dimanche 14 juillet 2024

Les polars de l'été dans Sud-Ouest


Colère - Arpad Soltesz – Traduit du slovaque par Barbora Faure – Agullo noir 




La stratégie du lézard - Valerio Varesi – Traduit de l'italien par Florence Rigollet – Agullo 



À corps perdus - Céline de Roany – Presses de la Cité 



Furies - Meagan Jennett – Traduit de l'américain par Yoko Lacour – Les Arènes Equinox 
 


La branche tordue - Jeanine Cummins – Traduit de l'américain par Christine Auché – Éditions Philippe Rey


 




samedi 13 juillet 2024

Danser la mort




À mille lieues des effusions machistes que la corrida a suggérées à certains écrivains, le récit de Gaël Tchakaloff est celui d'une rencontre avec une divinité tombée de l'Olympe directement sur la selle d'un cheval. Léa Vicens est une "torero", sans doute l'une des meilleures, si l'on en croit le témoignage de l'écrivaine, mais c'est surtout une énigme qui a épousé les arabesques entre ombre et lumière dont ses chevaux chorégraphient la danse de mort. 



Et c'est bien parce que la mort est invitée à conclure le ballet que Gaël Tchakaloff lutte entre la nausée et la fascination inconditionnelle. Pas du tout un plaidoyer pour la corrida mais un questionnement sur le surgissement de la grâce dans le cercle tragique.

La vie à mort - Gaël Tchakaloff – Flammarion Versilio – 236 pages – 21€ - ***
Lionel Germain



Dernière cavale





Le charme d'un polar tient à peu de chose, jamais à la seule pertinence de l'intrigue et toujours à la grâce des personnages. Le roman de Pauline Guéna nous raconte une histoire de tueurs qu'on pourrait avoir lue signée par Howard fast. Marco est un assassin professionnel apprécié de ses commanditaires jusqu'au jour où l'amour de Reine le conduit à assassiner pour son propre compte le bourreau de la belle. 



Reine, Marco, le journaliste en mal de scoop, se perdent dans une cavale dont le rythme et la fièvre sont admirablement rendus par le style tendre et sensuel de Pauline Guéna. Magnifique roman noir.

Reine - Pauline Guéna – Denoël – 242 pages – 20€ - ****
Lionel Germain


vendredi 12 juillet 2024

Salut l'artiste


En flammes, de rêve, ou sous les cendres, la vie s'est étrangement consumée l'espace d'une trilogie qui nous a permis d'accompagner Danny Ryan du Rhode Island dans les années 80 au territoire brûlant de Las Vegas. Les romans ont une fin et Danny Ryan va mourir.




Don Winslow a réglé la partition de ce personnage irlandais des premiers arpèges de bandit au grand cœur aux derniers accords plus sombres dont chaque vie se fait l'écho. Danny Ryan avait commencé son odyssée avec son fils Ian. C'est lui qu'on retrouve dépositaire des cendres. Ultimes traces d'encre de l'immense Don Winslow avec une page de remerciements à vous arracher quelques larmes.




La Cité sous les cendres - Don Winslow – Traduit de l'américain par Jean Esch – Harper Collins – 380 pages – 22,90€ - ****  
Lionel Germain



Avis de grand froid


Franck Thilliez offre à son personnage de criminologue lyonnais Teddy Schaffran un billet de train sur la Northern Line. Départ de Montréal, arrivée à Norferville, cité minière imaginaire, pour un voyage tourmenté dans le Grand Nord québécois où sa fille Morgane a été assassinée. 





En compagnie de Léonie, une flic métisse qui revient également sur les lieux d'un crime sexuel qu'elle a subi adolescente, il va devoir élucider une série de disparitions de jeunes filles dans la population autochtone. Passionnante enquête au cœur d'un territoire gelé, en écho malheureusement à une histoire vraie.





Norferville - Franck Thilliez – Fleuve noir – 456 pages – 22,90€ - *** 
Lionel Germain




jeudi 11 juillet 2024

Croisière ultime



Faire de vieux os, c'est une mission parfois impossible quand on connaît la durée des croisières en EHPAD. Lola, flic à la retraite, n'est pas un perdreau de l'année mais elle va quand même fourrer son nez dans les dossiers d'un groupe de maisons de retraite dont les passagers disparaissent avant l'heure du côté de Ciboure. Avec sa copine, Ingrid, stripteaseuse et prête à toutes les aventures, Lola va mener l'enquête au Pays-Basque. Encore une occasion de se régaler avec le duo insolite et attachant de Dominique Sylvain.


Périlleuses Pyrénées – Dominique Sylvain – La Bête noire, Robert Laffont – 300 pages – 15,90€ - ***
Lionel Germain 



Amélie mélo


Au départ, l'enlèvement d'Amélie, une fillette de 7 ans, provoque l'effondrement des deux parents. Dévastés mais accrochés à la certitude de retrouver leur enfant un jour, ils voient surgir dix ans après le drame une adolescente qui se présente comme Amélie.




Fille adoptive, aucun test ADN ne peut l'identifier formellement. Le père la reconnaît, la mère non. Enfin, suprême sidération, l'arrivée d'une deuxième Amélie quelques semaines plus tard va rebattre les cartes en sens inverse. Au risque cette fois de faire exploser un couple qui avait su si bien résister au malheur jusque-là. 





Jacques Expert et Philippe Balland nous propose un suspense intégral. Prenons les paris: il vous sera très difficile avant l'épilogue de vous faire un avis définitif sur la personnalité de ces "Amélie", actrices d'un méli-mélo identitaire que les auteurs se plaisent à rendre inextricable.

Je suis Amélie Lenglet - Jacques Expert et Philippe Balland – Calmann-Lévy noir – 396 pages – 20,90€ - ****
Lionel Germain 



mercredi 10 juillet 2024

Comme des lys oubliés

 
"C'était l'odeur qui l'avait frappée. Sous celle du sang – tellement de sang -, il y avait autre chose, quelque chose de plus vieux, de douceâtre et d'un peu moisi, comme des lys oubliés trop longtemps dans un vase. L'odeur, et lui; impossible de lui résister, avec son beau visage mort, ses yeux vitreux ourlés de longs cils, ses lèvres pleines entr'ouvertes, révélant des dents blanches bien alignées."




Celle qui brûle – Paula Hawkins – Traduit de l'anglais par Corinne Daniellot et Pierre Szczeciner – Pocket – 416 pages – 8,30€ - **


Lire aussi chez l'éditeur



Au pays des dieux


Nikos Kazantzaki (1883-1957) est certainement l’un des écrivains grecs les plus célèbres. L’aéroport d’Héraklion en Crète porte son nom, plusieurs musées lui sont dédiés là-bas, et le voyageur qui se rend à Stavrós, au nord de La Canée, l’ancienne capitale de l’île, peut retrouver le décor du film "Zorba le Grec" tiré d’un de ses romans. 

On connait de lui d’autres livres célèbres, ayant inspiré le cinéma, "Le Christ recrucifié" porté à l’écran par Jules Dassin sous le titre "Celui qui doit mourir", ou encore "La Dernière tentation". Les éditions Cambourakis, en France, republient ses textes depuis quelques années. 




"Dans le palais de Minos" est une œuvre moins connue qui nous immerge dans la Crète minoenne des alentours du XXVIIe siècle avant notre ère. La prose limpide de Kazantzaki nous emmène sur "les pas des dieux", avec le bruissement des insectes, le feulement du vent. Il convoque la Mythologie, ses dieux et ses héros, Thésée, Minos, ses deux filles Ariane et Phèdre, Icare et son père Dédale, le Labyrinthe et bien sûr le Minotaure. 



Il convoque aussi l’histoire, avec l’invasion dorienne qui mit fin à la suprématie de la Crète sur la Méditerranée orientale, et le probable incendie qui détruisit le palais de Cnossos. Les décombres dans lesquels errent les personnages à la fin du livre correspondent à peu près à ce que l’on peut voir aujourd’hui sur le site minoen. 

Ce roman d’aventures fantastiques, plutôt destiné à la jeunesse, se lit aussi comme un guide de voyage à travers le temps, le sésame d’un monde dans lequel le surnaturel pouvait surgir au détour d’un chemin. Et il prend une résonance particulière depuis la découverte le 11 juin 2024 d’un nouveau et mystérieux site minoen sur un chantier d’aéroport, près d’Héraklion.

Dans le palais de Minos - Nikos Kazantzaki - Traduit du grec par Jacqueline Moatti-Fine – Cambourakis - 435 pages - 13,50€ - ***
François Rahier



mardi 9 juillet 2024

Pacification soviétique


En 1930, au cœur du territoire mongol du sud de la Sibérie, la campagne de "pacification soviétique", consiste à en finir avec la civilisation nomade. Ian Manook fait le portrait d'une femme qui résiste, Aysuun. 


Les périodes changent mais les techniques de prédation coloniale sont les mêmes de toute éternité. La violence des envahisseurs consiste toujours à effacer les symboles d'une culture indigène en massacrant les populations et en réservant aux femmes le sort tragique qui alimente encore la chroniques des guerres contemporaines. Voilà un roman épique sur le destin de deux femmes de ce peuple mongol martyrisé. A travers elles, Ian Manook nous raconte ce qui dans les légendes structure l'imaginaire collectif. Documenté et passionnant. 


Aysuun – Ian Manook – Albin Michel – 336 pages – 21,90€ - *** 
Lionel Germain



Chemineau miné


L'impression parfois que James Lee Burke en fait trop. Il a rangé provisoirement Dave Robicheaux, un héros magnifique, usé, parti de rien et revenu de tout, mais le personnage auquel il consacre une autre série, Aaron Holland Broussard, est lui aussi chargé comme une mule. Vétéran de Corée, romancier voyageur, malade mental victime de blackouts qui le "délocalisent", Aaron partage avec Dave une foi que le réel s'acharne à désacraliser. 

Le voilà dans le Colorado après avoir sauté d'un wagon à bestiaux. Le voilà amoureux d'une étudiante artiste. Mais le voilà surtout entre deux corvées à la ferme, face aux méchants qui tiennent le monde et le haut du pavé à Trinidad. 





"Je n'avais jamais aimé le sommeil. Il me conduisait dans trop de mauvais endroits. Tard le soir, mes parents se disputaient quand mon père rentrait du bar (…). Leurs mots étaient assourdis, comme des tessons de colère dans une flaque d'eau noire, coulant puis émergeant de nouveau.




Chemineau sur son chemin de croix, le héros semble rêver ses escales entre deux "blackouts", mais malgré sa plume éreintée par le roulis des rails, malgré la longueur du voyage et la nuit qui se profile à l'horizon, la poésie de Burke conserve un pouvoir hypnotique.

Un autre Éden - James Lee Burke – Traduit de l'américain par Christophe Mercier – Rivages – 272 pages – 22€ - ****  
Lionel Germain


 

lundi 8 juillet 2024

Sans père et sans reproche


Djibril est un adolescent comblé par l'amour de Selma, une infirmière qui l'élève seule. La découverte d'un polaroïd dans une caisse de jouets va déclencher chez le jeune homme un besoin irrépressible d'identifier le personnage énigmatique derrière sa mère. Une relation fugace dont elle n'a gardé aucun souvenir. 




Christophe Coffre raconte avec une grande justesse le désir de liberté qui s'est emparé des femmes dans les années 70. Mère célibataire irréprochable, Selma voit soudain son fils à la recherche d'un père qu'elle-même ne connait pas. La rencontre aura lieu et c'est encore une autre histoire qui commence, pleine de frustrations et de non-dits à dépasser. 




Soudain un fils - Christophe Coffre – Presses de la Cité – 224 pages – 21,50€ - ***
Lionel Germain



Déraison de la colère


Delilah S. Dawson n'écrit pas sur la violence domestique parce que le sujet serait dans l'air du temps mais pour exorciser les blessures de sa propre enfance: un père alcoolique, une mère victime et un entourage sourd et aveugle. C'est sur cette trame très personnelle qu'elle propose l'histoire de ses héroïnes, une femme et ses filles sous l'emprise des colères d'un mari insoupçonnable. 




Dans ce contexte surgit une "maladie" baptisée la Violence: mélange de fièvre et de brutalité meurtrière, comme un cadeau opportuniste et terrifiant offert aux victimes de l'ancien monde. En se répandant, l'épidémie neutralise provisoirement la perversité du mari et permet une échappée inattendue à cette tribu de femmes en quête de liberté.





Délivrées - Delilah S. Dawson – Traduit de l'américain par Karine Lalechère – Sonatine – 576 pages – 23,90€ - ***
Lionel Germain



samedi 6 juillet 2024

Fille-mère


Saluons d'abord la performance éditoriale, celle de quatre étudiants en licence professionnelle Édition à l'IUT Bordeaux-Montaigne. Reprenant le flambeau de cette maison-école si bien nommée "L'Apprentie", ils offrent au lecteur le premier plaisir d'un vrai livre à la maquette séduisante, et le bonheur indiscutable d'une découverte.




Marion Gilbert, militante féministe dont la profession de foi clôture l'ouvrage, se retrouva finaliste du Prix Femina en 1925 pour "Le Joug", roman sur le tragique destin des femmes-mères. Mais si le texte se veut engagé, le personnage de Fanny en quête d'un amour impossible est aussi l'occasion d'un portrait sensible et incarné.





Le Joug – Marion Gilbert – Préface de François Ouellet - L'Apprentie – 320 pages – 18€ - ***
Lionel Germain



La Brindille et le Marteau







L'art du crime n'est pas que pictural et poétique. Parfois, c'est la rigueur d'un concerto qui hante l'imaginaire de l'assassin. Celui de Gilles Vincent s'appelle Amadeus. Des femmes disparaissent du côté de Tarbes et on retrouve leur corps, longtemps après, à l'endroit où elles ont disparu. 



Dans un climat de folie noire, le tueur au marteau est à la recherche de son âme sœur. L'élu s'appelle Brindille. Déjà patient de l'UMD de Cadillac, le duo qu'il pourrait former avec Amadeus nous promet un éprouvant bal des timbrés. 

Amadeus – Gilles Vincent – Au Diable Vauvert – 336 pages – 20€ - ***  
Lionel Germain




vendredi 5 juillet 2024

Amère Teresa





Une belle histoire de vengeance, celle d'une fille qui voudrait solder définitivement le compte familial après l'assassinat de son père. Si l'histoire est belle, ce n'est pas dans l'accomplissement de cette vengeance mais dans la fougue existentielle que Claudio Fava prête à son héroïne. Partagée entre l'amertume et un désir de vivre sans concession, Teresa est une enfant de la déroute mafieuse sicilienne.




La vengeance de Teresa – Claudio Fava – Traduit de l'italien par Eugenia Fano – Métailié noir – 160 pages – 18€ - ****  – 
Lionel Germain



Affaire classée


À en croire l'Écossais Ian Rankin, Dominic Nolan a quelque chose d'Ellroy comme s'il dupliquait "l'effroi obsessionnel" de l'Américain dans "le Londres des années Quarante". Rappelons-nous aussi David Peace qui avait déjà électrisé la scène anglaise avec ses polars sur le Yorkshire et sur le Tokyo apocalyptique de la Guerre. 




Nolan entreprend de raconter la traque d'un tueur en série de prostituées, et son flic qui démarre l'enquête en 1935 est du genre obstiné. Ce grand roman noir aux harmonies gothiques se nourrit du terreau criminel de  l'entre-deux guerres à Soho. Sans les fulgurances et les ruptures narratives d'Ellroy, ça ne manque malgré tout pas de souffle.




Vine Street - Dominic Nolan – Traduit de l'anglais (GB) par Bernard Turle – Rivages noir – 672 pages – 24,90€ - ***  
Lionel Germain 



jeudi 4 juillet 2024

Frère contre frère





On pourrait dire du dernier roman de R.J. Ellory que les constantes sont stables. La magie chez un bon écrivain consiste à nous surprendre avec le même tour de passe-passe sans jamais nous donner l'impression d'une redite. Des histoires de frères nés sous une "mauvaise étoile", de famille éclatée, de manque de père ou de repères dans le choix d'un décor nécessairement démesuré, voilà la marque de fabrique d'un auteur anglais toujours trop à l'étroit dans son île pour y loger ses intrigues. 


C'est donc dans l'état américain de Géorgie que le shérif Victor Landis est en activité. Ce personnage solitaire et taiseux n'a plus aucun rapport avec son frère Frank, policier lui aussi dans le comté de Dade, à la frontière avec le Tennessee. La mort de Frank contraint Victor à un exil au cœur des Appalaches, à découvrir l'existence d'une petite nièce et de l'ex-femme de son frère, et à réendosser le costume de flic pour percer les secrets d'une petite ville en plein désarroi. 

À travers cette enquête sur des meurtres d'adolescentes, sur l'autre frontière invisible entre le Bien et le Mal et sur la nature du lien fraternel, on retrouve Ellory toujours aussi affuté. Un voyage troublant vers les territoires perdus de l'enfance. 

Au nord de la frontière - R.J. Ellory – Traduit de l'anglais (GB) par Fabrice Pointeau – Sonatine – 496 pages – 23,50€ - ****
Lionel Germain



Fabriquer l'élite


Un roman du réel doit garder du roman la force des personnages, ce que Mo Malo n'a aucun mal à réussir. On lui doit la série des enquêtes de Qaanaaq Adriensen et on connait son amour du large. Du Groenland, on a oublié qu'il signifiait à l'origine une terre de verts pâturages. 





Aujourd'hui encore pris dans la glace (mais pour combien de temps), c'est la terre ancestrale des Inuits. Mo Malo y ravive à travers une enquête policière le souvenir d'un drame dont le schéma a été reproduit dans beaucoup de pays colonisateurs. Une vingtaine d'enfants enlevés à leur famille avec la promesse d'en faire l'élite du Danemark. Un dossier brûlant au pays du gel.




L'Inuite - Mo Malø – Éditions de la Martinière – 416 pages – 21€ - *** 
Lionel Germain



mercredi 3 juillet 2024

Juste une nuit


"Il n'y avait rien qui "ne tournait pas rond" chez elle. Juste une nuit. Une seule nuit de violence, voilà tout ce dont elle avait besoin. Une nuit sans se soucier du qu'en-dira-t-on, une nuit à chier n'importe où, une nuit où elle ne serait indispensable pour personne, une nuit où elle ne serait qu'un corps en mouvement dans l'obscurité, une ombre, un fantôme d'elle-même. Une nuit à n'obéir qu'aux injonctions de son corps."




La nuit chienne – Rachel Yoder – Traduit de l'américain par Hélène Borraz – Flammarion – 320 pages – 22,90€ - *** 


Lire aussi sur le site de l'éditeur



Voyage au pays du "mauvais genre"


Sous le saint patronage – laïc ! – de Georges Darien et de son Voleur et aussi du "Voleur de Talan" [sic] du poète Pierre Reverdy, François Darnaudet nous livre une de ces novellas prestement troussées dont il a le secret, mêlant réalité et fiction, ou autofiction, pour le plaisir du lecteur et bien sûr aussi de l’auteur. 

"Le Voleur" de Georges Darien (1862-1921) est le roman le plus célèbre de cet anar de cœur qui passa trente mois à Biribi et dénonça dans un autre livre ce bataillon disciplinaire devenu depuis tristement célèbre. Son roman est une subtile autofiction qui tourne comme chez Darnaudet autour d’œuvres volées et d’identités usurpées;
Louis Malle en avait donné une adaptation au cinéma en 1967 avec Jean-Paul Belmondo. 



L’inspiration du livre de Pierre Reverdy (1889-1960), poète méconnu ami de Picasso et de Braque, semble au premier abord fort éloignée de ce que nous raconte Darnaudet. Mais il ne lui emprunte pas que son titre, qu’il détourne: on a pu dire de Reverdy qu’il avait publié avec son "Voleur de Talan" une autobiographie cubiste; c’est ce que fait Darnaudet avec son voleur de bandes dessinées, décomposant puis recomposant son autobiographie qui débute par la fiction d’un manuscrit trouvé dans un vide-grenier. 



Ce vrai-faux polar livre des détails qui ne trompent pas le lecteur s’il connait un peu l’auteur. C’est bien Darnaudet qui écrit et nous emmène images à l’appui (le bouquin est richement illustré) dans ce voyage à travers le temps perdu retrouvé de la contre-culture graphique des années folles 70 à 90, où l’on se prendrait presque à chantonner, sur l’air de "Ex fan des sixties" (de Gainsbourg et Birkin), "Disparus Alexis, Vaughn Bode, Jean Boullet, Idem Frédéric Fajardie, Loro, Jacques Lob, Éric Losfeld… "
Quelle époque !

Le Voleur de talents - François Darnaudet - La Mouette de Minerve - 114 pages - 11,90€ - ***
François Rahier



mardi 2 juillet 2024

Bibliothèque rosse


Quand les écrivains racontent des histoires d'écrivains les embrouilles se planquent dans la bibliothèque. A.J. Finn ne semble avoir inventé son personnage que pour nous piéger au cœur du labyrinthe où une ronde vertigineuse de romanciers nous interpellent en secret. Sebastian Trapp, auteur de polars donc, invite chez lui Nicky Hunter, lectrice de son œuvre et spécialiste de littérature policière. Dans cette demeure de San Francisco, tout nous renvoie déjà au gothique du genre. 


Confidente entourée d'une famille recomposée plus ou moins hostile à sa présence, Nicky s'intéresse à la disparition mystérieuse de la première femme et du fils de l'écrivain vingt ans plus tôt. Et pendant qu'on progresse vers un dénouement digne du meilleur suspense de l'époque victorienne, de chapitre en chapitre se glissent les échos parfois mutins de plus d'un siècle de littérature policière. Gare à vous monsieur Trapp, comme le suggère Chandler dans "The Long Goodbye": "Il n'y a pas pire piège que celui qu'on se tend à soi-même." 



Fin de l'histoire - A.J. Finn – Traduit de l'américain par Chloé Royer – Presses de la Cité – 608 pages – 21,50€ - ***  
Lionel Germain



lundi 1 juillet 2024

Olivier mène le Bal


Dans une intrigue touffue qui mêle fanatisme et meurtres en série, il faut saluer le talent d'Olivier Bal pour les portraits empathiques. La découverte de Darya, réfugiée syrienne dont le compagnon est martyrisé, donne sa lumière à un roman où les ombres sont reines. 




Que ce soit "l'Ange noir" bourreau des notables, ou les membres de cette "meute" qui s'en prend aux réfugiés, peu de répit ou de raisons d'espérer pour les deux flics qui enquêtent d'abord en parallèle. Olivier Bal a prouvé avec "L'Affaire Clara Miller" que la complexité n'empêchait pas la fluidité du récit. Une fois encore, malgré les horreurs et les outrances, le roman hélas nous dit bien quelque chose du monde réel.




Quant à la réédition de "Roches de sang", elle est menée sans temps mort à travers trois décennies et sur une distance qui sépare Londres de la Corse en passant par la Suisse et la Serbie. Mais c'est d'abord le personnage de Marie Jansen qui tient le gouvernail sur une mer agitée.




Marie est flic à Europol. Sa mission démarre devant le cadavre de celui qu'on a surnommé le "Chuchoteur". Miroslav Horvat a collectionné les terrains de jeu du grand banditisme: des États-Unis à la Russie, le mafieux serbe s'est fait beaucoup d'amis qui ont déjà tenté de l'éliminer. C'est du côté de la Corse que la jeune femme va devoir trouver des réponses qui la concernent plus qu'elle ne l'imagine. Une succession de paliers narratifs sur lesquels Olivier Bal précipite un lecteur toujours enclin à avaler de belles couleuvres.  



La Meute - Olivier Bal – XO Éditions – 480 pages – 21,90€ - ***
Roches de sang - Olivier Bal – Pocket – 560 pages – 9,50€ - *** 

Lionel Germain