mardi 17 juin 2025

De mémoire d'éléphant...


Nous sommes à la fin du XXIe siècle, les éléphants sauvages d’Afrique ont disparu; avec eux les castors, le cheval d’Amérique du Nord, l’ours, le paresseux... Les grandes extinctions réduisent gravement la biodiversité. Des chercheurs russes ont pourtant réussi à cloner des mammouths avec de l’ADN issu du permafrost. 

Et là-bas, dans l’immense taïga, ils vaquent librement, reconstituant une espèce à part entière; peut-être même rétabliront-ils un écosystème disparu. C’est l’objectif. Mais pour financer cette entreprise prométhéenne, quitus est donné pour une chasse à l’ancienne à de puissants oligarques, prêts à verser des sommes colossales pour les mythiques défenses enroulées en spirale de ces pachydermes. 



C’est ici qu’intervient Damira Khismatullina, éthologue de renommée mondiale, spécialiste du comportement des éléphants, morte dans un affrontement violent avec des trafiquants d’ivoire en Afrique bien des années auparavant. Sa mémoire, numérisée avant son décès, est implantée dans le cerveau d’une matriarche mammouth susceptible de guider ses congénères, animaux quasiment créés de toutes pièces, privés de l’expérience des générations antérieures et livrés aux prédateurs. 



Comme "L’Enfant d’éléphant" du conte initiatique de Rudyard Kipling, cité en boucle dans le roman, ces éléphants tout neufs, animés d’une insatiable curiosité, vont apprendre à cogner – et ils ne vont pas s’en priver. Le canadien Ray Nayler, chercheur spécialisé dans l’observation océanique et atmosphérique, nous avait montré ses capacités d’empathie avec des intelligences extrahumaines dans La Montagne dans la mer

Ici, ce ne sont pas des poulpes dont on déchiffre le langage. C’est avec Damira, conduisant le troupeau de ses congénères, que l’on pense: "Il n’y aura plus que la neige, le mouvement éternel du groupe, la chaleur des vibrations de ses compagnons dans la terre qui se propage à travers ses os. Et elle ne sera plus qu’avec eux, et nulle part ailleurs. Ils la reconnaîtront, et elle les connaîtra".

Défense d’extinction – Ray Nayler – Traduit de l’américain par l’Épaule d’Orion – Une heure lumière/Le Bélial’ - 152 pages – 12,90€ - ***
François Rahier



lundi 16 juin 2025

Ménage à trois


De la lutte des classes, on se fabrique l'image spectaculaire de l'affrontement au sein des entreprises où les frontières sociales sont repérables. Il faut en revanche beaucoup de finesse pour démêler les fils invisibles qui tissent les liens de dépendance entre une femme de ménage et son employeuse. 




Amélie Cordonnier met d'abord en scène l'amitié qui pourrait qualifier les rapports entre Sylvie, "employée de maison" modèle, et Anaïs qui concède "se faire aider" par Sylvie et lui accorde toute sa confiance. Aucune des deux n'a l'impression de vivre un simulacre jusqu'au jour où "Airbnb"  trouble la donne et provoque un accident dramatique.




C'est à une négligence de Sylvie que les enquêteurs vont imputer la mort du petit Joseph, le fils d'Anaïs. Et c'est Camille, la fille de Sylvie qui va repérer l'injustice et assumer la défense de sa mère. "Peu importe les diplômes, peu importe la réussite, je resterai toute ma vie sa fille. Fille de femme de ménage".

Parcours sensible à travers les souffrances des exploitations silencieuses. 

Superhôte - Amélie Cordonnier – Flammarion – 180 pages – 19€ - *** 
Lionel Germain 



mercredi 11 juin 2025

Pas du gâteau pour Kate


Après avoir été en poste à Islamabad et Kaboul, Kate Wyler (Kerri Russell, extraordinaire infiltrée dans The Americans)se voit propulsée, sans son véritable assentiment, à l’ambassade des Etats-Unis à Londres au moment où un événement terroriste vient de viser, au large des côtes iraniennes, un porte-avion britannique, causant la mort de 41 marines. L’Iran est immédiatement suspecté par Londres. 

Plongée au cœur de cette crise géopolitique, Kate Wyler doit gérer dans l’urgence les différentes relations avec, côté anglais, le Ministre des Affaires Étrangères au Foreign Office Austin Dennison (David Gyasi) et le Premier Ministre Nicol Trowbridge (Rory Kinnear) et, côté américain, le Secrétaire d’Etat Miguel Ganon (Miguel Sandoval), la Cheffe de Cabinet de la Maison Blanche Billie Appiah (Nana Mensah) et la représentante locale de la CIA Eidra Graham(Ali Ahn). 

Elle peut malgré tout compter sur l’aide précieuse de Stuart Heyford (Ato Essandoh), le Chef de mission adjoint de l’ambassade, tout en étant "escortée", dans ce nouvel environnement, de son mari Hal (Rufus Sewell), diplomate de carrière chevronné. Tête brûlée, charmeur et manipulateur, le personnage a beaucoup de mal à se cantonner au rôle de conjoint de l’ambassadrice et à ne pas intervenir dans les actions diplomatiques de son pays. Le couple étant par ailleurs en passe de divorcer. 

Série centrée sur la géopolitique, s’inscrivant avec malignité et talent dans le contexte Brexit - années Trump - guerre en Ukraine, "La Diplomate" reste une fiction qui tient par moments de la comédie romantique. Quelques invraisemblances n'échapperont pas aux connaisseurs de la vie et des arcanes diplomatiques, en particulier les propos et méthodes parfois très cash de Kate Wyler. 

Si l’action, dans les deux ou trois premiers épisodes semble en mode diesel, elle prend ensuite son rythme, portée par d’excellents dialogues, parfois boursouflés de nombreux termes techniques. 

On ne peut manquer, en fin de compte, de songer à la fois à House of Cards, Veep et surtout À la Maison Blanche de Aaron Sorkin, dont Debora Cahn, la réalisatrice de la série, a écrit une quinzaine d’épisodes. Ce "divertissement politique" vaut à coup sûr qu’on le découvre, la saison 2 s’annonçant très prometteuse.

La Diplomate (saison 1, 8 épisodes) – NETFLIX – ***

Créée et réalisée par Debora Cahn

Avec Kerri Russell, Rufus Sewell, Ato Essandoh, David Gyasi, Rory Kinnear, Miguel Sandoval, Nana Mensah, Ali Ahn
Alain Barnoud






mardi 10 juin 2025

La dérive des châtiments


On pourrait le qualifier de méchant, voire de cruel (le méchant a souvent le mauvais rôle quand la cruauté distingue celui qui prodigue le mal avec une certaine élégance) mais Sébastien Gendron n'est qu'un romancier dont le cœur saigne devant l'absurdité du monde. 

À la suite de "Chevreuil" et d'après "une histoire fausse", il nous offre le livre II d'une chronique animalière dans laquelle on observe une espèce menacée  par le châtiment qu'elle s'inflige. 



Ainsi de Constance Deltheil, mère indigne d'un enfant détestable. Elle aimerait s'échapper du lotissement où chacun s'exerce au vide existentiel. Le Python qui rôde dans les canalisations n'est qu'un argument à la Prévert pour nous désigner les vrais coupables. Sébastien Gendron manie le désespoir avec une politesse de gentleman et il n'est jamais trop tard pour mourir de rire. 




Python - Sébastien Gendron – Gallimard La Noire – 330 pages – 20€ - ***
Lionel Germain



Maraude cyberpunk


Néolutetia est une mégapole du futur, connectée, déjantée, au bout du rouleau déjà: façades fissurées, trottoirs jonchés de détritus, usines de composants électroniques recrachant leurs vapeurs toxiques comme la ville les humanités surnuméraires qui la hantent. 



Un décor déjà vu souvent dans le cyber, mais que l’écriture de Floriane Soulas poétise avec une grâce toute particulière, une langue tourmentée bardée de néologismes et de termes hautement techniques comme le corps de l’héroïne l’est d’implants et de prothèses. Risa est une cyborg, fruit d’expériences destinées à créer des soldats augmentés, elle va peut-être devenir le messie des enfants des rues sacrifiés comme matériau jetable. 



Née en 1989, Floriane Soulas est docteure en génie mécanique. Mais la passion qu’elle entretient depuis l’enfance pour la grande littérature romanesque du XIXe (Hugo, Zola), et les grands maîtres de la science-fiction (Asimov et Orwell), l’amène souvent à écrire…

Soma – Floriane Soulas – Le Labo/Ailleurs et demain – Robert Laffont 158 pages – 15 € - ****
François Rahier


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mercredi 4 juin 2025

Killing Kleo


Berlin-Ouest, 1987 – Dans une boîte de nuit, Big Eden, l’espionne de la Stasi, Kleo Straub (Jella Haase), en mission avec un commando secret, empoisonne un haut fonctionnaire occidental. Présent sur place, un policier de la section des fraudes, Sven Petzold (Dimitrij Schaad) est témoin de la scène. C'est un homme veule, hâbleur et magouilleur, auquel ni sa femme, ni sa hiérarchie – à laquelle il avait pourtant désigné la jeune femme comme coupable – ne font plus confiance, mais qui va s’accrocher sans relâche à sa piste. 

Trahie par la Stasi, Kleo est arrêtée et jetée en prison sans savoir pourquoi, après avoir été dénoncée et vilipendée par tous ceux qu’elle connaît, dont son propre grand-père, une éminence militaire du régime. Battue par une co-détenue, elle perdra l’enfant qu’elle portait. 

Berlin 1990 – Le mur vient de tomber. Kleo est libérée. Avide de vengeance, elle va traquer toutes celles et ceux qui ont contribué à sa perte. Agent d’élite, tueuse méthodique, mais aussi jeune femme perdue, elle passe de la détermination à la colère, de la malice au (quasi) sadisme. 

La série tient beaucoup au jeu extraordinaire de Jella Haase, qui jongle avec aisance entre ses différents personnages, avec un côté Villanelle ("Killing Eve"), voire "Kill Bill" ou "Millenium", celui d’une tueuse sans état d’âme. Il ne faut chercher de vraisemblance ou de cohérence absolues ni dans le scénario parfois absurde (sorte de fil rouge destiné à suivre les aventures déjantées de Kleo et Sven entre Berlin, Majorque et le Chili ), ni dans le personnage très combatif de l’espionne, superwoman rôdée aux arts martiaux et multilingue. 

Toutefois, la carapace peut se fendre lorsque ressurgissent les souvenirs d’enfance et l’abandon maternel. Et l’humour reste aussi bien présent pour contrer le sérieux du récit. La réussite de cette Saison 1 doit pour beaucoup, également, à l’immersion fascinante dans le monde de la guerre froide, et aux soins apportés aux décors et aux costumes. 

On retrouve une certaine "Ostalgie", rappel du mauvais goût allemand (version "Goodbye Lenin") des années 80-90 avec ses couleurs acidulées et criardes, les Trabant, le kitch bien présent et la musique techno du Berlin Underground. A cette époque, beaucoup parmi les Allemands de l’Est ne cessent de croire en l’idéal communiste, pour eux la chute de la RDA n’est qu’une illusion propagée par l’Ouest. 

Pour Kleo, esprit RDA dans le sang, conditionnée depuis l’enfance et très fortement attachée à ce qu’on lui a appris, cela n’est en aucun cas une fatalité. Mais qu’en sera-t-il par la suite? "Stasi the question"!

Kleo ( saison 1, 8 épisodes)- Netflix ****

Créée par Hanno Hackfort, Richard Kopf, Bob Konrad, Elena Senft

Réalisée par Viviane Andereggen et Jano Ben Chaabane

Avec : Jella Haase, Dimitrij Schaad, Vladimir Burlakov, Thandi Sebe, Marta Sroka, Julius Feldmeier, Tobias Koppe 
Alain Barnoud






mardi 3 juin 2025

De "l'effet Mandela" à l'anti-téléphone




Alicia, une jeune femme de 28 ans, voit son quotidien bouleversé par l’intrusion de plus en plus pressante de faux souvenirs. Elle en parle autour d’elle, voit un psy puis un hypnothérapeute. On évoque "l’effet Mandela", cette surprenante épidémie de faux souvenirs chez des gens persuadés que le leader sud-africain était mort en prison dans les années 1980, et non en 2013 après avoir été président de la République d’Afrique du sud. 



Lors d’une séance d’hypnose, un visage, un nom surgissent. Celui d’un autre père que l’homme qu’elle avait connu. Sa mère lui confirme que son père biologique les avait effectivement abandonnées peu après sa naissance pour poursuivre d’étranges recherches. 

Ce brillant étudiant, possiblement, avait repris la conjecture einsteinienne de "l’anti-téléphone tachyonique", consistant à envoyer dans le passé des tachyons, ces particules supraluminiques qui pourraient donc remonter le temps – une expérience de pensée jamais mise en œuvre. Est-ce lui qui, d’un autre futur, essaie de communiquer avec Alicia ? Et dans quel dessein ? 

Cet étonnant roman, qui peut se lire aussi comme un thriller psychologique, est la novellisation d’un podcast en 10 épisodes, Prix Radio France de la Révélation Podcast du Paris Podcast Festival 2023, disponible sur toutes les plateformes d’écoute. Étonnant come-back de la "pièce radiophonique" devenue ensuite "dramatique radio", qui fit les beaux jours de la radio d’avant la TV, tenta des auteurs, d’Orson Welles en 1938 avec sa célèbre adaptation de La guerre des mondes d’H. G. Wells, à Samuel Beckett ou Albert Camus (ses "Silences de Paris" diffusés sur la chaîne nationale le 30 avril 1949 tentaient de capter avec ses musiques et son bruitage l’atmosphère du Paris de l’occupation), de Brecht qui en tenta la théorie ("Théorie de la radio") puis la pratique avec "Le Vol au-dessus de l’océan", au poète belge Michel de Ghelderode qui publia ses pièces écrites pour la radio dans son Théâtre d’écoute. 

Aujourd’hui, ce genre que certains jugent désuet, trouve surtout refuge sur les ondes de France Culture. D’un médium l’autre, étonnant come-back, et beau retour en grâce.

Altérée – Charly Lemega – Seuil – 361 pages – 20 € - ****
François Rahier



lundi 2 juin 2025

Horreur judiciaire


En 1984, la séquestration d'Huguette, une jeune fille de 18 ans, prend fin après trois mois de tortures. Grâce à son témoignage, la police pourra libérer Michaella, une autre victime de ce couple qui mêlait proxénétisme et sadisme au profit de "clients" dont beaucoup échapperont à la justice. 




Et c'est là que Sabrina Champenois pose les jalons de sa propre contre-enquête. Comment expliquer la disparition de documents sous scellés et la mauvaise volonté de la justice à trouver les témoins de ce qui apparaît comme un véritable réseau criminel où pourraient figurer quelques notables? L'horreur est aussi judiciaire dans ce département de l'Yonne qui sera le cadre de bien d'autres affaires




Les Suppliciées d'Appoigny – Sabrina Champenois – 10/18 – 200 pages – 8,30€ - ***
Lionel Germain 



mercredi 14 mai 2025

Faire le mur





Il y a une construction éblouissante dans ce livre qui s'ouvre sur une fresque murale devant laquelle passe le public indifférent de Los Angeles. Une ancienne détenue va l'animer pour nous raconter l'histoire de tous ces personnages. Une histoire de femmes, de femmes violentes traquées par une femme flic aussi violente que ses cibles. Ivy Pochoda a aiguisé sa rage pour en découdre avec cette fureur qui domine le monde. 



Dios et Florida se sont rencontrées en cellule et leur échappée n'est qu'un retour à la domestication des âmes et des corps. Leur parcours criminel est la mauvaise réponse que leur imposent des matons et des maris pervers. 

Après "L'autre côté des docks" et "Route 62", la native de Brooklyn séduit toujours autant par la puissance de son style. Laissons alors au silence de la fresque le soin de refermer ce roman hypnotique.

Dios et Florida - Ivy Pochoda – Traduit de l'américain par Adélaïde Pralon – Éditions Globe – 336 pages – 23€ - ****  
Lionel Germain 



La Bouche du Sud


Le scandale du Watergate éclatait en 1972, il y a plus de 50 ans maintenant. Opération qui visait à espionner le Parti Démocrate en cette année cruciale de réélection pour Richard Nixon. La série se concentre sur les histoires méconnues et les personnages oubliés du scandale, optant, pour la première fois, en faveur du récit du point de vue des protagonistes de l’ombre. Ombre que ne connaît pas Martha Mitchell (Julia Roberts, à la justesse exceptionnelle), l’épouse de John N. Mitchell, procureur général de Nixon (Sean Penn, méconnaissable sous son maquillage), "desesperate housewife" sans filtre, bien connue pour son franc parler. 

C’est elle qui, devant les caméras des médias américains, va révéler au grand jour les malversations de la Maison-Blanche et l’implication du président dans le scandale du Watergate. Et c'est elle bien sûr que l’on fait passer pour hystérique, jusqu’à la kidnapper et la droguer pour la maintenir sous surveillance, après une campagne de diffamation orchestrée par la Maison-Blanche, mais également, en partie, par son mari. 

Le titre "Gaslit", outre la signification de "manipulés", désigne une méthode, le "gaslighting", forme subtile, complexe et cachée de manipulation psychologique. Lanceuse d’alerte avant l’heure, Martha Mitchell surnommée, au choix, "La Cassandre du Watergate" ou "La Bouche du Sud" ("The Mouth of the South")en raison de son débit de parole et de son accent de l’Arkansas, verra, au bout du compte, son mariage imploser. 

Avec "Gaslit", le choix du scénariste Robbie Pickering ("Mr Robot") et du réalisateur Matt Ross ("Captain Fantastic") est de changer la perception du public sur la protagoniste principale, figure très controversée aux Etats-Unis. Thriller historique mais aux airs de comédie, la série s’affirme bien différente du célèbre et rigoureux "Les hommes du président" d’Alan J. Pakula (1976), mais ne manque ni de crédibilité ni d’authenticité grâce à la grande qualité de la reconstitution des années 1970. 

Dans sa propre analyse des faits, Robbie Pickering nous livre une ultime piste confondante sur le rôle de lanceuse d’alerte de Martha Mitchell: "Si elle s’est mise à parler de Nixon dans la presse, ce n’était pas pour dénoncer ses abus de pouvoir, mais parce qu’elle était jalouse que son mari lui consacre tout son temps! C’est ce geste égoïste qui a ouvert les vannes".

Gaslit – Apple TV VOD, CANAL VOD - ****

Créée par Robbie Pickering

Réalisée par Matt Ross

Avec Julia Roberts, Sean Penn, Dan Stevens, Betty Gilpin, Shea Whigham, Darby Camp
Alain Barnoud






mardi 13 mai 2025

Mondes perdus, cités lointaines


De la Colombie des narcotrafiquants ou des FARC en voie de repentance aux forêts andines regorgeant de mythes ou de leurres, ce roman haletant, flirtant avec le fantastique et l’ésotérisme peut se lire aussi comme un guide de voyage à haut risque. 

Escorté d’un bon garde du corps, on y apprend comment déguster une "bandera paisa", le plat national, ou fumer le puro de là-bas – moins bon que le cubain, en buvant force "Vive 100". Et le rêve des cités d’or, poursuivi par les anciens conquistadors, Indiana Jones ou le colonel Fawcett qui fut son modèle, reprend les hommes. Au risque de se perdre, ou de tout perdre. 

Le livre avait été publié il y a quelques années sous le titre de "Comuna 13": haut-lieu d’une guerre urbaine qui a ravagé ce quartier de Medellin au début des années 2000, aujourd’hui symbole du renouveau de cette métropole colombienne. 





Le changement de titre rend mieux compte du projet de l’auteur: Philippe Ward, nom de plume de Philippe Laguerre, auteur de romans et nouvelles fantastiques et longtemps directeur de collection, est de longue date passionné d’archéologie fantastique et tout ce qui touche aux civilisations englouties du continent sud-américain lui tient à cœur.




Le Testament inca – Philippe Ward – Inanna éditions – 280 pages – 12€ - ***
François Rahier



lundi 12 mai 2025

Drôle de nurse


Un roman au suspense intégral, ça n'existe pas. Ou alors grâce à des rebondissements fabriqués comme on les aimait dans les feuilletons du 19ème. En général, un bon polar se doit d'ouvrir le parachute émotionnel au troisième quart du livre. Le temps d'installer l'épilogue et d'assurer au lecteur une bonne reprise cardio-vasculaire.


Andrea Mara ne respecte aucune de ces règles. Le roman démarre sur une énigme abyssale. Marissa a répondu favorablement à l'invitation de son jeune garçon pour un anniversaire. C'est la nounou de la famille invitante qui l'a pris en charge à la sortie de l'école. Pourtant, quand la maman vient le chercher en fin d'après-midi à l'adresse qu'on lui a donnée, elle tombe sur une inconnue qui n'a pas d'enfant et donc pas d'anniversaire à fêter.  Milo, le fils de Marissa a bel et bien disparu. Tout comme la nounou. 



L'exploit d'Andrea Mara, c'est de figer la situation tout en explorant l'environnement de Marissa. On se trouve alors embarqué au long cours pour près de 500 pages, pris dans le roulis anxiogène d'une intrigue qui ne semble jamais devoir accoster en pays ami. Un véritable tour de force narratif avec une résolution en trompe-l'œil et un épilogue en toute dernière page. Mais lesté d'une critique féroce de la grande bourgeoisie irlandaise.  

Toutes ses fautes – Andrea Mara – Traduit de l'anglais (Irlande) par Anna Durand - Points – 480 pages – 9,90€ - ***  
Lionel Germain




mercredi 7 mai 2025

Cherchez le coupable




On pourrait vous dire que la chute est prévisible ou au contraire que le dévoilement du coupable est une surprise, mais aucune posture critique ne convient à Ivar Leon Menger. S'il invite ses lecteurs à ne rien dire de cette intrigue au cours de laquelle des enfants disparaissent sans laisser de traces, on peut glisser un mot sur les personnages. Le flic retraité qui mène l'enquête est l'ami qu'on se souhaite pour découvrir le petit village allemand de l'Odenwald. Vous allez y croiser les suspects. Cherchez le coupable.


Dans la forêt du croque-mitaine - Ivar Leon Menger – Traduit de l'allemand par Justine Coquel – Belfond noir - 368 pages – 22€ - ***  
Lionel Germain 




Tom est chéri


En pleine nuit, sur une route des Ardennes françaises perdue dans la montagne et dans les bois, un homme s’acharne à pousser une voiture dans le ravin. Une femme gît sur le siège passager, la voiture s’embrase après que l’homme y a mis le feu. Tom Leroy (Lucas Meister), c’est lui, policier belge, qui explique aux gendarmes français appelés sur les lieux qu’il a pu réchapper à l’accident de voiture et à l’incendie, mais que sa femme n’a pu quitter à temps le véhicule. 

Personne ne contredit sa version à part Philippe (Michaël Abiteboul), le gendarme (français) qui sera chargé de l’enquête et qui connaissait bien la victime. Persuadé que la femme a été assassinée, il se heurte à sa hiérarchie soucieuse de classer l’affaire le plus vite possible.

Dans la petite communauté frontalière wallonne laissée de côté par la modernité, Linda (Bérangère McNeese), femme de Tom – bon chrétien en plus d’être policier – est une esthéticienne gérante d’un salon de bronzage artificiel. Va débuter pour ce couple, criblé de dettes, un jeu de massacre né de la bonne vieille idée de l’arnaque à l’assurance-vie. Quitte, sans plus se soucier de la morale, à franchir la ligne rouge. S’interrogeant sur leur situation sans issue et sur d’éventuels scrupules, Tom ne sait objecter à Linda que: "On va pas faire ça, on est des gens bien". 

Le récit, au ton grinçant, virant souvent à l’absurde, ne manque pas de perfidie et fonctionne malgré les surenchères loufoques qui frôlent le trop plein jusqu'à rendre la conclusion difficile. On reste cependant captivé par l’histoire et le chemin de croix "de gens bien qui ne voulaient faire de mal à personne". 

Dans ce polar belge à l'humour noir et aux personnages déjantés, les trois auteurs Stefan Bergams, Benjamin d’Aoust et Matthieu Donck (tous trois déjà à l’origine de la série La Trêve en 2016)ne désavouent pas leur proximité avec les frères Coen, mais aussi avec Columbo (on sait en effet dès le départ qui a provoqué la mort de la femme calcinée dans la voiture). 

Quelques touches également de Fargo et de Twin Peaks et des "guests" qu’on retrouve campant des personnages savoureux et bigarrés, telle Corinne Masiero en guichetière de gare impavide, François Damiens en expert automobile foireux, ou Peter Van den Begin (le cousin Serge) extraordinaire en psychopathe à tendance paranoïaque. 

Sans oublier la note comique des querelles frontalières picrocholines entre policiers-enquêteurs belges et français. Une série avec laquelle on peut se faire du bien.

Des gens bien (6 épisodes)- Arte VOD ***

Créée et réalisée par Stefan Bergams, Benjamin d’Aoust et Matthieu Donck

Avec Lucas Meister, Bérangère McNeese, Peter Van den Begin, Michaël Abiteboul, India Hair, Dominique Pinon, Corinne Masiero, François Damiens, Lucile Vignolles, Gwen Berrou, Bouli Lanners
Alain Barnoud






mardi 6 mai 2025

Le roi des menteurs




Les chevaliers blancs sont souvent les meilleurs au générique du roman noir. Et on peut dire que Fabrice Tassel a soigné son casting. Charles Perrière, patron de la police des polices, est un père-la-morale sans peur et sans reproche. En tant que chef de l'IGPN, on sent bien qu'il éprouve une jouissance un peu exagérée à remettre les brebis galeuses à leur place, mais aux yeux du public, il reste un flic exemplaire et un père de famille admirable.



Fabrice Tassel amène habilement son lecteur à redouter ce que cachent les apparences. L'homme parfait traîne un dossier qui s'épaissit au fil des pages. Double vie et trahison forment le prélude du drame qui s'annonce. Plus voluptueux est l'envol, plus dure sera la chute.

On ne sait rien  de toi - Fabrice Tassel – La Manufacture de livres – 384 pages – 19,90€ - ***  
Lionel Germain



Rêveurs du temps


Trois ados du collège François Pompon – ça ne s’invente pas, c’était un sculpteur connu en Côte-d’Or et plus précisément à Saulieu, où se déroule l’action –, se trouvent précipités en pleine seconde guerre mondiale et portent secours à un jeune juif poursuivi par les nazis. 




Une trame classique de récits de prescription à base mémorielle dont les éditeurs de littérature pour la jeunesse usent et abusent depuis quelques années. Oui, il s’agit bien d’un livre pour la jeunesse, court roman ou longue nouvelle sans difficulté de lecture. La seule difficulté pour de jeunes lecteurs serait celle de la découverte du quotidien d’une époque dont on parle peu en vérité. 




C’est celle aussi des personnages, bien de leur temps, une fille et deux garçons, la fille, Justine, jeune black à l’aise dans ses baskets, les garçons, Jean, gay et lecteur boulimique, et Jawed, un jeune syrien exilé avec sa famille dans ce coin de Bourgogne. 

Si la couleur de peau de Justine et l’homosexualité de Jean sont sans conséquence sur le récit, l’antisémitisme de Jawad qui compare à un moment la Shoah et la guerre d’Israël contre la Palestine aujourd’hui est longuement questionné dans l’histoire et suscite un débat intéressant entre les personnages. 

Auteur et éditeur en région, Dominik Vallet est aussi spécialiste de BD et de SF. Le sous-texte de cette histoire de voyage dans le temps abonde en références aux bandes dessinées de l’âge d’or et à la littérature de SF (les livres que Jean lit et relit). Ce sont d’ailleurs les miasmes empoisonnés échappés des pages du livre du "poète dément" Abdul Al-Hazred (emprunt manifeste à Lovecraft) imprudemment feuilletées dans un grenier qui entraînent les protagonistes dans ce voyage à rebours, un rêve peut-être, mais pas que… 

Pour les jeunes lecteurs ce voyage dans le passé est aussi une invite à redécouvrir l’histoire, l’occupation et la résistance dans le Morvan, l’héroïsme du maquis de Dun-les-Places… Contant le périple de ses héros vers la zone libre à la fin de l’histoire l’auteur égrène les noms des localités qu’ils traversent, un peu à la manière d’Aragon dans "Le Conscrit des cent villages": Mhère, Montreuillon, Aunay-en-Bazois, Rouy, Frasnay-Reugny, Thianges, La Machine, Decize

Destination zone libre – Dominik Vallet – Courts lettrages/Temps impossibles - 47 pages - 5,90 € - **
François Rahier



lundi 5 mai 2025

Alpha sans Roméo


Juliette est une femme bien sûr, et pourtant si on y regarde de plus près, l'héroïne de Thierry Brun fait jeu égal avec les mâles alpha. Pas au sens vertigineux qu'on trouve désormais sur la Toile où l'extrême droite revendique sa masculinité toxique, mais dans la maîtrise et la réappropriation d'un univers largement peuplé d'hommes. 




Juliette a été dans l'armée, puis garde du corps, puis embauchée par un homme d'affaires sulfureux. Les histoires de Juliette finissent mal, en général. "… elle s'est démenée, adolescente, pour ne pas ressembler à l'homme qui vivait sous le même toit qu'elle. Son père. Celui qui traînait son spleen du soir au matin.





Thierry Brun passe de l'air du temps au souffle intérieur de ses personnages, du plan large où s'ébroue la détresse contemporaine au zoom intime sur cette "mercenaire" dont la modernité appartient pourtant au patrimoine universel du roman noir. Idéal pour les nuits sans sommeil. 

Juliette - Thierry Brun – Kubik éditions – 272 pages – 18,50€ - *** 
Lionel Germain




mercredi 16 avril 2025

À l'irlandaise


Deuxième épisode des aventures de Cal Hooper, ancien flic américain venu se ressourcer dans le village d'Ardnakelty, en Irlande. Le lieu est fictionnel mais les personnages qu'on croise ont une vérité qui nous les rend très attachants. 




Cal compose un shérif hors-jeu et bienveillant pour Trey, une adolescente qu'il protège d'une tutelle déguisée. Surtout quand le retour du père de la jeune file n'annonce rien de bon pour elle. La recherche d'un hypothétique filon aurifère dissimule un paquet d'embrouilles grâce auxquelles Tana French nous gratifie d'un réjouissant western. À l'irlandaise. 




Le chasseur de feu - Tana French – Calmann-Lévy noir – 512 pages – 22,90€ - *** 
Lionel Germain



Bienvenue dans l'Outback


Au fin fond du bush australien, à Patterson, bourgade de quelques milliers d’âmes, deux jeunes ouvriers agricoles ont disparu, l’un champion de football local, l’autre un routard étranger du même âge.
 
Jay Swan (Aaron Pedersen), inspecteur de police à Melbourne, est dépêché sur place pour mener l’enquête avec Emma James (Judy Davis), la chef de la police locale. Le binôme qu’ils composent apparaît très vite insolite et bancal: d’un côté Jay, d’origine aborigène, au look de cowboy taciturne, "bad ass" et quasiment mutique, de l’autre Emma, policière blanche guère plus bavarde et sœur du patron des disparus. 

Les deux enquêteurs vont se heurter au mutisme des populations locales, blanches comme aborigènes. La toile de fond de cet "outback" où règne la défiance, est un univers verrouillé par des décennies de haine mutuelle, d’amertume et de rancœur entre aborigènes et descendants de colons blancs. A tout instant la violence peut exploser, trafic de drogue et alcoolisme aidant. 

Remake voire réinvention du western américain, "Mystery Road" en a modernisé les codes pour une série "d’atmosphère" aux allures de polar, lente et pesante. On retrouve en Aaron Pedersen - l’un des meilleurs acteurs australiens de sa génération - le personnage bourru à la présence magnétique du justicier solitaire Jay Swan, tiraillé entre son devoir et sa communauté, rôle qu’il incarnait déjà dans les films "Mystery Road" (2013) et "Goldstone" (2017) dont la série est le spin-off. 

Avec sa bande musicale immersive teintée de patrimoine country local, associée à la qualité de la photographie magnifiant les paysages désertiques, la série nous plonge très vite dans l’ambiance si particulière de cet "outback" australien, théâtre très réaliste de discrimination, d’omerta et de non-droit. Un pari scénaristique réussi.

Mystery Road – Apple TV VOD – Arte VOD – CANAL VOD - ****

Réalisée par Rachel Perkins (à partir du scénario d'Ivan Sen pour le film éponyme)

Avec Aaron Pedersen, Judy Davis, Tasia Zalar, Wayne Blair, Madeleine Madden, Sofia Helin, Tasma Walton, Deborah Mailman
Alain Barnoud





mardi 15 avril 2025

Résidence surveillée




À part les mauvaises langues, personne n'aurait l'idée de qualifier d'hôtel les résidences pénitentiaires. Flic à la retraite, le héros de Ian Rankin est en taule pour la mort d'un truand qu'on lui reproche depuis le précédent épisode. Mais l'inspecteur John Rebus n'est pas du genre à se planquer dans le quartier réservé. Le voilà également consultant à titre grâcieux, puis menacé pour un meurtre commis dans sa propre cellule. 




En prison, il faut surveiller ses arrières. La mort est une rôdeuse qui frappe avec assiduité les pensionnaires trop curieux. Deux enquêtes pour le prix d'une, avec les ombres de la pornographie enfantine et les règlements de compte parfois aussi violents à l'intérieur qu'à l'extérieur. Le meilleur du polar écossais.

Minuit à l'ombre - Ian Rankin – Traduit de l'anglais (GB – Écosse) par Fabienne Gondrand – Le Masque Grand Format – 400 pages – 22,50€ - ***
Lionel Germain

Cauchemars démographiques


L’engouement pour La Servante écarlate est-il un signe des temps? Le livre de Margaret Atwood, publié en 1985 et traduit en français deux ans plus tard, a été adapté au cinéma en 1990 puis en opéra et en ballet; depuis quelques années, la série TV qui en a été tirée a conforté son succès, huit millions d’exemplaires dans le monde rien que pour l’édition anglaise. De quoi faire oublier tous ses prédécesseurs en matière de dystopie, Orwell ou Huxley en tête. 

Dans leur essai de "démografiction" sous-titré "Quand la fiction anticipe l’avenir des sociétés", Jacques Véron et Jean-Marc Rohrbasser leur rendent hommage, et commencent même par la République de Platon. 

Si Atwood occupe une place d’honneur avec son livre qui raconte comment la dégradation de l’environnement réduit dramatiquement la fertilité des femmes, les deux auteurs interrogent aussi la manière dont Soleil vert, le roman de Harry Harrison et le film de Richard Fleischer, imaginent New York confrontée à la surpopulation – ou encore la vie dans des tours de mille étages (Les Monades urbaines de Robert Silverberg) ou dans des immeubles aussi profonds que hauts (avec le roman moins connu de Nina Berberova, À la mémoire de Schliemann). 

Mais la littérature générale est aussi mise à contribution, avec Les raisins de la colère de Steinbeck qui raconte une migration climatique avant la lettre, ou le roman de Laurent Gaudé Ouragan, fiction récente sur la catastrophe de l’ouragan Katrina survenue en 2005 en Louisiane. Nombre d'œuvres littéraires, bien au-delà de la science-fiction en effet, ont abordé des questions démographiques. 



On le voit l’ouvrage est touffu et le lecteur peut avoir des difficultés à suivre le propos des auteurs, tant les très nombreuses références romanesques font du livre une quasi-encyclopédie des dystopies sur la population, le vieillissement, la ville, où l’on découvre des auteurs qu’on n’attendait pas, Jean Dutourd, Jean Raspail, à droite, Simone de Beauvoir à gauche, ou encore Émile Ajar




La population en effet est bien au cœur des utopies ou des dystopies; en trop grand nombre elle questionne la natalité et le vieillissement; conjuguée aux changements climatiques elle interfère avec le problème des migrations et celui du retour des grandes pandémies. Mais le pire n’est pas toujours certain, concluent les auteurs avec un certain optimisme....

La démographie de l’extrême – Jacques Véron, Jean-Marc Rohrbasser – Cahiers libres/La découverte – 292 pages – 22 € - ****
François Rahier



lundi 14 avril 2025

À bon entendeur




Quand dans une équipe d'enquêteurs, on retrouve Maddie, la fille de Harry Bosch, on sait que Michael Connelly cherche à nous avoir aux sentiments. Mission accomplie. Renée Ballard, qui dirige l'unité des Affaires non résolues de Los Angeles, se lance avec Maddie sur la piste d'un criminel identifié par son ADN. Et Maddie apporte la cerise sur le gâteau en permettant de clore une affaire encore plus célèbre, celle du Dahlia noir. Ellroy en a des frissons.



Michael Connelly ne se contente pas de recycler ses personnages. Depuis le début, il nous raconte leur histoire. La vie au LAPD, la police de Los Angeles, n'est pas un long fleuve tranquille. Harry Bosch et Renée Ballard ont beaucoup de choses en partage. Enfin, dans ce nouvel épisode, on apprend que l'ADN n'est plus le seul auxiliaire scientifique d'identification. Les enquêteurs disposent désormais de l'oreille dont l'analyse rendrait celle-ci irréfutable. À bon entendeur…

À qui sait attendre – Michael Connelly – Traduit de l'américain par Robert Pépin – Calmann-Lévy noir – 468 pages – 22,90€ - ***
Lionel Germain 



mercredi 9 avril 2025

Mariage d'horizon





Les sept robes du titre sont celles que la mariée traditionnelle du Maroc devra porter aux différents moments de la cérémonie. Tristan Saule en fait le pivot du roman consacré à Lounès et Léa. Dans ce cinquième épisode des "Chroniques de la Place carrée", l'auteur s'attache aux conséquences d'un trafic de stupéfiants dans un quartier encore secoué par les émeutes après la mort d'un jeune abattu par un policier.



Lounès est en panne de fournisseurs pour son réseau tandis que Léa, journaliste locale, enquête sur un scandale municipal. A distance l'un de l'autre et dans une tension permanente, ils préparent tant bien que mal ce mariage entre deux univers contrastés.

L'auteur décrypte les codes et les usages dont le lecteur ne perçoit généralement que des échos dans la rubrique des faits divers. On parle souvent des "territoires perdus" de la République mais on devrait peut-être se demander pourquoi tant d'enfants se sont "perdus" dans ces mêmes "territoires".

Les sept robes – Tristan Saule (Grégoire Courtois) – Le Quartanier, Parallèle noir – 368 pages – 24€ - ***   
Lionel Germain





C'est de la bonne


Don Minu La Piana (Adriano Chiaramida) parrain affaibli en fin de carrière de la ‘Ndrangheta, la mafia calabraise, sort du bois et projette, pour ressouder ses soutiens, d’acheter (puis de partager) 5 tonnes de cocaïne au puissant cartel mexicain des frères Leyva. Les intermédiaires pour le transport de la cargaison sont les Lynwood, une famille de courtiers de la Nouvelle-Orléans possédant une prestigieuse compagnie maritime. 

La triangulation du récit est en place, là où se croisent les grandes lignes directrices de la série: les acheteurs, les vendeurs et les intermédiaires. Les luttes intestines au sein de la‘Ndrangheta vont rendre le parcours du bateau entre Monterrey (Mexique) et Gioia Tauro (Calabre) dantesque, surtout pour les enfants Lynwood, Emma (Andrea Riseborough) et Chris (Dane DeHaan). Pour tenir les engagements de leur père Edward(Gabriel Byrne), ils vont embarquer sur le cargo. 

Stefano Sollima (Romanzo Criminale, Gomorra, Suburra, Sicario 2), fidèle à sa fascination pour le milieu mafieux italien et international, s’est chargé de l’adaptation du roman éponyme de Roberto Saviano (auteur de Gomorra) et des deux premiers épisodes de la série. ZeroZeroZero désigne la cocaïne extra pure en langage criminel. 

Elle nous plonge tout au long de trois histoires interconnectées dans les arcanes les plus sombres du trafic depuis longtemps mondialisé et dans un sillage de mort inévitable: chaque personnage corrompu est contraint de faire ce qu’il y a de pire pour survivre. Ainsi en est-il de Stefano (Giuseppe de Domenico), le petit-fils de Don Minu, de Manuel Contreras (Harold Torres) chef ripoux d’une unité d’élite de lutte anti-drogue mexicaine, et du clan Lynwood. 

Trahisons, corruption, ultra violence, luttes de pouvoir, nous sommes bien dans le monde impitoyable du narcotrafic, cocktail détonnant d’un mélange de Gomorra, Narcos ou Sicario. Comparativement à ces dernières, on pourra se demander si Sollima apporte de nouvelles propositions au genre. Bien qu’elle affiche une vraie authenticité et une réelle crédibilité grâce à un tournage sur trois continents, la série devient par endroits attendue. Dénuée de tout humour, elle manque sur la longueur de souffle épique.

ZeroZeroZero (saison 1, 8 épisodes) – CANAL+ – ***

Créée par Stefano Sollima

Réalisation : Stefano Sollima, Janus Metz, Joseph Trapero
Avec Andrea Riseborough, Dane DeHaan, Gabriel Byrne, Giuseppe de Domenico, Harold Torres, Adriano Chiaramida, Tcheky Karyo

Alain Barnoud






mardi 8 avril 2025

Surgelées


Découvrir cinq femmes dans un conteneur relève d'une plaisanterie macabre. Elle va réunir Aurora, enquêtrice financière exilée en Islande dans l'espoir de retrouver sa sœur disparue, et Daniel, un flic chargé justement de cette affaire de disparition. 


Mais c'est évidemment le cas des "surgelées" dont Lija Sigurdardottir dénoue les fils. Une seule des cinq femmes a survécu sous protection policière. Et c'est la mafia russe qui semble surgir sous les projecteurs de la "criminelle". En marge de l'intrigue principale, la relation toxique entre un jeune Russe de 27 ans et une artiste qui approche de la cinquantaine révèle peu à peu son caractère crapuleux. "Noir comme la neige" volcanique islandaise, ce polar est agréablement rythmé par la romance naissante entre les deux enquêteurs.  



Noir comme la neige - Lilja Sigudardottir – Traduit de l'islandais par Jean-Christophe Salaün – Métailié noir – 304 pages – 22€ - ***
Lionel Germain