mercredi 9 juillet 2025

L’opéra baroque de Jack Vance

 
Nos contemporains raffolent du baroque. Les grands découvreurs des temps modernes, substituant le pli et l’infinie mouvance des choses aux abstractions des philosophes, savaient déjà que l’univers était profondément baroque, shakespearien même… Jack Vance (1916-2013) aussi. 

Cet ancien marin est le plus parfait conteur qu'ait produit la SF, un peu l'égal de Stevenson ou d'Alexandre Dumas. Sa fiction très personnelle a engendré des univers à la mesure des outrances humaines. Plus préoccupé par le dire et le faire que par le savoir qu’il traite parfois légèrement, Jack Vance est un peu un ethnographe du futur.



Auteur abondamment traduit, ou réédité, en France, il n’a pas la notoriété d’un Herbert ou d’un Asimov. La coupe transversale qu’il opère dans un univers très conventionnel de space opera, figé dans le post-moyen âge d’une ère vaguement renaissante, le dédain affiché pour la technologie, sa préférence enfin pour les récits picaresques où le tragique côtoie le grotesque et la farce, l’ont mis à l’abri des tentations messianiques ou des conjectures parascientifiques. 


Durdane, mise en scène dans ces "chroniques" à la traduction soigneusement révisée, et qui regroupent trois romans publiés séparément à l’origine, "L’Homme sans Visage", "Les Paladins de la liberté" et "Asutra!", est une de ces planètes qu’affectionne Vance, un monde où coexistent de nombreux groupes humains organisés en structures sociales souvent bien opposées: au pays Shant par exemple, une communauté gouvernée par l’Anome, un tyran dont personne n’a jamais vu la face, la paix règne sur fond de terreur quotidienne: chaque individu est contrôlé par le torque explosif qu’il doit porter autour du cou dès son adolescence. 

Un jeune aventurier, fils d’une prostituée et d’un musicien errant, va chercher à percer le secret de l’Homme sans Visage. Le livre est accompagné d’une bibliographie exhaustive de plus de 35 pages due à Alain Sprauel; cette édition s’inscrit dans le cadre du projet VIE (Vance Integral Edition) initié par la famille de l’auteur: 44 volumes amenés à être progressivement traduits en français. 

Vance: une leçon de tolérance, amère et souriante, contée avec ce qu’il faut de bruit et de fureur, un positionnement atypique aussi, si on le compare à celui de sa grande contemporaine Ursula Le Guin, elle aussi créatrice d’univers de fantaisie, écoféministe plutôt classée à gauche. 

Mais le libertarianisme dont se réclame Vance, refusant à l'état le monopole de la violence, qui est l'autoroute pour le fascisme, et revendiquant pour chacun le droit de se battre pour défendre sa liberté d'agir, pour ambigu qu’il soit, diffère beaucoup de celui qui s’affiche en diatribes tonitruantes en ce moment aux États-Unis. 

Crédit @VIE



Et de toutes façons Vance, comme le  souligne dans sa postface son ami  Russell Letson, aimait à dire "qu’il  racontait simplement une histoire et  imaginait des lieux […] sans se  préoccuper de transmettre des  messages. […] Il nierait avoir eu des   idées si saugrenues, avant d’aller   jouer de son banjo".





Les Chroniques de Durdane, l’intégrale – Jack Vance - Traduit de l’anglais (États-Unis) par Patrick Dusoulier et Arlette Rosenblum – Éditions du Bélial’ - 573 pages – 26,90€ 
François Rahier



mardi 8 juillet 2025

Question de confiance


Qui pour succéder à J. Paul Getty (Donald Sutherland), patriarche milliardaire à la tête de la Getty Oil Company, l’un des hommes voire l’homme le plus riche du monde? En ce début des années 70, claquemuré dans la campagne anglaise à Sutton Place, immense manoir au luxe froid ayant appartenu aux Tudors, il vit avec un harem de quatre femmes se ressemblant étrangement, et avec un lion domestique. 

Mégalomane au point de se prendre pour l’empereur Hadrien, il va devoir, à la suite du suicide à Hollywood de son fils aîné George (Filippo Valle), faire le choix d’un nouveau successeur. Considérant ses autres fils – John Paul Jr. en tête (Michael Esper) – comme des bons à rien, il jette son dévolu sur son petit-fils John Paul III (Harris Dickinson), adolescent de 16 ans libre et cultivé, attiré par les arts. Mais aussi déscolarisé, menant à Rome la vie insouciante des héritiers fortunés, "golden hippie" sexe & drogue. 

L‘histoire (vraie) de son enlèvement par la mafia calabraise et la demande par cette dernière d’une rançon de 17 millions de dollars – pour une dette de jeu de 6000 dollars – avait de longs mois durant été à la une de l’information dans le monde entier, et avait aussi déjà fait l’objet d’un film de Ridley Scott, "Tout l’argent du monde". Le grand-père, intransigeant, aigri et dénué de compassion, refuse tout d’abord de payer la somme exorbitante exigée, puis fait une contre-offre de 600 dollars, plus les frais. 

Gail Getty (Hilary Swank), la mère désargentée du jeune otage, sera la seule à négocier pied à pied avec les ravisseurs, en s’alliant avec un ancien agent de la CIA, James Fletcher Chace (Brendan Fraser). Tractations emberlificotées, inhumanité et avarice vont jalonner le calvaire enduré par le jeune Getty, dont les kidnappeurs ne parviennent pas à comprendre pourquoi personne ne semble vouloir le récupérer. 

Co-réalisateur de la série, Danny Boyle – auquel on doit notamment "Trainspotting" (1996), "Slumdog Millionaire" (2008) ou "Yesterday" (2019) - peut sembler parfois osciller entre "soap" façon Dallas et "true crime", mais marque nettement son intention de restaurer une certaine vérité historique pour faire oublier la version filmique sans beaucoup d’aspérités de Ridley Scott. Il avertit en outre que, pour les besoins de la fiction, dans cette série inspirée de faits réels, dialogues et éléments de narration ont été imaginés pour mieux, à eux tous, allier réalisme et imaginaire. 

Réaliste d’ailleurs - et impressionnant - est le jeu d’acteur d’un Donald Sutherland exceptionnellement détestable dans l’incarnation de ce John Paul Getty sadique, égoïste et réactionnaire. Patriarche qui détonne au sein d’un monde en pleine mutation, avec sa musique pop-rock-psychédélique des années 70, portant et imprégnant tout le récit, au son des Rolling Stones, David Bowie, Uriah Heep, John Kongos, Curved Air, Timmy Thomas, Adriano Celentano et, bien sûr, en point d’orgue, les Pink Floyd dont l’un des titres cultes, "Money", fait l’ouverture de Trust.

Trust (1 saison, 10 épisodes de 42 minutes) – **** - Disney +, Apple TV VOD, Orange VOD

Créée par Simon Beaufoy - Scénaristes: Simon Beaufoy, Brian Fillis, Alice Nutter, John Jackson, Harriet Braun

Réalisée par: Danny Boyle, Jonathan van Tulleken, Dawn Shadforth, Susanna White, Emanuele Crialese

Avec : Donald Sutherland, Harris Dickinson, Hilary Swank, Luca Marinelli, Anna Chancellor, Brendan Fraser, Silas Carson, Michael Esper
Alain Barnoud




lundi 7 juillet 2025

Mémoire épidermique


Dans "Le Tatoué", impérissable chef d'œuvre des années 60 pour le scénario duquel se sont éreintés Alphonse Boudard et Pascal Jardin, Gabin se trimballait avec un Modigliani dans le dos et Louis de Funés était prêt à se ruiner pour le récupérer. La fiction qui prétend nous surprendre en scénarisant l'impossible s'efface pourtant devant les extravagances du réel. Et le "roman" de Lionel Destremau illustre ce vertige qui nous ferait douter de tout. 




Pour atteindre ce lieu documenté des années trente où un vrai médecin légiste a procédé à la reliure en peau humaine d'un livre sur le criminel Louis Rambert, l'auteur s'autorise l'invention en 2024 d'un jeune officier de police qui va mener l'enquête à la fois sur ses origines et sur cette étrange passion pour les tatouages.




D'autres incartades avec la réalité vont permettre au patchwork littéraire de reconstituer le destin tragique des deux criminels, Louis Rambert et Gustave Mailly. Les deux ont été condamnés à la peine de mort par les Assises du Rhône pour avoir assassiné à coups de marteau un retraité et sa tante dans une maison d'Écully. De 1930 à 1931, ils avaient déjà commis une vingtaine de cambriolages. L'un était chauffeur, l'autre chiffonnier, et Lionel Destremau repousse le curseur du calendrier pour raconter leur parcours. 

Le début du Vingtième Siècle, les errances, les fréquentations et les trajectoires qu'on pressent destinées au malheur, tout se lit selon un procédé qu'affectionnait Dos Passos, coupures de presses et bulletins de situation qui nous donnent aussi bien des nouvelles du mauvais temps que du mauvais karma des deux compères. 

Le roman explore le passé en multipliant les angles pour mieux sourcer cette récurrence du crime, pour échapper peut-être à la tyrannie des interprétations, pour laisser surgir enfin une vision du monde qui appartienne en partie au lecteur.  

Un Crime dans la peau - Lionel Destremau – La Manufacture de livres – 304 pages – 19,90€ - ***
Lionel Germain



mercredi 2 juillet 2025

Cafardnaüm


Cafard! (ou mouchard) c’est la traduction de Manayek, mot hébreu – et argotique – titre de la série. C’est le surnom dont a hérité Izzy Bachar (Shalom Assayag), vétéran de la D.E.I.P. (Département des Enquêtes Internes de la Police, "la police des polices"), après avoir dénoncé des violences policières. Enquêteur chevronné et intègre, il va apprendre, à la veille de sa retraite, que son meilleur ami Barak Harel (Amos Tamam) est soupçonné de corruption. 

Cet ancien partenaire qu’il a formé est un officier charismatique de haut rang et se trouve à la tête du plus gros poste de police du pays. La mauvaise nouvelle tombe à l’occasion du pot de départ à la retraite de Dudu Eini (Sasi Samucha), directeur de la police, troisième membre de ce trio lié par une amitié indéfectible depuis leur entrée dans les forces de l’ordre. 

Souhaitant aider son ami à se tirer de cette mauvaise passe, Izzy accepte de participer à l’enquête. Les révélations qu’il obtient vont dévoiler non pas de simples magouilles mais l’existence d’un réseau tentaculaire lié à l’un des plus grands syndicats du crime de Tel Aviv. 

C’est à ce moment-là que sa vie va  basculer. Avec l’aide de Tal Ben Harush (Liraz Chamami), jeune enquêtrice de la brigade anti-gang animée d’une volonté tenace de découvrir la vérité, il engage une chasse acharnée contre Barak devenu son plus féroce ennemi. Ils devront faire face à un système qui malgré des preuves irréfutables se protège par tous les moyens (à l’image de Dudu) pour clore l’enquête.
 
Izzy parviendra-t-il à se préserver dans ce combat entre policiers intègres et policiers ripoux? C’est incontestablement un des axes majeurs de Manayek. Avec en toile de fond une société israélienne minée par la corruption et la défiance, la série nous immerge dans un univers nauséabond, au cœur des liens opaques entre police, justice et organisations mafieuses. 

On doit au scénariste Roy Iddan la série pleine de suspense "Téhéran" et au réalisateur Alon Zingman la série (comédie) "Les Shtisel: une famille à Jérusalem", tous deux ayant pris l’option de changer pour le genre "bad cops". Manayek, en ce sens, fait immanquablement penser à "The Shield", série culte américaine avec ses policiers violents, véreux et racistes. Mais aussi, du fait de sa narration adroite, de son rythme et de sa tension psychologique, aux grands classiques du polar ("Le Samouraï" de Jean-Pierre Melville, par exemple). 

Au cours de son enquête (de sa quête?) Izzy, héros incorruptible, va découvrir que son monde n’était pas celui qu’il croyait être, dans un État de droit à géométrie variable, une société écartelée entre loyauté, trahison et devoir. Un monde de violences et de mensonges, à explorer absolument.

Manayek – Trahison dans la police (3 saisons, 30 épisodes de 45 minutes) – Arte.TV ****

Créée par Roy Iddan et Yoav Gross

Réalisée par Alon Zingman

Avec: Shalom Assayag, Amos Taman, Liraz Chamami, Doron Ben David, Mouna Hawa, Diana Golbi, Sasi Samucha, Maya Dagan, Ofer Hayoun
Alain Barnoud


Voir la bande-annonce sur Arte






mardi 1 juillet 2025

L'Aube des super-héros


Romans, nouvelles, scénarios de BD, pendant 50 ans Edmond Hamilton (1904-1977) a œuvré pour la science-fiction, aux côtés de son épouse Leigh Brackett – qui travailla elle-même sur "Star Wars". Des origines à nos jours le space opera lui doit beaucoup, les super héros des comics également. Sous la houlette de deux bordelais, Francis Valéry et Laurent Queyssi, la revue Bifrost avait publié il y a quelques années un passionnant dossier ("Edmond Hamilton, le roi des étoiles", n° 90, avril 2018, toujours disponible), une utile piqûre de rappel pour ceux qui ignorent encore que la SF a une histoire.

Patrimoine immatériel de la culture populaire, les "pulps" ont leur collection chez le même éditeur. Ces fascicules aux couvertures criardes ont été à l’origine du space opera, et ont marqué de leur empreinte des blockbusters comme "Star Wars". Le héros-phare de cette nouvelle série est plus connu chez nous à travers son adaptation en dessin animé : "Capitaine Flam, à la rescousse!" (Toei Animation, 1978). Hamilton en écrivit la plupart des épisodes, entre 1940 et 1945, sur une idée de Mort Weisinger, futur responsable de DC Comics. 



Responsable éditorial de cette collection et traducteur déjà de sept volumes de la série, Pierre-Paul Durastanti la présente ainsi: "PULPS est un espace voué à l’Aventure. Une collection, si l’on veut, ou un label, mais plus sûrement un état d’esprit. Ce qui préside ici, c’est la science-fiction sur grand écran. Il s’agit de distraire sans se prendre au sérieux. Le sentiment est à l’émerveillement" – ce fameux "sense of wonder" de la littérature d’anticipation.



L’auteur se joue avec brio de ce que d’aucuns appelleront les poncifs du genre: mondes interdits, extra-terrestres pas toujours amènes et embrouilles en tous genres dans l’espace. Ici, autour de Curt Newton, le "Capitaine Futur", qui a tous les attributs d’un super-héros – y compris le récit des origines – on trouve un robot, un androïde, un cerveau en bocal et une belle jeune femme échappant aux clichés de l’époque. 

L’opéra de l’espace, si bien nommé, fonctionne comme les grandes machines romantiques de Hugo ou Verdi: portés par la musique ou le rythme, nous sommes moins sensibles aux invraisemblances ou aux stéréotypes. Et du rythme, il en a, ce bougre d’Hamilton!

Capitaine Futur/Le Magicien de Mars - Edmond Hamilton - Traduit de l’anglais (États-Unis) par Pierre-Paul Durastanti. - Pulps/Le Bélial’ - 188 pages - 18.90 € (7 volumes parus)
François Rahier



lundi 30 juin 2025

Frères de sang


Les amateurs de Jo Nesbo habitués à l'exubérance de la série consacrée au personnage de Harry Hole seront surpris par ce diptyque dans lequel la noirceur de l'écrivain s'accommode très bien d'un classicisme tempéré. 



"Leur domaine" nous présentait les deux frères, Carl et Roy, dont les parents avaient disparu dans un mystérieux accident de voiture. Comme souvent pour le lecteur français, la géographie tient une place prépondérante dans la découverte des romans nordiques. Ici, la bourgade s'appelle Os, petite ville coincée entre les montagnes et un lac en contrebas d'un virage, le virage des Chèvres, lui-même fatal aux conducteurs imprudents. 




Roy est toujours le narrateur de ce deuxième volet.  Contrarier les deux frères expose à des conséquences mortelles. Notamment  sur ce projet de tunnel destiné à contourner le bourg, royaume où Carl espère concrétiser de grands programmes touristiques.

Au-delà des dérives meurtrières du duo, Jo Nesbo nous accroche à leurs tourments personnels et à une rivalité qui se révèle au fil des pages de plus en plus dangereuse. Comme un retour aux fondamentaux du polar.

Les maîtres du domaine - Jo Nesbo – Traduit du norvégien par Céline Romand-Monnier – Série noire Gallimard – 466 pages – *** 
Lionel Germain



mercredi 25 juin 2025

"Tu me cherches!"


Des coups de klaxon, un doigt d’honneur. Sur le parking d’un centre commercial de Los Angeles, Danny Cho (Steven Yeun), auto-entrepreneur immigré en pleine crise, fatigué par une trop longue journée, manque d’emboutir, avec son vieux pick-up cabossé, un rutilant SUV Mercedes blanc. Au volant, Amy Lau (Ali Wong), bourgeoise mère de famille à la tête d’une entreprise performante qu’elle est en passe de vendre plusieurs millions de dollars. 

Pour Danny, ce n’était pas le jour. Libérant sa rage, il se lance dans une course-poursuite insensée dans les rues de cette banlieue chic californienne. Elle s’achève sans qu’aucun des deux conducteurs n’ait pu voir le visage de l’autre. Les recherches de Danny sur Internet feront le reste, et très vite les deux protagonistes vont s’engager dans une vendetta irrationnelle, alimentée par une haine incontrôlable. Une situation qui n’est pas loin d’évoquer le film de Joël Schumacher "Chute libre", ou celui de Damian Szifron "Les nouveaux sauvages". 

Le besoin viscéral de vengeance de Danny et d’Amy va mettre en danger tout ce qu’ils ont construit, ainsi que tous leurs proches. Cette accumulation de coups tordus réciproques va révéler les fêlures, les frustrations et les regrets de chacun. Une descente aux enfers pour Danny, qui vit de petits jobs mal payés et parfois foireux, ainsi que pour Amy, son monde familial idéal et ses succès professionnels. La quête du malheur de l’autre devient une obsession. 

Cette comédie noire se déroule dans la communauté asiatique et notamment coréenne de Los Angeles, communauté où le succès est synonyme de survie. Elle pratique un mélange des genres qui, au fil des épisodes (10 !), déroute le spectateur. Le rythme s’essouffle, rendant le récit long et poussif. 

On oscille en permanence entre humour et absurdité, comédie légère et drame, mais ces variations finissent par nous perdre … et nous lasser. Certains dialogues du dernier épisode, limite indigents et affligeants, contribuent à modérer l’emballement initial pour une série dont le titre anglais, BEEF ("Do you want beef" = "Tu me cherches?") illustre bien le thème. 

Construite autour de deux acteurs impeccables, Ali Wong, comédienne de stand-up féroce et trash, et Steven Yeun découvert dans "The Walking Dead", elle devrait connaître une deuxième saison avec quelques "guests". Ils apporteront peut-être un tonus supplémentaire si le scénario évite l’enchaînement d’évènements improbables.

Acharnés (saison 1, 10 épisodes de 30 minutes) - Netflix **

Scénariste : Jean Kyoung Frazier

Réalisée par Jake Shreier et Hikari

Avec : Ali Wong, Steven Yeun, Patti Yasutake, Joseph Lee (II), Ashley Park, Young Mazino, Remy Holt, David Choe, Justin H.Min, Maria Bello
Alain Barnoud






mardi 24 juin 2025

Retour sur Olaf Stapledon


Le plus formidable peut-être des créateurs d’univers sort enfin de l’ombre. Grâce au travail précieux de trois chercheurs, Simon Ayrinhac, Jean-Guillaume Lanuque et Xavier Noÿ, l’œuvre d’Olaf Stapledon (1886-1950) commence à être de nouveau accessible en français, et fait l’objet, avec ce numéro de la revue Galaxies, d’un dossier passionnant. 

Philosophe de formation, Stapledon avait eu recours assez vite à la fiction pour vulgariser ses idées. À l’époque, Virginia Woolf et Winston Churchill apprécièrent son œuvre, ce qui ne fut pas le cas de ses contemporains H.-G. Wells ou C. S. Lewis – ce dernier récemment mis en scène avec Sigmund Freud dans "Freud, la dernière confession" le film de Matthew Bown – qui s’opposèrent à lui sur la question religieuse. 




Parmi les "Universe Makers", pour reprendre le titre d’un ouvrage d’A. E. Van Vogt, Stapledon est celui qui embrasse la plus grande amplitude temporelle: si La Cité et les astres d’A. C. Clarke, par exemple, nous invite à visiter l’univers dans un milliard d’années, les célèbres frises temporelles de Stapledon nous mènent, de l’échelle de l’homme à celle du Créateur, à 500 milliards d’années dans le futur. 



Dans son étude "Science-fiction et théologie" Gérard Klein compare la vision cosmique de Stapledon à celle de Teilhard de Chardin, mettant en avant tout ce qui sépare le jésuite catholique d’un penseur influencé par le calvinisme. De telles perspectives, qui questionnent le devenir de l’humanité, posent la question de ce que l’on appelle aujourd’hui le "transhumanisme": dans le dossier, un article de Xavier Noÿ montre cependant ce qui sépare le point de vue de Stapledon de ces perspectives contemporaines. 

Dans ses romans Stapeldon propose d’autres pistes explorées par la science d’aujourd’hui: ingénierie génétique, terraformation, et la fameuse sphère de Dyson, mégastructure hypothétique située autour d’une étoile et conçue pour en capturer l’énergie à des fins industrielles, dont l’inventeur, le mathématicien américano-britannique Freeman Dyson, reconnut qu’il en devait l’idée à Stapledon. 

Un patient et minutieux travail de réappropriation de l’œuvre est en cours: la traduction de Créateur d’étoiles par Simon Ayrinhac a d’abord été publiée en autoédition avant d’être reprise par les éditions Terre de Brume à Dinan; un autre titre, Les Derniers hommes à Londres, est également disponible chez le même éditeur. D’autres suivront on l’espère.

Olaf Stapledon le visionnaire – Revue Galaxies # 90 - 191 pages – 11€ - ***
François Rahier



lundi 23 juin 2025

Histoires de France


C'est tendance dans le polar français contemporain, les retours sur un passé récent, notamment les années 70 qui annonçaient une fin de règne pour la droite au pouvoir depuis plus de vingt ans. Benjamin Dierstein en est à sa deuxième saga historique après une trilogie remarquée sur le personnel politique des années 2000. La proximité avec Ellroy tenait déjà au choix du cadrage à hauteur de flics, là où s'étouffent, s'embrouillent et se défont parfois les histoires de puissants.

"Bleus, Blancs, Rouges" accueille les lecteurs en 1978 dans l'ambiance glaciale des cinglés du renseignement français à qui on impose une "collaboratrice". Jacquie est la filleule de Marcel Lebrun, patron des RG. Et peut-être est-elle plus que sa filleule ce qui la rend détestable aux yeux des machos du service et de son binôme, l'inspecteur Marco Paolini. 



Dans cette traque d'un trafiquant d'armes surnommé Geronimo, un autre flic, Jean-Louis Gourvennec va infiltrer un groupe gauchiste. Au générique, figure également un mercenaire, Robert Vauthier, de retour d'Afrique, continent qui est encore un terrain de jeu où la France se permet la "chasse gardée". Vauthier encanaille le Monarque (Giscard) dans les safaris à l'antilope. 





Pour son travail d'infiltré, Gourvennec est amené à massacrer son foie en compagnie de Pierre Goldman dans des virées sans fin où l'on croise des journalistes de Libé, Maxime Le Forestier et Jean-Paul Dollé. Quant à Marco, pris dans la tourmente terroriste, il rejoint le SAC et ses gros bras qui font le coup de poing contre les grévistes de l'aciérie de Vincennes.

Benjamin Dierstein conduit sa partition sur un  tempo d'enfer et ne se refuse aucune des outrances qui rythmaient les nuits dévergondées du milieu homosexuel d'avant le Sida. C'est parfois du brutal mais c'est documenté comme un rapport des RG et c'est bien la somme de ces histoires qui nous ramène au récit majuscule, ou à une "certaine idée de la France".

Bleus, Blancs, Rouges – Benjamin Dierstein – Flammarion – 794 pages – 24,50€ - ****  
Lionel Germain



mercredi 18 juin 2025

Fuck la vie!


Ricky Gervais a ses fans, comique anglais encensé dans le monde entier, stand-upper connu pour son cynisme et son humour noir. Il est également scénariste, acteur et réalisateur auquel on doit la série culte "The Office", ainsi que "Extras" ou "Derek". Son obsession: représenter et dénoncer l’absurdité du monde.
 
Tony (Ricky Gervais) vient de perdre sa femme, grand amour de sa vie depuis vingt-cinq ans, emportée par un cancer. Totalement perdu et dépressif, il a dans l’idée de mettre fin à ses jours, mais que deviendrait Brandy, son chien fidèle? Journaliste à la "Tambury Gazette" dirigée par son beau-frère Matt (Tom Basden)- journal de cette petite ville où il vit - entre ses collègues apathiques et les citoyens "extraordinaires" qu’il interviewe, plus "freaks" les uns que les autres, témoins de la bêtise ambiante, Tony va faire de son deuil un summum de misanthropie. 

Il décide de changer complètement de comportement et magnifie sa peine par une succession de sarcasmes et de vannes caustiques qu’il décoche à ceux qui le croisent, des proches ou des inconnus. Après avoir semé la pagaille autour de lui et admis les conséquences de ses actes, il commence à aller mieux, grâce à de nouvelles rencontres (une prostituée touchante, "Roxy", (Roisin Conaty) - une nouvelle collègue de bureau, Sandy, (Mandeep Dhillon) - un ami à la fois livreur de journaux et dealer, Julian, (Tim Plester) - une veuve agée réconfortante, Anne, (Penelope Wilton) – et Emma, (Ashley Jensen), l’infirmière qui s’occupe de son père malade. 

D’odieux, il va redevenir peu à peu le brave type qu’il avait toujours été. Malgré l’humour noir du personnage – souvent aussi savoureux que détestable, à la manière british – "After Life" reste imprégnée du deuil et de beaucoup de mélancolie. 

A cette étape de l’histoire, le récit se fait moins drôle et Ricky Gervais, abandonnant sa verve corrosive et misanthrope, donne le sentiment de tomber dans les mécanismes du "feel good" movie. Pour Tony, la voie de la guérison demeure encore longue et confuse. C’est ce qui devrait inspirer la Saison 2.

After Life (saison 1, 6 épisodes) - Netflix ***

Créée et réalisée par Ricky Gervais

Avec : Ricky Gervais, Tom Basden, Tony Way, Diane Morgan, Mandeep Dhillon, Ashley Jensen, David Bradley, Penelope Wilton, Roisin Conaty, Paul Kaye, Tommy FinneganLiens Youtube
Alain Barnoud






mardi 17 juin 2025

De mémoire d'éléphant...


Nous sommes à la fin du XXIe siècle, les éléphants sauvages d’Afrique ont disparu; avec eux les castors, le cheval d’Amérique du Nord, l’ours, le paresseux... Les grandes extinctions réduisent gravement la biodiversité. Des chercheurs russes ont pourtant réussi à cloner des mammouths avec de l’ADN issu du permafrost. 

Et là-bas, dans l’immense taïga, ils vaquent librement, reconstituant une espèce à part entière; peut-être même rétabliront-ils un écosystème disparu. C’est l’objectif. Mais pour financer cette entreprise prométhéenne, quitus est donné pour une chasse à l’ancienne à de puissants oligarques, prêts à verser des sommes colossales pour les mythiques défenses enroulées en spirale de ces pachydermes. 



C’est ici qu’intervient Damira Khismatullina, éthologue de renommée mondiale, spécialiste du comportement des éléphants, morte dans un affrontement violent avec des trafiquants d’ivoire en Afrique bien des années auparavant. Sa mémoire, numérisée avant son décès, est implantée dans le cerveau d’une matriarche mammouth susceptible de guider ses congénères, animaux quasiment créés de toutes pièces, privés de l’expérience des générations antérieures et livrés aux prédateurs. 



Comme "L’Enfant d’éléphant" du conte initiatique de Rudyard Kipling, cité en boucle dans le roman, ces éléphants tout neufs, animés d’une insatiable curiosité, vont apprendre à cogner – et ils ne vont pas s’en priver. Le canadien Ray Nayler, chercheur spécialisé dans l’observation océanique et atmosphérique, nous avait montré ses capacités d’empathie avec des intelligences extrahumaines dans La Montagne dans la mer

Ici, ce ne sont pas des poulpes dont on déchiffre le langage. C’est avec Damira, conduisant le troupeau de ses congénères, que l’on pense: "Il n’y aura plus que la neige, le mouvement éternel du groupe, la chaleur des vibrations de ses compagnons dans la terre qui se propage à travers ses os. Et elle ne sera plus qu’avec eux, et nulle part ailleurs. Ils la reconnaîtront, et elle les connaîtra".

Défense d’extinction – Ray Nayler – Traduit de l’américain par l’Épaule d’Orion – Une heure lumière/Le Bélial’ - 152 pages – 12,90€ - ***
François Rahier



lundi 16 juin 2025

Ménage à trois


De la lutte des classes, on se fabrique l'image spectaculaire de l'affrontement au sein des entreprises où les frontières sociales sont repérables. Il faut en revanche beaucoup de finesse pour démêler les fils invisibles qui tissent les liens de dépendance entre une femme de ménage et son employeuse. 




Amélie Cordonnier met d'abord en scène l'amitié qui pourrait qualifier les rapports entre Sylvie, "employée de maison" modèle, et Anaïs qui concède "se faire aider" par Sylvie et lui accorde toute sa confiance. Aucune des deux n'a l'impression de vivre un simulacre jusqu'au jour où "Airbnb"  trouble la donne et provoque un accident dramatique.




C'est à une négligence de Sylvie que les enquêteurs vont imputer la mort du petit Joseph, le fils d'Anaïs. Et c'est Camille, la fille de Sylvie qui va repérer l'injustice et assumer la défense de sa mère. "Peu importe les diplômes, peu importe la réussite, je resterai toute ma vie sa fille. Fille de femme de ménage".

Parcours sensible à travers les souffrances des exploitations silencieuses. 

Superhôte - Amélie Cordonnier – Flammarion – 180 pages – 19€ - *** 
Lionel Germain 



mercredi 11 juin 2025

Pas du gâteau pour Kate


Après avoir été en poste à Islamabad et Kaboul, Kate Wyler (Kerri Russell, extraordinaire infiltrée dans The Americans)se voit propulsée, sans son véritable assentiment, à l’ambassade des Etats-Unis à Londres au moment où un événement terroriste vient de viser, au large des côtes iraniennes, un porte-avion britannique, causant la mort de 41 marines. L’Iran est immédiatement suspecté par Londres. 

Plongée au cœur de cette crise géopolitique, Kate Wyler doit gérer dans l’urgence les différentes relations avec, côté anglais, le Ministre des Affaires Étrangères au Foreign Office Austin Dennison (David Gyasi) et le Premier Ministre Nicol Trowbridge (Rory Kinnear) et, côté américain, le Secrétaire d’Etat Miguel Ganon (Miguel Sandoval), la Cheffe de Cabinet de la Maison Blanche Billie Appiah (Nana Mensah) et la représentante locale de la CIA Eidra Graham(Ali Ahn). 

Elle peut malgré tout compter sur l’aide précieuse de Stuart Heyford (Ato Essandoh), le Chef de mission adjoint de l’ambassade, tout en étant "escortée", dans ce nouvel environnement, de son mari Hal (Rufus Sewell), diplomate de carrière chevronné. Tête brûlée, charmeur et manipulateur, le personnage a beaucoup de mal à se cantonner au rôle de conjoint de l’ambassadrice et à ne pas intervenir dans les actions diplomatiques de son pays. Le couple étant par ailleurs en passe de divorcer. 

Série centrée sur la géopolitique, s’inscrivant avec malignité et talent dans le contexte Brexit - années Trump - guerre en Ukraine, "La Diplomate" reste une fiction qui tient par moments de la comédie romantique. Quelques invraisemblances n'échapperont pas aux connaisseurs de la vie et des arcanes diplomatiques, en particulier les propos et méthodes parfois très cash de Kate Wyler. 

Si l’action, dans les deux ou trois premiers épisodes semble en mode diesel, elle prend ensuite son rythme, portée par d’excellents dialogues, parfois boursouflés de nombreux termes techniques. 

On ne peut manquer, en fin de compte, de songer à la fois à House of Cards, Veep et surtout À la Maison Blanche de Aaron Sorkin, dont Debora Cahn, la réalisatrice de la série, a écrit une quinzaine d’épisodes. Ce "divertissement politique" vaut à coup sûr qu’on le découvre, la saison 2 s’annonçant très prometteuse.

La Diplomate (saison 1, 8 épisodes) – NETFLIX – ***

Créée et réalisée par Debora Cahn

Avec Kerri Russell, Rufus Sewell, Ato Essandoh, David Gyasi, Rory Kinnear, Miguel Sandoval, Nana Mensah, Ali Ahn
Alain Barnoud






mardi 10 juin 2025

La dérive des châtiments


On pourrait le qualifier de méchant, voire de cruel (le méchant a souvent le mauvais rôle quand la cruauté distingue celui qui prodigue le mal avec une certaine élégance) mais Sébastien Gendron n'est qu'un romancier dont le cœur saigne devant l'absurdité du monde. 

À la suite de "Chevreuil" et d'après "une histoire fausse", il nous offre le livre II d'une chronique animalière dans laquelle on observe une espèce menacée  par le châtiment qu'elle s'inflige. 



Ainsi de Constance Deltheil, mère indigne d'un enfant détestable. Elle aimerait s'échapper du lotissement où chacun s'exerce au vide existentiel. Le Python qui rôde dans les canalisations n'est qu'un argument à la Prévert pour nous désigner les vrais coupables. Sébastien Gendron manie le désespoir avec une politesse de gentleman et il n'est jamais trop tard pour mourir de rire. 




Python - Sébastien Gendron – Gallimard La Noire – 330 pages – 20€ - ***
Lionel Germain



Maraude cyberpunk


Néolutetia est une mégapole du futur, connectée, déjantée, au bout du rouleau déjà: façades fissurées, trottoirs jonchés de détritus, usines de composants électroniques recrachant leurs vapeurs toxiques comme la ville les humanités surnuméraires qui la hantent. 



Un décor déjà vu souvent dans le cyber, mais que l’écriture de Floriane Soulas poétise avec une grâce toute particulière, une langue tourmentée bardée de néologismes et de termes hautement techniques comme le corps de l’héroïne l’est d’implants et de prothèses. Risa est une cyborg, fruit d’expériences destinées à créer des soldats augmentés, elle va peut-être devenir le messie des enfants des rues sacrifiés comme matériau jetable. 



Née en 1989, Floriane Soulas est docteure en génie mécanique. Mais la passion qu’elle entretient depuis l’enfance pour la grande littérature romanesque du XIXe (Hugo, Zola), et les grands maîtres de la science-fiction (Asimov et Orwell), l’amène souvent à écrire…

Soma – Floriane Soulas – Le Labo/Ailleurs et demain – Robert Laffont 158 pages – 15 € - ****
François Rahier


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mercredi 4 juin 2025

Killing Kleo


Berlin-Ouest, 1987 – Dans une boîte de nuit, Big Eden, l’espionne de la Stasi, Kleo Straub (Jella Haase), en mission avec un commando secret, empoisonne un haut fonctionnaire occidental. Présent sur place, un policier de la section des fraudes, Sven Petzold (Dimitrij Schaad) est témoin de la scène. C'est un homme veule, hâbleur et magouilleur, auquel ni sa femme, ni sa hiérarchie – à laquelle il avait pourtant désigné la jeune femme comme coupable – ne font plus confiance, mais qui va s’accrocher sans relâche à sa piste. 

Trahie par la Stasi, Kleo est arrêtée et jetée en prison sans savoir pourquoi, après avoir été dénoncée et vilipendée par tous ceux qu’elle connaît, dont son propre grand-père, une éminence militaire du régime. Battue par une co-détenue, elle perdra l’enfant qu’elle portait. 

Berlin 1990 – Le mur vient de tomber. Kleo est libérée. Avide de vengeance, elle va traquer toutes celles et ceux qui ont contribué à sa perte. Agent d’élite, tueuse méthodique, mais aussi jeune femme perdue, elle passe de la détermination à la colère, de la malice au (quasi) sadisme. 

La série tient beaucoup au jeu extraordinaire de Jella Haase, qui jongle avec aisance entre ses différents personnages, avec un côté Villanelle ("Killing Eve"), voire "Kill Bill" ou "Millenium", celui d’une tueuse sans état d’âme. Il ne faut chercher de vraisemblance ou de cohérence absolues ni dans le scénario parfois absurde (sorte de fil rouge destiné à suivre les aventures déjantées de Kleo et Sven entre Berlin, Majorque et le Chili ), ni dans le personnage très combatif de l’espionne, superwoman rôdée aux arts martiaux et multilingue. 

Toutefois, la carapace peut se fendre lorsque ressurgissent les souvenirs d’enfance et l’abandon maternel. Et l’humour reste aussi bien présent pour contrer le sérieux du récit. La réussite de cette Saison 1 doit pour beaucoup, également, à l’immersion fascinante dans le monde de la guerre froide, et aux soins apportés aux décors et aux costumes. 

On retrouve une certaine "Ostalgie", rappel du mauvais goût allemand (version "Goodbye Lenin") des années 80-90 avec ses couleurs acidulées et criardes, les Trabant, le kitch bien présent et la musique techno du Berlin Underground. A cette époque, beaucoup parmi les Allemands de l’Est ne cessent de croire en l’idéal communiste, pour eux la chute de la RDA n’est qu’une illusion propagée par l’Ouest. 

Pour Kleo, esprit RDA dans le sang, conditionnée depuis l’enfance et très fortement attachée à ce qu’on lui a appris, cela n’est en aucun cas une fatalité. Mais qu’en sera-t-il par la suite? "Stasi the question"!

Kleo ( saison 1, 8 épisodes)- Netflix ****

Créée par Hanno Hackfort, Richard Kopf, Bob Konrad, Elena Senft

Réalisée par Viviane Andereggen et Jano Ben Chaabane

Avec : Jella Haase, Dimitrij Schaad, Vladimir Burlakov, Thandi Sebe, Marta Sroka, Julius Feldmeier, Tobias Koppe 
Alain Barnoud






mardi 3 juin 2025

De "l'effet Mandela" à l'anti-téléphone




Alicia, une jeune femme de 28 ans, voit son quotidien bouleversé par l’intrusion de plus en plus pressante de faux souvenirs. Elle en parle autour d’elle, voit un psy puis un hypnothérapeute. On évoque "l’effet Mandela", cette surprenante épidémie de faux souvenirs chez des gens persuadés que le leader sud-africain était mort en prison dans les années 1980, et non en 2013 après avoir été président de la République d’Afrique du sud. 



Lors d’une séance d’hypnose, un visage, un nom surgissent. Celui d’un autre père que l’homme qu’elle avait connu. Sa mère lui confirme que son père biologique les avait effectivement abandonnées peu après sa naissance pour poursuivre d’étranges recherches. 

Ce brillant étudiant, possiblement, avait repris la conjecture einsteinienne de "l’anti-téléphone tachyonique", consistant à envoyer dans le passé des tachyons, ces particules supraluminiques qui pourraient donc remonter le temps – une expérience de pensée jamais mise en œuvre. Est-ce lui qui, d’un autre futur, essaie de communiquer avec Alicia ? Et dans quel dessein ? 

Cet étonnant roman, qui peut se lire aussi comme un thriller psychologique, est la novellisation d’un podcast en 10 épisodes, Prix Radio France de la Révélation Podcast du Paris Podcast Festival 2023, disponible sur toutes les plateformes d’écoute. Étonnant come-back de la "pièce radiophonique" devenue ensuite "dramatique radio", qui fit les beaux jours de la radio d’avant la TV, tenta des auteurs, d’Orson Welles en 1938 avec sa célèbre adaptation de La guerre des mondes d’H. G. Wells, à Samuel Beckett ou Albert Camus (ses "Silences de Paris" diffusés sur la chaîne nationale le 30 avril 1949 tentaient de capter avec ses musiques et son bruitage l’atmosphère du Paris de l’occupation), de Brecht qui en tenta la théorie ("Théorie de la radio") puis la pratique avec "Le Vol au-dessus de l’océan", au poète belge Michel de Ghelderode qui publia ses pièces écrites pour la radio dans son Théâtre d’écoute. 

Aujourd’hui, ce genre que certains jugent désuet, trouve surtout refuge sur les ondes de France Culture. D’un médium l’autre, étonnant come-back, et beau retour en grâce.

Altérée – Charly Lemega – Seuil – 361 pages – 20 € - ****
François Rahier



lundi 2 juin 2025

Horreur judiciaire


En 1984, la séquestration d'Huguette, une jeune fille de 18 ans, prend fin après trois mois de tortures. Grâce à son témoignage, la police pourra libérer Michaella, une autre victime de ce couple qui mêlait proxénétisme et sadisme au profit de "clients" dont beaucoup échapperont à la justice. 




Et c'est là que Sabrina Champenois pose les jalons de sa propre contre-enquête. Comment expliquer la disparition de documents sous scellés et la mauvaise volonté de la justice à trouver les témoins de ce qui apparaît comme un véritable réseau criminel où pourraient figurer quelques notables? L'horreur est aussi judiciaire dans ce département de l'Yonne qui sera le cadre de bien d'autres affaires




Les Suppliciées d'Appoigny – Sabrina Champenois – 10/18 – 200 pages – 8,30€ - ***
Lionel Germain 



mercredi 14 mai 2025

Faire le mur





Il y a une construction éblouissante dans ce livre qui s'ouvre sur une fresque murale devant laquelle passe le public indifférent de Los Angeles. Une ancienne détenue va l'animer pour nous raconter l'histoire de tous ces personnages. Une histoire de femmes, de femmes violentes traquées par une femme flic aussi violente que ses cibles. Ivy Pochoda a aiguisé sa rage pour en découdre avec cette fureur qui domine le monde. 



Dios et Florida se sont rencontrées en cellule et leur échappée n'est qu'un retour à la domestication des âmes et des corps. Leur parcours criminel est la mauvaise réponse que leur imposent des matons et des maris pervers. 

Après "L'autre côté des docks" et "Route 62", la native de Brooklyn séduit toujours autant par la puissance de son style. Laissons alors au silence de la fresque le soin de refermer ce roman hypnotique.

Dios et Florida - Ivy Pochoda – Traduit de l'américain par Adélaïde Pralon – Éditions Globe – 336 pages – 23€ - ****  
Lionel Germain 



La Bouche du Sud


Le scandale du Watergate éclatait en 1972, il y a plus de 50 ans maintenant. Opération qui visait à espionner le Parti Démocrate en cette année cruciale de réélection pour Richard Nixon. La série se concentre sur les histoires méconnues et les personnages oubliés du scandale, optant, pour la première fois, en faveur du récit du point de vue des protagonistes de l’ombre. Ombre que ne connaît pas Martha Mitchell (Julia Roberts, à la justesse exceptionnelle), l’épouse de John N. Mitchell, procureur général de Nixon (Sean Penn, méconnaissable sous son maquillage), "desesperate housewife" sans filtre, bien connue pour son franc parler. 

C’est elle qui, devant les caméras des médias américains, va révéler au grand jour les malversations de la Maison-Blanche et l’implication du président dans le scandale du Watergate. Et c'est elle bien sûr que l’on fait passer pour hystérique, jusqu’à la kidnapper et la droguer pour la maintenir sous surveillance, après une campagne de diffamation orchestrée par la Maison-Blanche, mais également, en partie, par son mari. 

Le titre "Gaslit", outre la signification de "manipulés", désigne une méthode, le "gaslighting", forme subtile, complexe et cachée de manipulation psychologique. Lanceuse d’alerte avant l’heure, Martha Mitchell surnommée, au choix, "La Cassandre du Watergate" ou "La Bouche du Sud" ("The Mouth of the South")en raison de son débit de parole et de son accent de l’Arkansas, verra, au bout du compte, son mariage imploser. 

Avec "Gaslit", le choix du scénariste Robbie Pickering ("Mr Robot") et du réalisateur Matt Ross ("Captain Fantastic") est de changer la perception du public sur la protagoniste principale, figure très controversée aux Etats-Unis. Thriller historique mais aux airs de comédie, la série s’affirme bien différente du célèbre et rigoureux "Les hommes du président" d’Alan J. Pakula (1976), mais ne manque ni de crédibilité ni d’authenticité grâce à la grande qualité de la reconstitution des années 1970. 

Dans sa propre analyse des faits, Robbie Pickering nous livre une ultime piste confondante sur le rôle de lanceuse d’alerte de Martha Mitchell: "Si elle s’est mise à parler de Nixon dans la presse, ce n’était pas pour dénoncer ses abus de pouvoir, mais parce qu’elle était jalouse que son mari lui consacre tout son temps! C’est ce geste égoïste qui a ouvert les vannes".

Gaslit – Apple TV VOD, CANAL VOD - ****

Créée par Robbie Pickering

Réalisée par Matt Ross

Avec Julia Roberts, Sean Penn, Dan Stevens, Betty Gilpin, Shea Whigham, Darby Camp
Alain Barnoud