mercredi 6 novembre 2024

Tout ou presque sur King

 



Avec ce livre, le suédois Hans-Ǻke Lilja, – patron de la célèbre Lilja’s Library - The World of Stephen King, le portail le plus complet et le plus consulté sur King depuis 1996 – offre un portrait du "Roi de l’Horreur" qui surprendra le lecteur en lui montrant à quel point King est plus qu’un écrivain de fantastique, mais aussi un auteur de livres pour enfants, un éditeur, un vulgarisateur, un acteur, un réalisateur et même un musicien. 


Lilja est un "geek absolu" et nous livre même le détail du recueil de nouvelles que son idole publia à 13 ans avec son ami Chris Chelsey, imprimé et relié à la main à une dizaine d’exemplaires. Le fan a pu interviewer le maître à deux reprises, privilège rare, et ses deux longs entretiens inédits avec King constituent l’épine dorsale du livre. 

D’anecdotes en anecdotes, sur le ton d’un bavardage amical, avec le maître comme avec son lecteur tout au long du livre, Lilja reste un peu à la surface des choses: on aurait aimé en savoir davantage par exemple sur la réflexion de King sur le Mal. 

La grande affaire de King, le Mal, car ce n’est pas gratuitement, par jeu, qu’il écrit, quand même, de l’horreur. Dans un livre toujours pas traduit en français, l’américain Douglas E. Cowan ne l’appelle-t-il pas "dark theologian" (America’s Dark Theologian : The Religious Imagination of Stephen King, New York University Press, 2018)? 

Certes, King, élevé dans la religion méthodiste mais non pratiquant, ne proclame pas comme James Ellroy qu’il est un écrivain chrétien, mais il dit: "Religion is a dangerous tool… but I choose to believe God exists", une dimension de sa personnalité sur laquelle on n’insiste pas assez. 

Le compatriote de Lilja, le romancier suédois John Ajvide Lindqvist, signe la préface de ce petit livre et Yannick Chazareng, auteur de l’indispensable Guide Stephen King (toujours disponible dans la collection Hélios aux Nouvelles éditions ActuSF) se charge, lui d’une postface éclairante.

"Stephen King: Not Just Horror" – Hans-Ǻke Lilja – ActuSF – 196 pages – 15,90 € - **
François Rahier



mardi 5 novembre 2024

Marilyn la dingue


Il faudrait pouvoir oublier tout ce qu'on a déjà dit sur James Ellroy avant d'évoquer ces "Enchanteurs", deuxième épisode d'un Quintette sur Los Angeles. Depuis la trilogie Hopkins des années 80, on a manié l'encensoir et parfois la censure ou l'ellipse pour cerner le monstre littéraire. 

Au rayon des contradictions, lors d'une de nos rencontres pour la parution d'American Tabloïd, il déclarait en avril 1995 à Sud-Ouest: "Robert Kennedy avait une morale forte et comprenait très bien ce qu'était son père." Aujourd'hui, "Les Enchanteurs" n'épargne plus Bobby, "homme de main" de John, qui participe au complot contre Marilyn. 

Contradiction aussi sur sa posture. À l'époque, il se félicitait de son hypothétique sortie du "ghetto" de la littérature de genre. Désormais, il se revendique comme un auteur de romans noirs, une étiquette sous laquelle il vend dix fois plus de livres en France qu'aux États-Unis. 

Mais c'est du côté des constantes que le meilleur nous est offert. Tous les romans d'Ellroy donnent à entendre la voix des corrompus, des corrupteurs et des obsédés



Dans "Les Enchanteurs", on retrouve Freddy Otash, déjà en première ligne dans "Extorsion". Le journaliste voyeur prête son œil au lecteur pour découvrir les "dessous" de Los Angeles. Le 4 août 1962, Marilyn Monroe a lâché la rampe. Les feux sont braqués sur cette mort et les conséquences qu'elle peut avoir sur la Présidence de Kennedy. Kenneth Anger avec "Hollywood Babylone" avait effeuillé le catalogue des perversions. Ellroy le réinvente. 



Marilyn est une cinglée, la Cité des Anges est le refuge des âmes damnées. C'est cette part d'ombre et seulement cette part d'ombre qui fascine Ellroy. Une énergie vénéneuse dopée par la jouissance de toutes les transgressions parcourt ce nouvel épisode. Si vous cherchez la lumière, passez votre chemin. "Les Enchanteurs" est un grand roman. Noir.

Les Enchanteurs – James Ellroy – Traduit de l'américain par Sophie Aslanides et Séverine Weiss – Rivages – 672 pages – 26€ - ****
Lionel Germain


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lundi 4 novembre 2024

"Étranges étrangers"


"Tiré d'une histoire vraie", c'est la formule consacrée qu'emploie Agnès Jésupret, écrivain public, comme on qualifiait autrefois les porte-plumes au service des autres. Mais à travers le témoignage de Clara Ignorante, petite fille d'émigrés siciliens, la forme romanesque contribue davantage à nous faire partager le destin de cette famille de colons.


 
Parfois angoissante et toujours un peu douloureuse, l'expérience du départ commence à Caltanisseta, petit village où la terre n'a plus rien à offrir aux grands parents de Clara. Direction la Tunisie. Au début du Vingtième Siècle, le pays représente un eldorado pour ces Italiens. Beaucoup deviendront des Français, par intérêt mais aussi par fidélité à cette culture très proche qui leur offre un sort enviable à côté des Arabes condamnés à ne rester qu'une main d'œuvre corvéable à merci. 



La Seconde guerre mondiale va changer la donne. Les rafles de Juifs bouleversent l'ensemble des communautés que divise le choix d'une allégeance entre la France collaborationniste et l'Italie fasciste. Enfin le réveil de l'identité arabe encouragé par les pressions des armées alliées va contribuer à l'effondrement du paradis colonial.

En 1956, le processus d'indépendance est engagé et l'exil à l'envers commence. L'histoire de Clara Ignorante est aussi une histoire de règlements de comptes, d'intégration ratée, de découverte d'un pays, la France, qui considère ces Siciliens comme des Arabes. Un très difficile retour au réel de la décolonisation.

Les os noirs - Agnès Jésupret – Liana Levi – 192 pages – 19€ - ***  
Lionel Germain