samedi 17 octobre 2020

A compte d'auteur



Quoi de plus étranger au Bayou que la jungle new-yorkaise? Très loin de la Louisiane, la fille de James Lee Burke a été procureure adjointe à New-York et l'héroïne de son dernier roman est une avocate pénaliste appelée au chevet de son ex, un romancier à succès accusé d'un triple meurtre sur le front de mer à Manhattan. Le thriller psychologique emprunte aux différents sous-genres du polar, entre procédure policière et analyse des caractères, mais dans ces crimes à compte d'auteur, Alafair Burke instille le doute pour mieux nous aveugler d'une évidence insoupçonnable au dernier chapitre.  


La Fille du quai – Alafair Burke – Traduit de l'américain par Laurent Philibert-Caillat – Presses de la Cité – 360 pages - 20€ - ***
Lionel Germain



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vendredi 16 octobre 2020

Politique friction




Au cœur du pouvoir politique de l'Arizona, on sonde les secrets de famille d'un sénateur, grand-père modèle d'une petite fille de cinq ans. C'est Finn, la baby-sitter qui nous raconte l'histoire. Et la vertu du sénateur est inversement proportionnelle à la morale diffusée dans ses tracts. Mais Finn elle-même est-elle aussi transparente que le récit qu'elle nous livre? Premier roman d'une américaine qui nous roule déjà dans la farine.





Disparaître ici – Kelsey Rae Dimberg – Traduit de l'américain par Tania Capron – Cherche Midi – 480 pages – 23€ - *** 
Lionel Germain




jeudi 15 octobre 2020

Biplans et savants fous




Si le président Doumer a bien été assassiné le 6 mai 1932 les circonstances qui entourent sa mort s’auréolent ici de bien des mystères: un fou volant et de drôles de machines, une équipe improbable de mentalistes et de matheux, et un groupuscule facho manipulant des symboles forts de la chevalerie, les épées de Charlemagne et de ses preux. Une enquête qui décoiffe dans un cadre Art nouveau et steampunk.




Les Compagnons de Roland - François Peneaud - Les Saisons de l’étrange/Les Moutons électriques - 175 pages - 15€ - ***
François Rahier – Sud-Ouest-dimanche – 6 mai 2018




mercredi 14 octobre 2020

Varsovie et mourir


"Il s'appelait Jakub Mortka. Trentenaire divorcé. Qui avait deux fils. Et entretenait une relation sérieuse. Cela lui plut." 




Flic de la criminelle de Varsovie en ménage provisoirement avec Olga, Mortka est un héros à la McBain. Derrière lui se profilent les seconds rôles indispensables qui structurent le personnage "collectif" de Chmierlarz. Et ce roman noir polonais calqué sur les grands classiques du genre ne manque pas son objectif: à travers le meurtre d'une jeune femme, ouvrir les dossiers crapuleux planqués dans cette "Cité des rêves". Corruption, scandales et règlements de comptes. 



La Cité des rêves – Wojciech Chmierlarz – Traduit du polonais par Erik Veaux – Agullo noir – 384 pages – 22€ - ***
Lionel Germain




mardi 13 octobre 2020

Nevers Mort

Les enfants font des rêves et ces rêves parfois les empêchent de grandir. Timothée Demeillers dissipe le brouillard de l'adolescence piégée dans la frustration d'un désir essentiel, celui de l'envol hors du nid.
 



On est à Nevers en 1990 avec la jeune Katia, à Zagreb avec Damir, à Vukovar avec Dana. Nevers est mort pour Katia et Jean-Yves, son ami de cœur en quête d'un graal libertaire. Et c'est en Yougoslavie que le jeune homme a fui la France pour y risquer ses rêves. "Six républiques, cinq nations, quatre langues, trois religions, deux alphabets, un parti." A peine le brouillard d'hier dissipé, demain la brume. Un très beau roman noir sur l'effondrement d'une espérance communautaire.



Demain la brume – Timothée Demeillers – Asphalte – 390 pages – 19€ - ****
Lionel Germain



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lundi 12 octobre 2020

Frais divers


A travers un premier roman noir, Pascal Canfin prolonge son engagement de député du Parlement européen contre le crime organisé. Son trader s'appelle Nourad Gacem. Il porte un magnifique costume trois pièces prince-de-galles, son regard vert-chat déstabilise ses interlocuteurs, il a l'arrogance de ceux qui chaussent des mocassins à 1800 livres et s'offrent des safaris en Namibie pour 20 000 livres la semaine. 



Héros négatif basé à Londres au sein de la "Française des Banques", jongleur sur ce tapis vert monstrueux que représente le marché boursier, Nourad Gacem est également le relais des comptes off-shore les moins recommandables. Le narrateur sollicité pour divulguer les combines sordides entre Daesh et une haute finance peu scrupuleuse est un journaliste. 





Ce pourrait être une aubaine pour son journal à condition de ne pas se trouver au cœur d'une manipulation dont les commanditaires nous seront révélés en fin de parcours. Entretemps, le lecteur aura droit à une excellente leçon de géopolitique doublée d'une immersion fascinante dans le marais des transactions boursières.     

Le banquier de Daesh – Pascal Canfin – Éditions de l'Aube, L'Aube noire – 216 pages – 18€ - **** 
Lionel Germain



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samedi 10 octobre 2020

"Tout finit par où tout commence."


"L'auteur de ce livre est un prostitué de journaleux et affabule comme un mécréant. Son roman ne contient pas la moindre parcelle de vérité. L'action se déroule dans une région qui pourrait bien être la Slovaquie mais qui ne l'est pas vraiment. Si malgré tout, vous vous reconnaissez dans l'un des personnages, n'hésitez pas et allez tout de suite vous dénoncer au commissariat ou à la procurature la plus proche."



Le journaleux, c'est Schlesinger, un personnage fringué avec des poubelles. Dans son pays dont le nom claque comme un coup de fouet sur l'honorabilité européenne, les jeunes filles disparaissent d'un centre de désintoxication. Pour ce demi-frère d'Arpad Soltesz, lui-même journaliste engagé dans la lutte contre le crime organisé, l'enquête de voisinage mène aux portes d'un pouvoir aux gonds huilés par la mafia calabraise. 



Dans la réalité, référence explicite à l'assassinat d'un journaliste en 2018, l'affaire a quand même provoqué la démission de Robert Fico à la tête du gouvernement slovaque. Quant au polar, tout finit par où tout commence avec cette mise en abîme du réel et de la fiction à laquelle nous abandonne Arpad Soltesz. Ce monde est rarement meilleur après le dernier mot d'un roman noir.

Le Bal des porcs – Arpad Soltesz – traduit du slovaque par Barbara Faure - Agullo noir – 392 pages – 22€ - ***

Lionel Germain




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vendredi 9 octobre 2020

Fin du monde


Avec Matthieu B.Gousseff, c'est le "monde occidental" qui trouve son terminus à Brest. Dans ce Finistère jamais aussi bien nommé, le scénario apocalyptique exacerbe les démons intérieurs des personnages. 




Militaires, scientifiques, mais surtout hommes secrets. Tony, officier homosexuel, cherche à masquer ses failles en vivant avec une femme médecin impliquée dans un mystérieux laboratoire où l'on teste des produits dangereux. Un bateau russe est immobilisé dans la rade, et Matthieu B.Gousseff orchestre peu à peu la montée des périls vers une apocalypse nucléaire.





Ici finit le monde occidental – Matthieu Gousseff – La Manufactures de Livres – 400 pages – 20,90€ - ***
Lionel Germain 



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jeudi 8 octobre 2020

Exercice d'admiration




La geek attitude a donné le ton: lassés d’attendre des suites qui ne viennent pas, ou qui déçoivent, les passionnés écrivent eux-mêmes leurs histoires. Ainsi en fut-il des romans d’Asimov ou de la série Star Trek: ainsi sont nées les fanfictions. Le grand écrivain chinois Liu Cixin dut s’amuser de cette suite pirate de son roman "Le problème à trois corps" et lui donna son aval. Le résultat est plaisant.





La Rédemption du temps – Baoshu - Traduit du chinois par Gwennaël  Gaffric - Actes sud - 292 pages – 22,50€ - ***
François Rahier – Sud-Ouest-dimanche – 12 juillet 2020



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mercredi 7 octobre 2020

Le temps presse

Le héros sans nom de Kaa va tenter de prouver l'innocence du fils de son ami accusé d'un crime sadique. On est en plein brouillard comme  le signale une correspondance de Hegel à Victor Cousin datée du 1er juillet 1827. C'est normal pour un aventurier à l'affut des "silhouettes de mort sous la lune blanche" qui s'apprête à déclencher "les puissances nocturnes et bestiales". A peine le temps d'effleurer l'ouvrage de Mona Ozouf sur la fête révolutionnaire, et il avance, pareil à un Hercule Poirot sous amphétamines capable d'identifier dans la neige le dessin de pneus Continental super contact. 



Une gorgée du "monde comme volonté et comme représentation" de Schopenhauer avalée rapidement en prélude au "journal d'une femme de chambre" d'Octave Mirbeau et c'est déjà l'heure de déclencher un feu d'enfer, de laisser les vivants s'occuper des morts, de boucler enfin la valise pour se faire oublier ailleurs. En ramassant quand même la monnaie qui traîne sur la table. Comme dit Kaa: "il faut bien avoir un défaut, sinon, à la fin, ça finirait par devenir suspect." A la fin, ça finit toujours.




On commence à tuer dans une heure – Kaa – Fleuve noir - ***
Lionel Germain




mardi 6 octobre 2020

Cinquante


Pascal Marignac, né en 1945 et mort en juin 2002, est d'abord prof de philo en Bretagne avant de se lancer dans l'aventure du polar en 1984. Avec "Silhouettes de morts sous la lune blanche" et "La Princesse de crêve" au Fleuve noir, sous ce pseudonyme de Kaa emprunté au personnage du serpent dans le Livre de la jungle, il crée un aventurier sans nom qu'on retrouve encore dans "Mental". Courant après un rêve aussi inaccessible que l'or des alchimistes, d'une froideur méthodique, il cultive la manie d'autopsier les armes et les munitions à la manière des héros de Manchette. On peut l'appeler Cinquante, mais c'est un nom d'emprunt et sa véritable identité reste inconnue.




Une organisation criminelle essaie par le chantage de lui faire exécuter un contrat. La cible, c'est Mental, son frère, son double, aussi intelligent, cynique, excessif et désabusé que lui-même. Au cours de cet affrontement, on apprendra que "Cinquante" joue très bien la Ballade n°3 en la bémol majeur, opus 47 de Chopin, que le Pleyel est un piano supérieur au Steinway, et que l'énergie à la bouche d'une cartouche NATO 7,62x51 est de 3250 joules.  





Mental – Kaa – Fleuve noir Spécial police (1984) – ***
Lionel Germain




lundi 5 octobre 2020

Coupable désigné




C'est une histoire d'eau. Le genre de récit qui épouse les ombres du soleil couchant sur l'estuaire. Dans cette petite ville du sud de l'Angleterre où l'officier de police Ander enquête sur le meurtre d'une jeune femme, la rumeur a déjà désigné son coupable. Le professeur Wolphram, voisin de la victime, va cumuler tous les soupçons. Homosexualité, pédophilie, Patrick McGuinness désosse les clichés et livre un superbe exercice de mémoire sur les tyrannies qui se perpétuent en toute impunité dans l'enceinte des collèges.


Jetez-moi aux chiens – Patrick McGuinness – traduit de l'anglais par Karine Laléchère – Grasset – 384 pages – 23€ - ****




samedi 3 octobre 2020

Chevalier noir




Luc Vernon, derrière lequel se cache André Veillerot avait écrit en 1982 un premier roman noir pour "Sanguine" (collection créée par Patrick Mosconi et reprise par Albin Michel). "Tombeau légionnaire" annonçait la couleur, violemment antimilitariste, avec le meurtre d'un sous-officier sadique dans un camp disciplinaire de la Légion en Ardèche. Après un bref passage en série noire pour un "Rock béton" qui délocalisait sa colère dans la banlieue parisienne, il a rejoint les escadrons du Fleuve dans la deuxième partie des années quatre-vingt.



"Balade pour deux paumés" raconte l'itinéraire chaotique de deux born-losers, Bruno et Nat, coupables de l'enlèvement d'un môme. La morale interdisant que ce genre d'expédients soit rentable, on imagine avec plaisir que tout finira mal. L'occasion de passer à autre chose dans "Double bang" avec l'entrée en scène du personnage de Rolf Sledd. 




Cet ancien flic des brigades antiterroristes allemandes est devenu chasseur de primes après la disparition de sa femme et de sa fille, victimes d'un attentat aveugle dans un grand magasin. Armé d'un Beretta M90, chevauchant une Kawasaki 1300, le loup solitaire course les terroristes à travers l'Europe, puis à la demande d'un flic français entre Marseille, la Provence et les coulisses de Roland-Garros dans le peu convaincant "Set de der".  





Tombeau légionnaire – Sanguine (Albin Michel - 1982) - ***
Rock béton – Série noire (1983) - **
Balade pour deux paumés - Double bang - Set de der - Luc Vernon - Fleuve noir - ** - (1984 à 1986)
 Lionel Germain




vendredi 2 octobre 2020

Élémentaire, cher lecteur


Tous les romans de Martha Grimes ont pour titre un nom de pub, du moins dans leur version originale, et le "Chat noir" est celui sur la terrasse duquel on retrouve le corps d'une jeune femme assassinée. Il y aura bien-sûr ce mystère que devra résoudre le commissaire Jury mais l'intérêt des romans de Martha Grimes, ce sont les détours qu'elle emprunte, minant son texte de paradoxes.  Proust, Schrödinger et Henry James en artificier d'une énigme qui vise l'énonciation elle-même.





Depuis quelques années maintenant, elle aime sonder la complexité parfois ténébreuse du monde physique. Après "Ce que savait le chat", "Faites vos jeux" confronte Jury à une martingale quantique. L'assassinat d'un joueur astrophysicien nécessite la mobilisation de toutes les cellules grises à l'instant T si possible dans un seul cerveau.






Ce que savait le chat – Martha Grimes – Presses de la Cité – 380 pages – 21 euros - ***
Faites vos jeux – Martha Grimes – Traduit de l'américain par Nathalie Serval – Presses de la Cité – 426 pages – 21€ - *** 
Lionel Germain




jeudi 1 octobre 2020

Juste la fin du monde


Quand il découvre ce parachutiste américain, mort ou presque, au tout début du roman, le jeune narrateur n’a rien du Rimbaud du "Dormeur du val". Y aurait-il encore ici un trou de verdure que baigne une rivière, au milieu de cette ville d’Europe centrale noyée dans la cendre, sous ce ciel plombé de nuages toxiques que sillonne en permanence le vol infernal des B52? Une guerre nucléaire a opposé Russie et États-Unis, les combats continuent entre bandes errantes, sans feu ni lieu. Des mutants irradiés, pitoyables, sont confinés dans une "Zone rouge", on entasse les morts pour former des murailles. 



Hier encore, déjà demain? Le temps s’est arrêté, comme  englué lui aussi dans les miasmes d’un monde qui se délite… La voix si particulière du garçon, empruntant à la morgue adolescente de L’attrape-cœurs de Salinger comme à la gouaille des jeunes héros de Mark Twain, rend plus déroutant encore ce récit d’initiation à l’envers, un voyage au bout d’une nuit dont on pressent qu’il sera sans aurore. 





Raconter la guerre ne peut pas être plaisant, pense l’auteur, pour qui la vérité se situerait plutôt dans une sorte d’allégeance désespérée à l’obscénité et au mal. Né en 1977 dans le sud de la Hongrie, Benedek Tòtth a publié deux romans là-bas, et traduit Bret Easton Ellis, Cormac McCarthy et Aldous Huxley. Une voix sans concession venue de l’est, avec laquelle on devra compter, sans doute. 

La Guerre après la dernière guerre - par Benedek Tòtth - Traduit du hongrois par Natalia Zaremba-Huzsvai et Charles Zaremba - Actes sud - 198 pages – 21,50€ - ***** 
François Rahier – Sud-Ouest-dimanche – 3 novembre 2019




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