vendredi 23 décembre 2022

Féminin trop singulier


L'Argentine projette l'identité floue de son incessant métissage. Même le tango, que Carlos Gardel n'a pas inventé, se fond dans une mémoire où l'Europe et l'Afrique ont leur part. Nicolas Giacobone, scénariste oscarisé pour "Birdman", est aussi le romancier de "Carnets clandestins" qui défait les mythes d'une industrie cinématographique dévoreuse de talents.




Avec "Boum, boum, boum", le vertige identitaire se délocalise de Buenos-Aires à New-York pour cinq personnages dont le hasard va les faire se croiser. Et ce qui les rassemble est aussi ce qui va les perdre. Homosexualité, incertitude du genre, prostitution artistique, les silhouettes s'affirment peu à peu par petites séquences dans une intrigue qui décale habilement la concordance des temps. 




Boum, boum, boum – Nicolas Giacobone – Traduit de l'espagnol (Argentine) par Margot Nguyen Béraud – Sonatine – 278 pages – 21€ - *** 
Lionel Germain




jeudi 22 décembre 2022

Vide-greniers


Il est correspondant local d'un "grand quotidien régional" du Sud-Ouest, son chien s'appelle Monk et son boulot consiste à traquer l'écho le plus près possible de ses lecteurs. On a déjà croisé Alexandre Loyla dans un premier épisode sobrement intitulé "Correspondant local". 



Le revoilà, une nouvelle fois en rupture de contrat, pour jouer les détectives aux trousses d'un manuscrit de Céline déniché dans un vide-greniers. Rythme et suspense qui nous font (re)découvrir les bords de Garonne où le grand-père du narrateur avait soldé sa retraite en visant le cochonnet. "On ne tuait pas le temps, ici, près de l'ancien kiosque à musique, on lui maravait la gueule façon Inspecteur Harry." Du rififi à Castelnau.




La nuit était chez elle – Laurent Queyssi – Alibi – 240 pages – 20€ - ***
Lionel Germain





mercredi 21 décembre 2022

La belle époque du merveilleux scientifique



Six récits de l’âge d’or du roman scientifique français, écrits de 1918 à 1935, entre Jules Verne et René Barjavel: savants fous, fins du monde, quatrième dimension. Une proto-sf dont le souvenir s’est perdu et qu’il est temps de redécouvrir. La préface érudite de Serge Lehman, qui a parrainé l'édition 2022 du Festival des Hypermondes à Mérignac, a été couronnée par le grand prix de l'imaginaire catégorie essai. Lehman insiste sur le fait que la SF est bien d’invention française et met judicieusement en évidence le lien méconnu du genre avec Alfred Jarry et la ‘pataphysique.


Maîtres du vertige - anthologie présentée par Serge Lehman - L’Arbre vengeur - 482 pages - 25€ - ***
François Rahier 



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mardi 20 décembre 2022

Polar Chouchen


Il faut se méfier des légendes, elles ne sont pas réductibles à des coups de vent littéraires. Dans un pays de tempêtes, où la terre met fin au monde visible, les légendes ont une chair plissée par les embruns. Le héros journaliste de Stéphane Pajot lui ressemble assez pour incarner ce petit fils d'une fée de Brocéliande. 




Des cyclistes disparus une nuit dans les phares d'une voiture pilotée par deux fêtards alcoolisés. Mais davantage qu'une enquête sur les lâchetés du monde réel, Stéphane Pajot nous offre un voyage dans les mystères de l'âme bretonne et du Val sans retour. Surréalisme et polar Chouchen en pays de Paimpont. 






Meurtres en Bretagne – Les disparus ne le sont jamais vraiment – Stéphane Pajot – Le Geste noir – 200 pages – 13,90€ - *** 
Lionel Germain




lundi 19 décembre 2022

Comme un des Beaux-Arts


Un temps professeur de mathématiques, mais surtout auteur à horizons multiples (de la SF au polar en passant par le scénario de bande dessinée), nouvelliste à "Hara-Kiri et au "Fluide glacial", François Darnaudet est la figure même de l'écrivain populaire du Vingtième Siècle, à l'image d'un G.J. Arnaud.



"L'Amore aux trousses" donne un nouvel épisode aux aventures d'Igor Leroux, le détective privé qu'on a découvert dans "Le Fauve du meilleur crime". C'est décidément Angoulême le point de ralliement de l'amateur de frissons. Igor Leroux dont la filiation est incertaine est malgré tout l'héritier d'une tradition qui réunit Marlowe et Rouletabille. Le suspense autour de la mort d'un étudiant de l'école de jeux vidéo est l'occasion d'une échappée belle sur les traces de Boris Vian.




Boire sec, recevoir des coups et en donner, chevaucher sa moto comme le cow-boy solitaire du western, mais prendre aussi le temps de découvrir le poète Nelligan, voilà qui donne à ces aventures l'élégance du feuilleton à l'ancienne. Et ce n'est jamais l'assassinat qu'on peut "considérer comme un des beaux-arts" mais l'envoûtante petite musique de celui qui en parle.

L'Amore aux trousses – François Darnaudet – SO noir – 272 pages – 19€ - ***

Lionel Germain 



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vendredi 16 décembre 2022

Ménage à trois


"L'eau rouge", le premier roman de Jurica Pavicic publié en France par les éditions Agullo s'emparait d'un fait-divers avant d'élargir le champ sur l'éclatement de la Yougoslavie à la fin des années quatre-vingt. "La femme du deuxième étage" le rétrécit à la sphère familiale sans rien perdre de la puissance romanesque des personnages.

En tombant amoureuse d'un marin, la petite Bruna, lie son destin à celui d'une belle-mère, Anka, d'un absent, Frane le marin, et d'une belle-sœur pas vraiment accueillante.


"Madame Anka Saric était une femme grande, corpulente, aux hanches larges, semblable à une poule couveuse veillant sur ses œufs."
Pour Frane dont la mère est victime d'une attaque cérébrale, la garder chez lui est plus une affaire d'honneur que d'affection filiale. Au-delà des apparences, Jurica Pavicic décrit avec subtilité l'enfermement silencieux de Bruna, prisonnière d'une intrigue familiale qui va la condamner au pire. Soumise peu à peu au déterminisme de sa condition, femme qui ne se sent jamais désirée, et finalement otage d'une belle-famille hostile.



La femme du deuxième étage – Jurica Pavicic – Traduit du croate par Olivier Lannuzel – Agullo – 240 pages – 21,50€ - ***
Lionel Germain




jeudi 15 décembre 2022

Mais qui se souvient de Delphes?




Un peu comme l’ouragan du roman qu’il avait consacré à Katrina il y a quelques années, la marée humaine qui déferle dans Athènes au début de ce nouveau livre de Laurent Gaudé signe la fin d’un monde. Mise à l’encan, rachetée par une multinationale, la Grèce est démembrée puis vendue par morceaux, ses habitants fuient en masse. Si la quasi mise en faillite du pays au moment du gouvernement Tsipras vient tout de suite à l’esprit du lecteur, la violence de la répression évoque aussi l’époque des colonels et Z, le film de Costa-Gavras.



Mais cette fiction s’élève au-dessus de l’histoire et de ses contingences. Le futur proche dans lequel elle s’inscrit est celui d’une possible prise de contrôle des états par les puissances d’argent, un monde privatisé où les citoyens sont devenus des "cilariés" – le néologisme indiquant à l’évidence que les non-salariés ne seront peut-être plus des citoyens… 

Parqués dans des cités sous globe qui les protègent plus ou moins d’un climat devenu fou selon la catégorie à laquelle ils appartiennent, hyper-connectés mais en même temps étroitement surveillés, la plupart survivent, abrutis de propagande, sous l’emprise de drogues hallucinogènes, dans l’attente de greffes qui leur assureraient un répit illusoire. 

Entre thriller et dystopie le roman raconte l’aventure d’un flic issu des bas-fonds, qui enquête sur des meurtres horribles. Dans ce monde anonymé où les quartiers, les rues ne sont plus que des numéros, ce grec se souvient d’Athènes, des rues de Plؘáka, du vent du cap Sounion. Et ici, le roman noir se mue en un long poème en prose dont les ultimes chapitres évoquent Delphes et ses nuits plus grandes que le ciel. 

"Les soirs d’été, lorsque le soleil décline doucement, c’est l’immortalité qui vous glisse sur la peau". Le sous-texte de ce beau livre affleure dans le chant profond qui le clôt, tout à la gloire d’Ithaque, chantée par Homère et Constantin Cavafy.

Chien 51 - Laurent Gaudé - Actes Sud - 291 pages - 22€ - ****
François Rahier



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mercredi 7 décembre 2022

Anticiper, au carrefour des possibles


Contrairement à une idée reçue, les auteurs d’anticipation sont en général assez réservés en ce qui concerne les extraterrestres: ce sont les grands absents chez Clarke, - et Asimov, quand il les met en scène, paraît s’en amuser, comme Dick.  En revanche, ils ont la part belle dans la BD ou au cinéma. En 30 ans de carrière et plus de cinquante livres, c’est la première fois que Pierre Bordage aborde le thème. 



Mais l’odyssée spatiale de son "Dixième vaisseau", lancé vers une lointaine galaxie où viennent d’être détectées les traces d’une activité intelligente, n’est pas qu’une quête de l’Autre. Les Aliens sont déjà là, aux commandes, dans l’équipage, et par bienveillance, pour gommer ce qu’il y a tout de même d’exclusion dans la notion d’altérité, en ce lointain futur on les appelle ENHNA, "Êtres non humains non animaux". 




L’auteur excelle dans ses descriptions et ses dialogues, à rendre présentes, sensibles, ces créatures, témoignant d’un respect de la vie sous toutes ses formes. Marqué par la pensée indienne, le spiritualisme de Bordage, semble devoir l’amener à écrire des histoires optimistes. Mais "la SF ne parle pas de futur, elle parle de nous, de nos peurs, l’époque moderne porte en elle des germes de destruction", écrit-il. 

"Métro Paris 2033" imagine la survie d’une population réfugiée dans les bas-fonds de la capitale après une guerre nucléaire qui a rendu la surface irrespirable: une vision hallucinée qui tient du récit hugolien, entre "Misérables" et "Notre-Dame de Paris", avec une cour des miracles où se jouent de pitoyables conflits de pouvoirs dans une atmosphère de Bas-Empire. Ce cycle, qui s’achève avec "Cité", s’inscrit dans un beau projet européen initié par l’écrivain russe dissident Dmitry Glukhovsky.

Le Dixième vaisseau - Pierre Bordage – Scrinéo - 430 pages - 21€ - ****
François Rahier



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lundi 5 décembre 2022

Aux frontières de l'Europe


L'Europe a ses maillons faibles, et vu du Nord, ils sont tous au Sud. Espagne, Grèce, Italie, ils ont tous aussi en commun des héros de polar qui combinent un sens aigu de la justice et une désillusion achevée sur le ressort national. Valerio Varesi à Parme qu'on a découvert grâce aux éditions villenavaises "Agullo", le sage commissaire Brunetti de Donna Leon à Venise, le jeune inspecteur madrilène imaginé par Juana Salabert dans "La règle d'or" publié chez Métailié, et cet Agent Evangelos d'Athènes que nous propose Nicolas Verdan, partagent le même sentiment d'impuissance devant une certaine forme de crime. 


"Le crime est notre affaire" proclame justement la collection Fusion des éditions nantaises de l'Atalante, et c'est elle qui accueille cette réédition de l'écrivain suisse. Mais un Suisse qui connaît sa Grèce sur le bout des doigts. 
Si l'escapade dans les coulisses de Frontex est le fruit d'un vrai travail de journaliste, le roman, lui, s'arrime aux déambulations d'Evangelos, préretraité fatigué des compromissions alors que les enchères pour la construction d'un mur anti-immigration se révèlent  meurtrières.



Le mur grec – Nicolas Verdan – L'Atalante Fusion – 240 pages – 18,50€ - ***
Lionel Germain



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vendredi 2 décembre 2022

Une ombre au tableau


Notre histoire de France est ainsi faite: la Guerre de 40 n'a pas simplement opposé les "bons" Français aux "méchants" Allemands. Devançant parfois la ferveur nazie à préparer l'holocauste, dans un pays pourtant humilié et saigné à blanc, une quantité déraisonnable de fripouilles a succombé à la tentation du pillage et de la délation. Chaque ville de France a ainsi eu ses martyrs juifs dépossédés de leurs entreprises ou de leurs biens.


C'est à partir d'un tableau exhumé lors d'un déménagement, que le narrateur de Benoît Séverac découvre l'histoire du peintre juif que ses grands-parents auraient caché pendant l'Occupation. La quête pour leur accession au titre de "Justes" va au contraire déraper en Israël quand les autorités accusent le petit-fils de vol. Il faudra un retour dans les Cévennes en 1943 pour tenter de suivre le destin du peintre et le rôle exact des grands-parents dans sa disparition. 




Avec une bifurcation de l'exil en Espagne, le roman nous rappelle la mascarade d'une neutralité franquiste face au Reich et à la France du Maréchal. Une douloureuse leçon d'Histoire.

Le Tableau du peintre juif – Benoît Séverac – La Manufacture de livres – 320 pages – 20,90€ - *** – 
Lionel Germain



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mercredi 30 novembre 2022

L'homme qui aimait les arbres


Presque un livre de saison, l’été indien, les érables à perte de vue qui incendient l’horizon, des forêts qui ont brulé, déjà, la chasse, la pêche, l’odeur du bacon grillé au petit matin. La nature vierge, et en face des hommes qui l’aiment, d’autres qui ont fait un pas de côté, et c’est comme ça qu’on rencontre le mal peut-être. Ce florilège du grand auteur canadien a un siècle, et pas une ride. On rapproche Blackwood de Lovecraft, mais ici c’est à J. O. Curwood que l’on pense, d’abord. L’horreur est un point de vue. Parfois il est difficile à l’homme d’appréhender le mystère qui git au fond des choses.


La Forêt pourpre - Algernon Blackwood - Traduit de l’anglais (Canada) par Romane Baleynaud - L’Arbre vengeur - 203 pages - 20€ - ****
François Rahier



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lundi 28 novembre 2022

Mortelles randonneuses


Comme l'indique malicieusement le sous-titre des polars publiés par les éditions Lajouanie, "roman pas policier mais presque…", le livre d'Yvan Robin prend davantage ses repères dans le noir bitumineux que dans la grisaille procédurière d'une série B. 

On se perd en frissonnant à la périphérie d'un village où la forêt inspire sa propre légende à la mode du Gévaudan. On partage la frayeur de Souleymane, clandestin traqué et en fuite perpétuelle devant l'interdiction de séjour. L'organisateur de cette "vigilance citoyenne" chargée de traquer les intrus, c'est le mari de Blanche. Quant à l'épouse brimée, elle s'apprête à basculer dans une radicalité contrainte pour échapper au machisme local. 




De l'employé de mairie au médecin de famille en passant par l'agriculteur ou l'instit, tous les hommes ont la colère ciblée contre l'étranger qui rôde sur leur territoire. Yvan Robin a la phrase leste et la syntaxe à vif pour décrire la curée qui se prépare. Mais c'est sans compter sur les femmes. Quand elles se mettent en mouvement derrière celle qui devient "la Fauve", les proies se transforment en mortelles randonneuses.




La Fauve – Yvan Robin – La Jouanie – 176 pages – 15€ - ***
Lionel Germain 



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vendredi 25 novembre 2022

La vengeance du Petit Poucet


Colin Niel, dont le roman "Seules les bêtes " a été adapté au cinéma par Dominique Moll, est aussi le chroniqueur des lointains avec sa série guyanaise dont le titre "Obia" en 2015 a collectionné les prix. Un décor qu'on retrouve dans "Darwyne" et qui abrite les protagonistes d'une intrigue éprouvante. 



Un enfant handicapé de 10 ans, sa mère Yolande et Johnson, le huitième beau-père, forment une famille dysfonctionnelle au cœur de la jungle amazonienne. Le petit Darwyne Massily est un fils amoureux de sa mère qui l'humilie avec une constance et une férocité glaçante. Le huitième beau-père n'est pas un mauvais bougre mais la maltraitance est presque un héritage impossible à refuser. Pour Mathurine, qui travaille au service de la protection de l'enfance, la mission est difficile. 



Derrière le bidonville, il y a la jungle dont l'enfant handicapé expertise la faune et la flore. Colin Niel en fait un refuge meurtrier qui renverse la logique du conte. Que sont devenus les sept premiers beaux-pères? Roman sans concession sur la violence familiale, "Darwyne" est aussi le magnifique portrait d'un enfant sauvage.

Darwyne – Colin Niel – Rouergue – 288 pages – 21,50€ - **** 
Livre de poche – 320 pages – 8,90€ 
Lionel Germain 



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mercredi 23 novembre 2022

La Dame de l'espace


Qu’elle ait scénarisé pour Howard Hawks des films éminemment genrés, un polar, plusieurs westerns dont l’iconique "Rio Bravo", n’étonne plus aujourd’hui. Leigh Brackett a été aussi pour beaucoup dans le succès de "L’Empire contre-attaque" de George Lucas dont elle a écrit le script. Son sens du merveilleux imprégnait déjà l’intégrale de son cycle de Mars réédité en ce moment: chefs d’œuvre de fantasy davantage que de SF, ces romans et ces nouvelles nous font parcourir les contrées du rêve, magnifiées par le romantisme visionnaire d’un véritable écrivain. Michael Moorcock signe une préface éclairante au recueil. 


Le Grand Livre de Mars - Leigh Brackett - Textes français revus par P.-P. Durastanti - Le Bélial’ - 548 pages – 24,90€ - **** 
François Rahier




lundi 21 novembre 2022

Ventouses de plateau


Certains métiers gagnent à être connus. Ceux du cinéma offrent un éventail de carrières parfois loin des projecteurs comme ce job de "ventouse". "La ventouse, comme une ventouse à chiottes. Sûrement que ça vient de là d'ailleurs, parce qu'on se tape le boulot le plus merdique de l'usine à rêves: garder les places vides dans les rues pour que les camions de tournage se garent." Didier occupe la place depuis vingt-ans. Et Simon François a su trouver le ton et le tempo d'un polar dans l'air du temps, forcément maussade quand on met son nez dans les combines des gens puissants.


Le prologue dans les coulisses de certains riads de Marrakech donne un indice sur l'étendue du chantage envisagé par un flic marocain, et le meurtre d'une vedette du grand écran offre à une journaliste l'occasion d'une enquête à hauts risques. Avec l'aide de la "ventouse", bien décidée à échapper à cette relégation, ils vont remuer la boue dans des milieux où la fortune est un gage d'impunité. Pour son premier roman, Simon François, chef monteur et réalisateur, nous offre un personnage sympathique, inattendu et à fleur-de-peau.



Les portes étroites – Simon François – Le Masque – 264 pages – 20€ - ***
Lionel Germain



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vendredi 18 novembre 2022

Cloaque à clics



Quand Jakub Szamalek s'attaque aux abysses du Darknet, il y va avec une certaine expertise des profondeurs. Archéologue de formation, il est aussi dans le trio de créateurs du jeu vidéo "The Witcher". "Tu sais qui" est le premier volet d'une trilogie où apparaît la jeune journaliste Julita. Son enquête sur un accident de la route fatal à un acteur célèbre permet de comprendre une partie du monde de la presse polonais réduit à sa version en ligne. Pour des milliers de "clics" à convertir en zlotys, on y défie la concurrence avec des annonces scandaleuses. Suspense efficace sur la spirale effrayante du harcèlement cyber.


Tu sais qui – Jakub Szamalek –Traduit du polonais par Kamil Barbarski - Métailié noir – 464 pages – 22,90€ - ***  
Lionel Germain 



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mercredi 16 novembre 2022

Un bonheur insoutenable



Hazel est mariée au PDG de Gogol Tech, un empire technologique qui, après avoir révolutionné la communication, veut changer la vie et faire évoluer l’amour, proposant de connecter le cerveau des amants en créant un réseau à deux. La jeune femme fuit ce bonheur insoutenable et se réfugie chez son père… Dans le vrai monde? Elle s’aperçoit que son mari lui a implanté une puce à son insu et trouve son géniteur en train de déballer la poupée gonflable qu’il vient d’acheter pour ses vieux jours! Cette comédie grinçante sur un monde obnubilé par la technique et la prospérité vient d’être adaptée en série TV.


Made for love - Alissa Nutting - Traduit de l’anglais (États-Unis) par Catherine Richard-Mas – Gaïa - 327 pages – 22,50€ - ***
François Rahier




lundi 14 novembre 2022

Zofia mène l'enquête


Bovary sans le désir amoureux, c'est un peu le portrait paradoxal qu'on pourrait faire de l'héroïne de ce roman polonais écrit sous pseudonyme. On est à Cracovie en 1893 et Zofia est une femme au foyer mariée à un prof d'université, un poste prestigieux dans cette ville au confluent de trois empires promis à la disparition. Le désir de Zofia se consume dans la quête de respectabilité. La voilà par intérêt engagée dans une cause caritative. Et c'est au cœur d'une maison de retraite que la mort d'une résidente la transforme en détective amateur. Ce roman est le premier d'une série située à Cracovie au 19e siècle. 


Madame Mohr a disparu – Maryla Szymiczkowa – Traduit du polonais par Marie Furman-Bouvard – Agullo – 352 pages – 21,50€ - **
Lionel Germain




mercredi 9 novembre 2022

l'homme machine et les sous-êtres



Ce texte emblématique de l’âge d’or des pulps est paru en 1932 dans la revue Amazing Stories  dirigée par l’inventeur de la "scientifiction" Hugo Gernsback. Une préface érudite de Francis Saint-Martin met en évidence tout l’intérêt de cette dystopie qui se déroule sur fond de lutte des classes: une planète lointaine perdue dans la nuit des temps ou les brumes de l’avenir, une guerre sociale, et l’intervention de machines surpuissantes et autonomes qui deviennent vite une menace pour l’homme. Le livre est édité par les étudiants de la licence professionnelle Métiers du Livre de l’IUT Bordeaux-Montaigne.


La Révolte d’Ardathia - Francis Flagg – Traduit de l'américain par France-Marie Watkins et Georges H. Gallet - L’Apprentie - 117 pages – 9,90 € - ****
François Rahier 




vendredi 21 octobre 2022

La liquidation des âmes


Toucher le pactole est un rêve entretenu par tous les lobbies des jeux de hasard même si le Pactole de la légende se révèle en fait comme le fleuve du renoncement pour Midas. Dans le dernier roman de Joseph Incardona, cette aspiration à la fortune se paie d'une abdication radicale. Anna, une jeune femme qui n'a pas grand-chose à part son fils Léo, a tout perdu après un accident. 


Son camion-rôtissoire dans le fossé, elle n'a plus que des dettes et le mirage des 50 000 euros à gagner dans un jeu télévisé. La cruauté du monde suit le cycles des crises, des dépressions qui se creusent au large de nos périodes fastes, et on retrouve dans "Les corps solides" le désespoir des marathoniens de la danse de "On achève bien les chevaux" décrits par Horace McCoy. Chômeurs, paumés, marginaux, ils sont plusieurs avec Anna sous les projecteurs à poser la main sur cette voiture qu'il ne faudra plus lâcher sous peine d'être éliminé. 



L'absurdité a un sens, la souffrance est un spectacle, les âmes sont à vendre, et le marché est féroce. Un peu plus loin, il y a l'océan, le surf pour Léo, et cette idée que seule une âme bien trempée peut renaître.   

Les corps solides – Joseph Incardona – Finitude – 272 pages – 22€ – ***
Lionel Germain



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jeudi 20 octobre 2022

Le sillage de Vidocq



Il porte un nom qui déjà flaire l'aventure littéraire. Valentin Verne, jeune inspecteur des Affaires occultes, devrait également séduire les amateurs de polars historiques. Après les "journées de Juillet" et l'échec de Charles X, voici les années trente du dix-neuvième siècle et le règne de Louis-Philippe. Ésotérisme et avancées scientifiques se chargent de dérouter les enquêteurs aux trousses du nouvel ennemi public surnommé le Vicaire. Mais le mystère plane aussi sur la personnalité du jeune Valentin dans cette traque où Vidocq fait de la figuration.  



Le Bureau des affaires occultes – Éric Fouassier – Albin Michel – 368 pages – 20,90€ - *** 
Lionel Germain




mercredi 19 octobre 2022

Les lendemains qui chantent ?





Après une série d’anthologies militantes, consacrées entre autres au travail ou à la santé, ce nouveau volume se penche sur la solidarité. À contre-courant du post apo et des futurs qui déchantent, les auteurs des 14 nouvelles se projettent dans un "à venir" où l’attention à l’autre, l’entraide et le vivre-ensemble deviendraient des priorités. 




Quatre "conversations" à plusieurs voix rythment l’ensemble, où des chercheurs interrogent la notion de solidarité, face aux grands enjeux du futur proche, le vieillissement de la population et le réchauffement climatique par exemple. Un ouvrage soutenu par la Fondation Cognacq-Jay.


Nos futurs solidaires - sous la direction d’Ariel Kyrou - Laboratoire des solidarités/ActuSF - 380 pages – 17,90€ - ***
François Rahier 



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mardi 18 octobre 2022

Nuit écossaise


Les couples d'enquêteurs encombrent les étagères des librairies mais celui que propose Greg Buchanan dans son premier roman est un mélange de feu et de glace. Pas des personnages de série, mais des "figures" hantées par la mort qui les dépouille avant l'heure. 




Lui, Alec, est flic, elle, Cooper, est vétérinaire. Le 16 du titre fait référence au nombre de chevaux morts découverts dans les marécages d'Ilmarsh. Greg Buchanan restitue avec justesse le décor faussement rassurant de cette campagne écossaise. Surtout, il nous embarque au plus loin de la nuit dans laquelle Alec et Cooper entremêlent désir et terreur. Adaptation en cours pour Gaumont télévision.





16 – Greg Buchanan – Traduit de l'anglais (GB) par Elsa Maggion – Calmann-Lévy – 486 pages – 21,90€ - *** 
Lionel Germain




lundi 17 octobre 2022

Frisson d'atome


La deuxième de couverture nous présente un souriant jeune homme coiffé d'un feutre qui nous vient tout droit du Québec. Si "Les Mares-Noires" est son premier roman publié chez Belfond, ça fait déjà une dizaine d'années qu'il enrichit sa bibliographie depuis "La Dérive des jours" où le thème de la catastrophe était déjà le moteur de l'intrigue. Ici, ce n'est pas l'eau qui menace mais les réacteurs qui s'emballent dans la centrale nucléaire.



Il y a des victimes dont le père d'une fillette. L'enfant va vivre au rythme d'un refoulé de haine que sa mère lui inflige en punition de son propre deuil. Ce rapport d'une férocité tout aussi meurtrière que l'atome en fusion est le vrai sujet du livre. Jonathan Gaudet raconte les dommages collatéraux du désamour maternel avec un twist final qui n'a rien d'un happy-end.






Les Mares-noires – Jonathan Gaudet – Belfond – 368 pages – 20€ - ***
Lionel Germain




vendredi 14 octobre 2022

Touristes clandestins


Fêtons la trentième de Brunetti. Le commissaire vénitien de la très américaine Donna Leon accompagne ses lecteurs dans une vision de plus en plus désabusée de la lagune et de son avenir en passe de sombrer en mer.


Dans ce dernier épisode, deux étudiantes américaines sont débarquées en catastrophe dans un sale état aux urgences. Et Brunetti est persuadé que les hommes qui les ont abandonnées devant l'hôpital ne sont pas de gentils gondoliers. Devenu flemmard et routinier, le commissaire a gardé son côté accrocheur et malgré les barrières de classe entre Laura, capitaine des carabiniers, et les Vénitiens de souche, ils vont former une équipe efficace pour traquer les escrocs dont les bateaux se remplissent la nuit de touristes clandestins.


Brunetti observe avec amertume l'effondrement de Venise pendant que les comités internationaux se bousculent pour sa survie dans les cinq étoiles. Sa façon d'affronter l'outrecuidance des puissants en jouant les "Colombo", servile et soumis, son rapport à cette violence qui lui fait horreur en font un personnage unique et attachant.

Les Masques éphémères – Donna Leon – Traduit de l'américain par Gabriella Zimmermann – Calmann-Lévy – 342 pages – 21,90€ - *** 
Lionel Germain



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jeudi 13 octobre 2022

Les ailes coupées



Pour son premier roman, Anna Tommasi dévoile un savoir-faire surprenant. L'histoire d'Alice, cette jeune femme de retour à Perros-Guirec après des années d'absence, est rythmée par les chausse-trappes traditionnelles du genre: secret familial, mémoire trahie, passé anxiogène et événement traumatique. Ici, c'est la disparition d'une petite sœur 25 ans plus tôt et le caractère inachevé de l'enquête que ravive la disparition d'une autre fillette. Un savoir-faire surprenant parce qu'au-delà du dénouement terrible, Anna Tommasi se glisse à la première personne derrière la voix singulière d'Alice. 


La nuit des anges – Anna Tommasi – Préludes – 320 pages – 18,90€ - *** 
Lionel Germain




mercredi 12 octobre 2022

La Ville au bord du temps


Premier livre d’un jeune auteur thaï à l’écriture prometteuse, ce roman choral brosse par touches successives la chronique d’une ville-monde, du XIXe siècle aux années 2070 et à la submersion annoncée. On pourrait s’attendre à une fresque épique où l’histoire aurait sa part – et son poids. C’est une série de tableaux intimes que l’on découvre au contraire, tragédies minuscules, petites études de mœurs. La durée imprime sa marque sur les corps, les visages, tout passe, tout demeure cependant, même les lieux se souviennent. Il y a quelque chose de proustien dans cette élégie dystopique sur le temps perdu retrouvé.


Bangkok Déluge - Pitchaya Sudbanthad - Traduit de l’anglais (Thaïlande) par Bernard Turle – Rivages - 424 pages – 22,80€ - ***
François Rahier




mardi 11 octobre 2022

Mauvais sort

 Solange et Albert forment un couple adoubé par le mauvais sort. Nous sommes dans les années 70, les Beatles chantent "Love me do" mais l'amour a un goût de sang au fil de ces pages. La mère de Solange a été tondue à la Libération et Albert est un orphelin. 


C'est une coalition du malheur qui les rend inséparables. Même si leur premier meurtre est accidentel, il contient déjà toute la rage qui caractérise cette odyssée sanglante. Gabriel Katz rend avec une précision clinique la folie criminelle qui embrase l'âme de Solange et le désarroi complice de son jeune compagnon. Avec ce coup de force d'une vision humaniste qui réussit à nous mettre en empathie avec les personnages. Et bien-sûr, il y a la série (Arte) dont le roman est adapté.




Les Papillons noirs – Mody (Gabriel Katz) – Le Masque et Arte Éditions – 270 pages – 19,90€ - ***
Lionel Germain







lundi 10 octobre 2022

Privés d'enfance


Au cours du printemps arabe, la "révolution syrienne" a vu peu à peu le camp qui se réclamait d'une alternance démocratique instrumentalisé et infiltré par les islamistes. L'intrigue du roman de Christian Blanchard scénarise un face à face éprouvant entre deux frères franco-syriens. 



Kasswara et Kamar se séparent d'abord idéologiquement, l'un proche du pouvoir, l'autre engagé dans la lutte pour la démocratie. Très vite, leur opposition prend une tournure "militaire", chacun retranché dans une radicalité inexorable. On connait l'issue de cette guerre qui n'en finit pas de compter ses morts depuis 2011. Après avoir ruiné les chances de la "révolution démocratique", les islamistes ont été provisoirement chassés de leur fief et la dictature a été renforcée par l'intervention russe.


Mais en 2019, la question se pose en France du retour des "lionceaux du califat", ces enfants dont certains sont entraînés à commettre le pire. Florence Dutertre, l'assistante sociale chargée de leur accueil est confrontée à un mystérieux sniper qui les élimine à leur arrivée. Et alors que l'ombre des deux frères plane sur ces exécutions, l'un d'eux entretient un rapport ambigu avec Florence. 

Christian Blanchard impressionne par son sens du timing et la justesse de ses personnages perdus dans une tragédie cornélienne.

Tu ne seras plus mon frère – Christian Blanchard – Belfond – 352 pages – 19€ - numérique – 11,99€ - *** 
Lionel Germain