samedi 18 avril 2020

Tu ne tueras point


Entre les quatre murs du temple, c'est le diable qui mène le bal dans les romans de Jake Hinkson. Ce fils de pasteur deux fois primé en France pour "Sans lendemain" et "L'Enfer de Church Street", a certainement des comptes sérieux à régler avec son enfance au cœur d'une paroisse baptiste de l'Arkansas. 


Dans ce dernier roman publié par Gallmeister, c'est encore un pasteur qu'on retrouve à la manœuvre. Richard Weatherford, père de famille respecté, a commis l'écart impardonnable avec un jeune homme qui le menace d'un impôt de trente mille dollars pour le prix de son silence. L'engrenage fatal dans lequel se broie le pasteur est l'occasion de revisiter les mystères d'une foi incapable du moindre secours envers son berger. Jake Hinkson a un sens prodigieux de la descente aux enfers.  




Au nom du bien – Jake Hinkson – Traduit de l'américain par Sophie Aslanides – Gallmeister – 320 pages – 22,60€ - ****
Lionel Germain




vendredi 17 avril 2020

Secrets d'Histoire


Chaque roman de Jean-Luc Aubarbier est une invitation au mystère et au voyage. Le mystère du "Code Télémaque" nous ramène au règne de Louis XIV et à l'étrange personnalité de Fénelon, aux complots permanents qui agitaient les milieux ultra-catholiques et ceux qui défendaient déjà un projet démocratique comme celui de Montesquieu. 




Pour le voyage, faisons confiance aux deux héros de l'auteur, les archéologues Pierre Cavaignac et Marjolaine Karadec. En 2003, alors qu'un presque inconnu s'apprête à publier son Da Vinci Code, le couple se risque au cœur d'une réserve indienne menacée par le Ku Klux Klan. Historien des religions, Jean-Luc Aubarbier utilise ses sources pour concocter des intrigues passionnantes.





Le Code Télémaque -  Jean-Luc Aubarbier – City – 304 pages – 18€ - *** 
Lionel Germain




jeudi 16 avril 2020

Cantique des quantiques




Un recueil de poèmes met un bouquiniste sur la trace d’amours singulières qui ont pour toile de fond un monde quantique où les temps fusionnent dans l’Incertitude du principe d’Heisenberg. L’aridité du propos est rachetée par la beauté d’une prose poétique qui immerge le lecteur dans la nostalgie d’un temps qui passe et revient, jamais le même. Un sous-texte malicieux ravira en même temps les amoureux des livres.





Le Temps fut - Ian McDonald - Traduit de l’anglais par Gilles Goullet - Le Bélial’ - 139 pages – 9,90€ - ****
François Rahier – Sud-Ouest-dimanche – 15 mars 2020



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mercredi 15 avril 2020

Un homme sans qualité


En nous livrant la face cachée d'un homme qui se pense lui-même sans qualité, Elizabeth Day dissèque le mensonge d'une amitié pervertie par la distance de classe. Il s'appelle Martin Gilmour et se retrouve un beau matin du printemps 2015 dans la salle d'interrogatoire d'un commissariat. 




Sous le feu croisé des questions posées par un couple de flics, il va devoir donner sa version d'un drame qui aurait pu coûter la vie à la femme de son meilleur "ami". Homosexualité refoulée, arrogance aristocratique, l'autrice fait merveille pour décaper les faux semblants d'une société britannique dont l'apparente frivolité masque une détermination féroce à maintenir ses privilèges.





L'invitation – Elizabeth Day – Traduit de l'anglais par Maxime Berrée – Belfond – 332 pages – 21€ - 
Réédition 10/18 (mai 2019) – 384 pages – 8,10€ -  ****
Lionel Germain



Lire aussi l'article d'Olivier Mony dans Sud-Ouest




mardi 14 avril 2020

Fin d'un monde


Ce n'est pas un polar mais c'est peut-être le "hors-champ" indispensable en cette période de rupture idéologique où les premiers de cordée sont priés de regarder avec moins de condescendance le tender de la locomotive. Les soutiers y manient la pelle à charbon qui alimente la machine et lui permet d'avancer. 



Ces hommes et ces femmes avaient disparu du paysage en vertu d'une "invisibilité" théorisée par les chroniqueurs de la première ligne. Le livre de Léon Cornec publié en 2019 chez Robert Laffont et dont la sortie chez Pocket coïncide avec les premiers ravages de l'épidémie, nous rappelle l'abandon programmé d'une "classe laborieuse" dont les savoir-faire ont été sacrifiés pour une rentabilité à court terme. Non, cette mondialisation-là n'est pas heureuse. 



L'auteur a partagé avec les soutiers du deuxième wagon cette souffrance inaudible. La SNCF n'est plus qu'une société volontairement perdue dans une galaxie de "boîtes" à fric incompatibles avec la notion de service public. Sur des chantiers apocalyptiques désertés par la fierté ouvrière, s'agitent des armées d'esclaves sommés de réaliser l'impossible pour que les trains continuent d'arriver dans les gares. "Sortie de rails" est un documentaire implacable sur ce qu'on ne veut ni voir ni entendre. 

Mais ce portrait des fantômes qui soudent nos voies ferrées sans casque, qui câblent des kilomètres par des nuits glacées, qui plongent dans les tunnels sans protection et qui terminent au petit matin dans le seul réconfort d'une ivresse meurtrière, ce portrait nous rappelle que d’autres fantômes, aujourd'hui, dans les couloirs de l'hôpital, sont en train de sortir de l'ombre.

Sortie de rails – Léon Cornec – Pocket – 144 pages – 6,95€ - ****
Lionel Germain




jeudi 9 avril 2020

Fantômes gaéliques




Invité par Huston en Irlande pour écrire le scénario de "Moby Dick", Bradbury fréquente surtout des poivrots fabuleux et rencontre Melville et sa baleine. Troisième et dernier volet d’une autobiographie teintée de fantastique, cette chronique tendre et burlesque se lit aussi comme un récit initiatique. De retour au pays on ne le considérera plus simplement comme un auteur d’histoires de martiens pour ados.




La Baleine de Dublin - Ray Bradbury - Traduit de l’américain par Hélène Collon – Denoël - 402 pages - 16€ - ****
François Rahier – Sud-Ouest-dimanche – 25 février 2018




mercredi 8 avril 2020

Une obsédante absence


Un recueil de nouvelles décline souvent les différentes couleurs d'une palette où le pinceau viendra chercher l'essentiel d'une œuvre plus dense. L'effet du kaléidoscope exhausse alors la singularité d'un roman aussi génial que le "Sukkwan Island" de l'Américain David Vann. Malgré les refus innombrables d'éditeurs pour cette histoire inspirée par le suicide du père de l'auteur dans le décor glacé de l'Alaska, le livre enfin publié en 2008, et en 2010 par Gallmeister, a eu un tel succès que l'éditeur français en propose aujourd'hui la réédition avec cet inédit, sa genèse en quelque sorte. "Le Bleu au-delà" rassemble des textes publiés sur une douzaine d'années, aux États-unis et au Royaume Uni.



Dès la première nouvelle, "Ichtyologie", la palette isole les pigments de "Sukkwan Island". Jim, le père, et Roy, son fils, se mesurent à l'aune du troisième comparse, la nature sauvage, juge de guerre et de paix, arbitre impitoyable d'une humanité défaillante. Dans ces rapports père-fils s'invite le personnage de "Rhoda" dans la nouvelle au titre éponyme. Une pièce rapportée, belle-mère, femme borgne et seconde épouse dont l'œil valide s'ouvre sur un monde indéchiffrable. 



Et soudain, c'est le fils qui vacille quand Jim se donne la mort. "Une légende d'hommes bien", collection de prétendants au rôle de substituts paternels, déroule alors le catalogue des introuvables aux yeux de l'adolescent. Le plus pathétique est l'oncle aux dents jaunes et aux pets sonores censés préparer l'adolescent à une virilité aussi douteuse que malodorante. La mort brutale de ce père se réduit à un questionnement sans réponse devant un petit tas de cendres. Elles figurent le paradoxe ultime d'une absence qu'on réactualise pour la transformer en légende.

Dans la lumière oblique du texte intitulé "clôture", Jim est réduit à cette idée insupportable du corps sans vie "affalé dans le fauteuil du bureau". Pour le fils, le suicide est une fin douloureuse mais ce n'est que le début d'un travail de mémoire où le merveilleux l'emportera sur le tragique, à la recherche d'un frémissement d'aile griffant l'azur dans "le bleu au-delà".

Le Bleu au-delà – David Vann –  Traduit de l'américain par Laura Derajinski  - Nouvelles Totem Gallmeister – 176 pages – 7,90€ - ****
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 8 mars 2020



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mardi 7 avril 2020

Amos Walker contre Ralph Poteet


"On s'éclate" met en scène le privé de Detroit Amos Walker dans une enquête sur un trafic d'armes. Dans son bureau, il y a toujours cette affiche de "Casablanca" qui renvoie à sa nostalgie pour les classiques. Le regard de Bogart lui semblant néanmoins de plus en plus méprisant, il l'a exilée sur un autre mur et l'a remplacée par une reproduction de la dernière bataille de Custer. Une façon, avec cette image de perdant, de conforter la mauvaise opinion qu'il a de lui-même. Dans "Tous des tricheurs", Amos Walker est sollicité par un ancien détenu noir qui veut récupérer les 200 000 dollars de butin du hold-up pour lequel il a été condamné injustement.
L'affaire de "La menteuse est sans pitié" va mettre en jeu l'ex-femme du détective et des agents de la CIA.  Il est contacté par une actrice sur le déclin pour livrer une grosse somme d'argent à un individu peu recommandable. Une intrigue plaisante même si on rit beaucoup moins qu'avec le surprenant Ralph Poteet.



C'est d'ailleurs comme s'il voulait se venger d'Amos Walker qu'Estleman met en scène dans "La soutane en plomb" ce détective complètement allumé. Entre deux gorgées de gnôle, la mission initiale de Ralph Poteet consistera à débarrasser la chambre d'une prostituée d'un curé aussi mort qu'encombrant. Truffée de gags à la Westlake, on peut prescrire cette pochade à tous ceux qui n'aiment le noir que broyé.

"Deuxième enfant d'un ministre baptiste de l'Ohio et d'une secrétaire paroissiale qui s'était taillée quand Ralph avait dix ans, en emportant la collecte pour le nouveau toit de l'église et un organiste qui s'appelait Donald", le héros a été élevé à coups de Bible sur le crâne. Ça lui a valu un jour un décollement de la rétine et la perte de l'œil droit. Le courageux pasteur fut lui-même assassiné un peu plus tard par sa fille Ethel qui tenta de le découper au couteau électrique sans fil Black et Decker. Borgne et poivrot, Ralph n'est pas un personnage enclin au mysticisme et "La soutane en plomb" n'est qu'un formidable éclat de rire.



Tous des tricheurs – Loren D. Estleman – Série noire Gallimard
La soutane en plomb - Loren D. Estleman – Série noire Gallimard 
On s'éclate - Loren D. Estleman – Série noire Gallimard
La menteuse est sans pitié - Loren D. Estleman – Série noire Gallimard 
Lionel Germain




lundi 6 avril 2020

Elle court, elle court...




La rumeur, ce n'est pas seulement le bruit qui court à travers une petite cité balnéaire sur la présence d'une criminelle au statut protégé. Lesley Kara aurait pu se contenter de jouer avec les codes du thriller pour produire un bon suspense. Mais au-delà de la peur, le fait divers questionne les mobiles d'un enfant devenu l'assassin d'un autre enfant. Il y a souvent, derrière le vacarme assourdissant d'un crime, un silence meurtrier qui l'autorise.




La Rumeur – Lesley Kara – Traduit de l'anglais par Clara Gourgon – Les Escales – 384 pages – 21,90€ - *** 
Lionel Germain




samedi 4 avril 2020

Mieux que du prozac, trois Pronzini...


Trois malfrats bloqués par la neige dans un petit village de la Sierra Nevada vont semer la terreur chez les habitants. Un thriller écrit en 1974 qui nous offre une belle rencontre amoureuse entre un ermite et une femme trompée. Des personnages qui ont beaucoup de vérité comme toujours chez Pronzini.
Hidden Valley – Bill Pronzini – Traduit de l'américain par Gérard de Chergé - Rivages noir (1er mai 1988) - *** 





"Et me voilà enlevé, séquestré en pays montagneux par un inconnu masqué, qui m'annonce que ça durera treize semaines. Pourquoi? Et pourquoi treize? Et quelles chances avais-je de m'évader, enchaîné comme je l'étais?"
Nameless est pris en otage par un dingue qui l'enchaîne et l'abandonne en pleine montagne. Pronzini nous livre des digressions très maîtrisées sur le passé de son personnage. 
Le Carcan – Bill Pronzini – Traduit de l'américain par Noël Chassériau -  Série noire Gallimard (13 avril 1989)- ***  





Alcool et solitude pour Roger Giroux, photographe californien qui tente d'oublier ses déboires conjugaux dans les rues de la Nouvelle-Orléans pendant le carnaval. Malgré les accents joyeux de Bugle Call Rag, le malheureux  ne se sent pas vraiment en phase avec les débordements de la foule, et sa rencontre avec une muse mal intentionnée va le précipiter dans le chaudron du vaudou. Bon suspense.
Réédition française du roman paru sous le même titre en 1985 dans la collection Engrenage international des éditions Fleuve noir.
Mercredi des cendres – Bill Pronzini – Traduit de l'américain par Danièle et Pierre Bondil – 10/18 (septembre 1990)- **

Lionel Germain








vendredi 3 avril 2020

Violence conjugale


"Cette jeune femme au visage couvert de bleus, dans une ferme misérable, à deux pas du désert, entre Tucson et Yuma... Et moi, avec les souvenirs tout frais, intolérables, de mon épouse morte de fatigue... Non loin, cette banque pillée, et ces tueurs qui me traquaient, sans que je sache pourquoi... Décidément, c'était dur, la quête du bonheur."




Une surprise attend les amateurs de Bill Pronzini en lisant les premières pages de ce roman sans le "Nameless". Cette histoire charpentée comme un grand western met en scène, en 1879, un cow-boy solitaire perdu dans le désert tandis que dans une ferme isolée, une jolie jeune femme meurtrie redoute le retour d'un mari violent. Pronzini est un nostalgique des héros au cœur pur. Chef-d'œuvre insolite. 




La terre du bourreau – Bill Pronzini – Traduit de l'américain par Rosine Fitzgerald - Série noire Gallimard – **** 
Lionel Germain




jeudi 2 avril 2020

Kidnappings





Entre dystopie totalitaire et roman d’épouvante, le dernier King revient, encore et encore, aux enfants, disparus, exploités, martyrisés. Près de 800.000 tous les ans, dans la vraie vie aux USA. Ici un jeune surdoué est kidnappé, cloîtré dans un étrange institut aux côtés d’autres gamins aux pouvoirs étranges. Le propos est un peu convenu mais la magie de l’écriture du maître opère, dès la première page on embarque.




L’institut - Stephen King - Traduit de l’anglais (États-Unis) par Jean Esch - Albin-Michel - 600 pages – 24,90€ - ****
François Rahier – Sud-Ouest-dimanche – 22 mars 2020



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mercredi 1 avril 2020

Cinq cartes brûlées - Polar Express





Cinq cartes brûlées - Sophie Loubière - Fleuve noir - 352 pages - 17,90€ - ***



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La bielle et le clochard


"Moi, le privé sans nom, je n'ai aucun goût pour le trimard. Il a fallu pourtant que je m'y mette pour aller à la recherche d'un clodo. J'ai pris le dur et de sérieuses dérouillées. J'ai fréquenté le milieu de la cloche, nagé au fond d'un puits en compagnie de deux cadavres. Mais j'en suis ressorti avec la Vérité. Et elle n'était pas belle à voir." 




Nameless, le privé sans nom, se trouve contraint de dénicher un clochard pour une histoire d'héritage. Pour ce faire, il prend la route et campe dans les repaires de sans-abris. La traduction a pris, elle, un sacré coup de vieux, mais c'est peut-être ce qui fait le charme de cette série noire où les trains sont des "durs" qui font grincer leurs bielles.  






Prière d'incinérer – Bill Pronzini – Traduit de l'américain par Simone Hilling - Série noire Gallimard – ***
Lionel Germain