toute critique du régime. Ce que Kamel Daoud transgresse avec une puissance lyrique, Amara Lakhous l'intègre à une intrigue mouvementée de règlements de comptes. Par le truchement d’un flic fatigué et de la cohorte des corrompus, le roman noir fait le job.



La Fertilité du Mal - Amara Lakhous – Traduit de l'arabe (Algérie) par Lofti Nia – Actes Sud actes noirs – 288 pages – 22,50€ - ***
Lionel Germain


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"Raconte pas ta vie"


"Serena évaluait généralement un texte selon trois critères. Le premier était le plaisir de lecture: quand l'écriture était fluide, elle assignait un point. Le deuxième concernait l'autrice ou l'auteur, qui selon elle devait disparaître du récit. Or elle voyait souvent passer d'ennuyeux romans autobiographiques ou autofictif. Comme disait son chef, « à moins que tu ne sois Hemingway, on se fiche de ta vie ». En même temps, Serena détestait les auteurs ayant une prétention intellectuelle, qui voulait donner des leçons de vie aux lecteurs ou catéchiser le monde. Son troisième critère d'évaluation était le plus important de tous. Serena détestait les fins fermées: comme après un bon repas, elle voulait rester sur sa faim."




L'éducation des papillons - Donato Carrisi – Traduit de l'italien par Anaïs Bouteille-Bokobza – Calmann-Lévy noir – 495 pages – 22,90€ - ***


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lundi 2 décembre 2024

Hellfighters de Verdun




Jean-Marc Souvira a été flic pendant 25 ans ce qui donne du nerf et du crédit à cette intrigue où s'affrontent mafia israélienne et triades chinoises. Des règlements de comptes au cours desquels le commandant Paul Dalmate découvrira la présence dans nos tranchées de ces guerriers noirs de Harlem, les "Hellfighters", et des "Célestes", les cent-quarante-mille Chinois très mal accueillis venus suppléer le manque de main-d'œuvre. Prodigieuse excursion dans le passé pour enrichir l'éclairage de la Grande Guerre.


La Porte du vent - Jean-Marc Souvira – Pocket – 768 pages – 9,70€ - ***
Lionel Germain



mercredi 27 novembre 2024

Croisière spatiale


De la mythologie à la science-fiction de l’âge d’or, on peut mesurer combien notre vision de l’univers a été façonnée par l’imaginaire: les noms des constellations d’abord, puis la vision fantasmée de Vénus ou de Mars, chez Edgar Rice Burroughs, Leigh Brackett ou même Asimov – qui était un scientifique – dans ses romans pour la jeunesse: les océans de Vénus, les hommes rouges de Mars etc. 

Plus récemment, faute d’observation directe par exemple des exoplanètes dont les télescopes spatiaux sont encore incapables de nous donner des images, des "vues d’artistes", illustrant les livres et les revues scientifiques, sont venues relayer, compléter ou "augmenter" cet imaginaire. 



Stimulant l’imagination du lecteur, ce sont aussi des "fantaisies" au sens grec du terme, la représentation de choses extraordinaires propres à frapper l’imagination. Kant a bien montré comment la raison pouvait être au service de l’imagination dans la création artistique, et, dans la démarche scientifique, comment l’imagination pouvait être au service de la raison. Le voyage de découverte auquel nous convie Philip Plait avec ce livre passionnant est un peu du même ordre. 



Dans cette découverte immersive et vivante du cosmos l’auteur, astronome passionné de SF qui a travaillé au sein de l’équipe du télescope spatial Hubble et anime le blog de vulgarisation scientifique "Bad Astronomy", s’inspire des dernières découvertes scientifiques pour nous transporter dans certains des sites les plus spectaculaires que l’espace pourrait nous offrir: la Terre vue de la Lune, le monde des anneaux de Saturne, des planètes gravitant autour de naines rouges ou encore "le ciel de Tatooine" inspiré de "Star Wars", les amas globulaires, les pouponnières d’étoiles que sont les nébuleuses, les trous noirs etc. 

Dans chaque chapitre, un rédactionnel mi-science mi-fiction entraîne le lecteur dans un de ces sites et le prend par la main pour lui expliquer, chemin faisant, que s’il est sur Pluton, par exemple, aux confins du système solaire, sa combinaison spatiale bénéficie d’une très haute technologie, surtout au niveau des bottes, parce qu’il fait – 228° juste sous les semelles. 

Progressant avec beaucoup de pédagogie, l’auteur amène ensuite son lecteur à comprendre le système fort complexe qui régit, toujours sur Pluton, le réseau des segments polygonaux de glace d’azote flottant au-dessus d’un épais lac d’azote liquide, ou, schémas à l’appui, les interactions entre l’orbite de Pluton et celle de son gros satellite Charon: mais Charon est-il encore un satellite? Et comme les passionnés d’astronomie le savent, peut-on encore dire que Pluton est une planète? 

Jusque très récemment, les planètes orbitant dans un système binaire relevaient de la SF. Mais Philip Plait explique dans un autre chapitre que nous pouvons observer maintenant de nombreux systèmes semblables à Tatooine, avec des soleils jumeaux: "Si nous parvenons un jour à nous affranchir des chaînes qui nous attachent à la Terre et à nous aventurer dans la galaxie, nos descendants pourraient admirer en personne des doubles couchers de soleil, comme Luke Skywalker".

S’il est un peu dérouté par des explications parfois très techniques, et des schémas quelquefois abstraits, le lecteur candide trouvera une respiration dans le cahier central qui contient 8 pages d’illustrations couleurs, des images d’une beauté fascinante issues des services d’imagerie de la NASA ou de l’ESA, des photos, des vraies, ou des images composites réalisées à partir de clichés pris par des sondes spatiales, et pas de "vues d’artistes" à l’exception d’une seule, à la fin, le disque d’accrétion d’un trou noir, et le diagramme du système exoplanétaire TRAPPIST-1 découvert en 1999.

Expert en images lui aussi, Régis Hautière, auteur de bandes dessinées et scénariste entre autres de la série Eco-SF "Aquablue", signe la préface.

Ciels extraterrestres - Philip Plait - Traduit de l’anglais (États-Unis) par Émilie Martin du Fou – Préface de Régis Hautière – Éditions Blueman – 334 pages – 20 € (ebook : 12,99 €) - ***
François Rahier



mardi 26 novembre 2024

Une fille à l'Ouest


Avec "L'Affranchie", Claudia Cravens, jeune autrice américaine diplômée en littérature, signe un premier roman plein de fougue féministe. Dans le Far-West où la brutalité imprime sa marque au pays en train de se construire, Bridget est une jeune femme livrée à la loi d'un bordel tenu par d'autres femmes.


 
Le Buffalo Queen a ses clients privilégiés, shérif ou médecin, mais si Bridget refuse de se laisser "apprivoiser" par un homme, c'est parce qu'elle découvre une liberté nouvelle dans la sensualité qu'elle partage avec les autres prostituées. Pour éviter tous les clichés qui menacent l'intrigue, Claudia Cravens déplace les enjeux de violence au cœur de cette tribu de femmes. Un roman âpre et radical sur la légende de l'Ouest au féminin.



L'Affranchie - Claudia Cravens – Les Escales – 352 pages – 23€ - ***  
Lionel Germain



Un méchant homme ?


"Oui. Quand j'ai appris que j'étais malade, je me suis mis à regarder les autres comme des ennemis. Juste parce qu'ils allaient me survivre. Parce qu'ils boiraient de la bière et du whisky, mangeraient de la cervelle et joueraient aux échecs alors que moi je ne serais plus qu'une cantine pour vers de terre."




Le Lectueur – Jean-Pierre Ohl – L'Arbre vengeur – 320 pages – 16€ - *** 




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lundi 25 novembre 2024

Amnésie lituanienne


Chaque parcelle de l'Europe a ses comptes à régler avec la tragédie des années 40. Comme en France où l'on a longtemps magnifié la Résistance en minimisant les ombres de la collaboration, la Lituanie s'est efforcée d'oublier sa participation au génocide. "Le plus grand patriotisme est de dire à son pays qu'il se comporte de manière déshonorable, idiote et cruelle" affirme Julian Barnes en exergue du roman de Sigitas Parulskis, roman qui n'est scandaleux que pour les amnésiques.


Poète, essayiste, critique littéraire, l'écrivain de Vilnius a essuyé quelques reproches après la parution de "Ténèbres et compagnie" malgré une distinction honorifique de "Personne de tolérance de l'année". Vincentas, son héros photographe n'a pas de cuillère assez longue pour son souper avec le diable. S'il espère sauver sa maîtresse juive, il doit pactiser avec un SS et accepter de lui fournir les clichés de l'horreur. Et les bourreaux lituaniens ne sont pas les moins acharnés au massacre des Juifs. 


On y découvre un catalogue des atrocités commises à l'ombre des croix gammées mais avec le sentiment d'impunité des exécuteurs locaux. On assiste à une série d'humiliations dont les femmes juives sont évidemment les premières victimes. L'auteur donne la genèse du roman dans un court texte en fin d'ouvrage. Pour beaucoup de Lituaniens comme pour beaucoup d'Européens, les Juifs étaient punis d'avoir crucifié le Christ. 

"Ténèbres et compagnie" raconte la déshumanisation à l'œuvre au cœur d'une civilisation chrétienne aveuglée sur ses origines. Mais que peut la littérature s'interroge l'auteur? "Rappeler, faire revivre des souvenirs, les relier aux sentiments de l'homme contemporain, ranimer la relation avec le passé, la torture et le regret? Notre vie entière est une manière de tirer profit des morts. Nous sommes des charognards vivant sur les ossements de nos ancêtres.

Ténèbres et compagnie - Sigitas Parulskis – Traduit du lituanien par Marielle Vitureau – Agullo – 320 pages – 22,50€ - **** 
Lionel Germain


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mercredi 20 novembre 2024

La traversée des genres


Auteur de nombreuses nouvelles, Alice Sheldon (1915-1987), connue de longues années sous le pseudonyme masculin de James Tiptree, Jr., n’écrivit que deux romans, dont un seul fut traduit en français (Par-delà les murs du monde, Folio SF/Gallimard). Cette ancienne psy qui bossait pour la CIA ne choisit pas uniquement d’écrire sous pseudo masculin pour des raisons de secret défense. 

Elle revendiquait hautement une différence, dont elle explore les linéaments dans ses fictions qui conjuguent à loisir les altérités. Entrée tardivement dans le fandom SF, à cinquante-deux ans, elle fut rapidement considérée comme "un auteur" majeur du genre. Vivant dans une quasi clandestinité, elle ne rencontrait personne et n’était joignable que par une boite postale. 

Ce côté secret attisait les curiosités et des doutes se répandirent sur sa véritable identité. Un malheureux concours de circonstances survient en 1977, quand sa mère meurt à l’hôpital de Chicago et que la notice nécrologique mentionne Alice Sheldon comme unique enfant de la défunte. Comme Tiptree avait fait part de son chagrin à ses amis, dont Robert Silverberg, les infos se recoupent et le magazine SF Locus révèle que "Tip] est en fait une femme, Alice Sheldon, soixante-et-un ans, mariée, psychologue en semi-retraite". 

Mais la réalité est peut-être tout autre. Des études récentes montrent que Tiptree semble avoir vécu ce "coming-out" (cet "outing" comme on dit maintenant) comme une réassignation violente et forcée à un genre de départ dans lequel elle ne voulait plus vivre. Son véritable "coming-out" transidentitaire et transféministe elle l’avait peut-être accompli dans son œuvre de SF. 



Le dossier que publie la revue Bifrost, porté par des études pertinentes signées Jean-Daniel Brèque ou Nathalie Mège en particulier, accompagné d’une bibliographie exhaustive, fera mieux connaître chez nous cette personnalité hors norme dont le même éditeur a publié récemment une novella significative, Houston, Houston, me recevez-vous? (Traduit de l’américain par Jean-Daniel Brèque. Une heure lumière/Le Bélial’, 2023).




James Tiptree Jr., Mother in the sky with Diamonds - Auteur : collectif – Bifrost # 115 Le Bélial’ – 190 pages – 11,90 € - ****
François Rahier 



mardi 19 novembre 2024

La mort est un métier




Dans la liste des romans où le tueur à gages est la figure normalisée d'un pacte social qui déraille, on retrouve bien sûr Lawrence Block en chef de file incontesté avec la série consacrée à Keller. Sébastien Gendron en France nous a régalés avec son personnage du "Tri sélectif des ordures", Dick Lapelouse, et Pascale Dietrich enrichit le catalogue en créant un personnage d'agent de tueurs parvenu au sommet de son art malgré des origines modestes. 




La recherche de nouveaux talents le mettra sur la route d'Alba, ex-championne de biathlon réformée pour raison médicale mais excellente au tir sur cible. 

Concurrence oblige, Anthony se retrouve avec un contrat sur sa tête et se réfugie dans un camping à Vierzon en compagnie de Thérèse, une vieille dame peu désireuse de rejoindre l'Ehpad auquel on l'a condamnée. Pascale Dietrich manie l'ironie décomplexée pour mettre en scène la rigueur de cette petite entreprise: la mort est leur métier.

L'Agent - Pascale Dietrich – Liana Levi – 208 pages – 20€ - *** 
Lionel Germain


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lundi 18 novembre 2024

Vous allez rire





Paul est un humoriste belge qui ne fait plus rire. Quand on le découvre avec sa femme Clémence et son fils Marius, il est en route pour les vacances, ruminant le sombre projet de les abandonner sur une aire de repos. Le déclic a eu lieu après un sketch sur le dérèglement climatique où déguisé en arbre, il s’est vu crucifié par la vanité de l’exercice. Comment un éclat de rire pourrait-il d’ailleurs entamer la torpeur de l’humanité face à la canicule ? 


Paul s’en va, annule son couple et se réduit au vide existentiel en attendant de comprendre ce que l’élan vital exige de radicalité. Vous allez rire mais le chagrin de Quentin Jardon est d’une modernité brûlante.

Le chagrin moderne - Quentin Jardon – Flammarion – 256 pages – 19€ - ****
Lionel Germain



mercredi 6 novembre 2024

Tout ou presque sur King

 



Avec ce livre, le suédois Hans-Ǻke Lilja, – patron de la célèbre Lilja’s Library - The World of Stephen King, le portail le plus complet et le plus consulté sur King depuis 1996 – offre un portrait du "Roi de l’Horreur" qui surprendra le lecteur en lui montrant à quel point King est plus qu’un écrivain de fantastique, mais aussi un auteur de livres pour enfants, un éditeur, un vulgarisateur, un acteur, un réalisateur et même un musicien. 


Lilja est un "geek absolu" et nous livre même le détail du recueil de nouvelles que son idole publia à 13 ans avec son ami Chris Chelsey, imprimé et relié à la main à une dizaine d’exemplaires. Le fan a pu interviewer le maître à deux reprises, privilège rare, et ses deux longs entretiens inédits avec King constituent l’épine dorsale du livre. 

D’anecdotes en anecdotes, sur le ton d’un bavardage amical, avec le maître comme avec son lecteur tout au long du livre, Lilja reste un peu à la surface des choses: on aurait aimé en savoir davantage par exemple sur la réflexion de King sur le Mal. 

La grande affaire de King, le Mal, car ce n’est pas gratuitement, par jeu, qu’il écrit, quand même, de l’horreur. Dans un livre toujours pas traduit en français, l’américain Douglas E. Cowan ne l’appelle-t-il pas "dark theologian" (America’s Dark Theologian : The Religious Imagination of Stephen King, New York University Press, 2018)? 

Certes, King, élevé dans la religion méthodiste mais non pratiquant, ne proclame pas comme James Ellroy qu’il est un écrivain chrétien, mais il dit: "Religion is a dangerous tool… but I choose to believe God exists", une dimension de sa personnalité sur laquelle on n’insiste pas assez. 

Le compatriote de Lilja, le romancier suédois John Ajvide Lindqvist, signe la préface de ce petit livre et Yannick Chazareng, auteur de l’indispensable Guide Stephen King (toujours disponible dans la collection Hélios aux Nouvelles éditions ActuSF) se charge, lui d’une postface éclairante.

"Stephen King: Not Just Horror" – Hans-Ǻke Lilja – ActuSF – 196 pages – 15,90 € - **
François Rahier



mardi 5 novembre 2024

Marilyn la dingue


Il faudrait pouvoir oublier tout ce qu'on a déjà dit sur James Ellroy avant d'évoquer ces "Enchanteurs", deuxième épisode d'un Quintette sur Los Angeles. Depuis la trilogie Hopkins des années 80, on a manié l'encensoir et parfois la censure ou l'ellipse pour cerner le monstre littéraire. 

Au rayon des contradictions, lors d'une de nos rencontres pour la parution d'American Tabloïd, il déclarait en avril 1995 à Sud-Ouest: "Robert Kennedy avait une morale forte et comprenait très bien ce qu'était son père." Aujourd'hui, "Les Enchanteurs" n'épargne plus Bobby, "homme de main" de John, qui participe au complot contre Marilyn. 

Contradiction aussi sur sa posture. À l'époque, il se félicitait de son hypothétique sortie du "ghetto" de la littérature de genre. Désormais, il se revendique comme un auteur de romans noirs, une étiquette sous laquelle il vend dix fois plus de livres en France qu'aux États-Unis. 

Mais c'est du côté des constantes que le meilleur nous est offert. Tous les romans d'Ellroy donnent à entendre la voix des corrompus, des corrupteurs et des obsédés



Dans "Les Enchanteurs", on retrouve Freddy Otash, déjà en première ligne dans "Extorsion". Le journaliste voyeur prête son œil au lecteur pour découvrir les "dessous" de Los Angeles. Le 4 août 1962, Marilyn Monroe a lâché la rampe. Les feux sont braqués sur cette mort et les conséquences qu'elle peut avoir sur la Présidence de Kennedy. Kenneth Anger avec "Hollywood Babylone" avait effeuillé le catalogue des perversions. Ellroy le réinvente. 



Marilyn est une cinglée, la Cité des Anges est le refuge des âmes damnées. C'est cette part d'ombre et seulement cette part d'ombre qui fascine Ellroy. Une énergie vénéneuse dopée par la jouissance de toutes les transgressions parcourt ce nouvel épisode. Si vous cherchez la lumière, passez votre chemin. "Les Enchanteurs" est un grand roman. Noir.

Les Enchanteurs – James Ellroy – Traduit de l'américain par Sophie Aslanides et Séverine Weiss – Rivages – 672 pages – 26€ - ****
Lionel Germain


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lundi 4 novembre 2024

"Étranges étrangers"


"Tiré d'une histoire vraie", c'est la formule consacrée qu'emploie Agnès Jésupret, écrivain public, comme on qualifiait autrefois les porte-plumes au service des autres. Mais à travers le témoignage de Clara Ignorante, petite fille d'émigrés siciliens, la forme romanesque contribue davantage à nous faire partager le destin de cette famille de colons.


 
Parfois angoissante et toujours un peu douloureuse, l'expérience du départ commence à Caltanisseta, petit village où la terre n'a plus rien à offrir aux grands parents de Clara. Direction la Tunisie. Au début du Vingtième Siècle, le pays représente un eldorado pour ces Italiens. Beaucoup deviendront des Français, par intérêt mais aussi par fidélité à cette culture très proche qui leur offre un sort enviable à côté des Arabes condamnés à ne rester qu'une main d'œuvre corvéable à merci. 



La Seconde guerre mondiale va changer la donne. Les rafles de Juifs bouleversent l'ensemble des communautés que divise le choix d'une allégeance entre la France collaborationniste et l'Italie fasciste. Enfin le réveil de l'identité arabe encouragé par les pressions des armées alliées va contribuer à l'effondrement du paradis colonial.

En 1956, le processus d'indépendance est engagé et l'exil à l'envers commence. L'histoire de Clara Ignorante est aussi une histoire de règlements de comptes, d'intégration ratée, de découverte d'un pays, la France, qui considère ces Siciliens comme des Arabes. Un très difficile retour au réel de la décolonisation.

Les os noirs - Agnès Jésupret – Liana Levi – 192 pages – 19€ - ***  
Lionel Germain



mercredi 16 octobre 2024

La fable du changement






C’est l’histoire d’une conductrice de Reines, ces vastes vaisseaux spatiaux destinés à essaimer dans la galaxie la matière qui fait naître la vie. Un jour son errance à travers le grand Vide de l’espace la conduit sur le système Texi-221, une étoile de type naine jaune autour de laquelle gravitent trois planètes telluriques et leurs lunes. 



Ici, la vie des êtres vivants s’organise autour de la Rotation, une étrange migration qui laisse cycliquement une terre en jachère: "Sous notre étoile, nous n’habitons pas toujours les mêmes terres. Nous disons, une sphère pour les hommes, une sphère pour les Bêtes, une sphère pour le Monde".

L’hypothèse de la panspermie, soutenue entre autres par le physicien – et auteur de SF – Fred Hoyle (1915-2001), cette idée que la vie sur Terre et ailleurs aurait pour origine un ensemencement dirigé ou non à partir de germes venus de l’espace, est un peu à la base de ce petit roman. 

Mais le ton est plus généralement celui d’une fable utopique et écologique où l’auteur s’intéresse davantage aux conséquences psychologiques et sociales de la Rotation, la migration à l’occasion de laquelle, tous les 51 ans, les hommes en abandonnant leur planète, rompent avec leurs us et coutumes, leurs habitudes de vie, leur famille, pour tout recommencer sur une terre étrangère – avec une once de nostalgie, mais beaucoup d’attente de ce renouveau. 

Il flotte sur ce récit un peu de l’ambiance libertaire de "La Fête du changement", la belle nouvelle de Michel Jeury publiée en 1975 dans l’anthologie manifeste Utopie 75. C’était il y a presque 50 ans, chez le même éditeur, et dans la même collection, quasiment. 

Le livre de Chloé Chevalier, romancière et scénariste, qui a surtout écrit des fictions destinées aux jeunes adultes, paraît en effet dans la nouvelle collection "Le Labo" Ailleurs et demain, qui propose des fictions donnant à voir "le monde autrement. Une immersion dans des mondes imaginaires et un espace d’exploration de l’écriture". 

Les essaims - Chloé Chevalier – Le Labo Ailleurs & demain/Robert Laffont – 105 pages – 12€ - **
François Rahier