mercredi 19 février 2025

Chasse-neige



C'est un thriller à l'ancienne, hors prétentions dystopiques ou sociales même si l'héroïne est une femme dans l'air du temps. Talia Sorel, négociatrice au RAID, pourrait faire de l'ombre au commissaire Shepherd. L'enquête qui les réunit rassemble tous les ingrédients indispensables à la maturation d'un polar. Deux cargaisons de gamins en partance pour les sports d'hiver, version classe de neige, se sont évaporées dans la nature. Le ravisseur, calibré pour de la haute couture criminelle, va jouer au plus malin avec Talia. 



On ne s'ennuie pas en leur compagnie. Talia ramène un peu trop sa science mais il y a de l'action et du suspense. De quoi se maintenir en éveil jusqu'à l'épilogue.

Duel - Frank Leduc – Belfond noir – 384 pages – 20€ - ** 
Lionel Germain




Le Japon en pente raide


Appelée pour être jurée suppléante dans un procès pour infanticide, Risako Yamazaki(Kô Shibasaki), jeune maman d’une fillette de 3 ans, est une épouse effacée, toute dévouée à son mari et à son foyer. Au contact de l’accusée, Mizuho Andô (Miki Mizuno), qui a volontairement laissé son bébé se noyer, la vie de Risako va se trouver profondément déstabilisée, et le procès fera bientôt écho à sa propre histoire. 

Subissant chaque jour la charge mentale dont doit s’acquitter l’épouse modèle japonaise, avec un mari, Yoichiro (Seiichi Tanabe), qui rentre tard, et des beaux-parents culpabilisants, Risako s’identifie peu à peu à la mère meurtrière. 

La détresse maternelle, thème essentiel de la série, associe les destins de Mizuho et de Risako. Le scénario navigue entre la fragilité psychologique de la première, sidérée et mutique, et la spirale d’auto-dénigrement de la seconde. Les similitudes entre leurs deux expériences de maternité se confondent au sein d’une société patriarcale très codifiée. 

Pas de "happy end", la question "la maternité va-t-elle de soi?" ou "est-elle toujours épanouissante?" n’aura comme réponse, dans le dernier épisode, que les propos abrupts d’un magistrat: "Être une mère ratée, c’est être ratée tout court". 

Une série forte, à la fois chronique familiale et chronique judiciaire, captivante dans sa façon de dévoiler le quotidien et le cercle vicieux de la pression sociale.

La maison de la rue en pente – Behind the door (6 épisodes)- Arte VOD - Amazon Prime Video - Canal VOD ****

Scénario : Erico Shinozaki et Mitsuyo Kakuta (d’après son roman)
Réalisée par Yukihiro Morigak
Avec Kô Shibasaki, Seiichi Tanabe, Miki Mizuno, Atsuko Takahata, Jun Fubuki

Alain Barnoud







mardi 18 février 2025

Ça baigne




Dans la lignée de McBain, le Barcelonais Aro Sainz de la Maza met en scène une équipe de flics au sein de laquelle Milo Malart joue les premiers rôles. Chez McBain aussi, à côté du héros Carella, se déployaient quelques mauvaises graines, machistes et racistes. Mais à la différence de Carella, procédurier exemplaire, Milo Malart est davantage obsédé par la justice et l'équité que par le légalisme. 




Dans cet épisode qui porte son nom, il est même absent de l'enquête qui commence après la découverte des cadavres d'un couple de riches désaxés. À Barcelone, les flics ont retrouvé son ADN sur le yacht des deux victimes. 

L'auteur du "Bourreau de Gaudi" a réussi le pari d'une série avec ce personnage dont le petit grain de folie nous avait séduits. Chez le même éditeur, "Les Muselés" et "Docile" ont obtenu le prix Valencia Negra. 

Malart - Aro Sainz de la Maza – Traduit de l'espagnol par Serge Mestre – Actes Sud actes noirs – 432 pages – 23,50€ - ***  
Lionel Germain




Une brèche entre les mondes


Prof de math à la retraite, auteur de polars déjantés cherchant son inspiration entre Argelès-sur-Mer et Andernos, ses deux ports d’attache, François Darnaudet est aussi un père. Un père crucifié. Le 30 août 2015 son fils Boris se suicide en sautant du viaduc de Collioure. Il avait 25 ans, et fait des débuts prometteurs dans l’écriture. Depuis le père écrit pour chercher, comprendre, quêtant désespérément des signes. 



La fiction permet parfois de transformer l’infinie douleur des hommes en éclats de joie: avec pour viatique les 7 dimensions enroulées de la théorie des supercordes – un pitch de SF très hard-science – l’auteur nous entraîne dans une chevauchée fantastique où l’espoir se mêle à la crainte sur la Honda rouge de son fils vers le désert des Bardenas en Navarre, là où s’ouvre peut-être une brèche entre les mondes. Mais on ne franchit sans doute pas impunément le fleuve de la Mort.



L’effet Tegmark-Everett - François Darnaudet - Rivière Blanche - 236 pages - 20€ - ***
François Rahier 


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lundi 17 février 2025

Déroute à Beyrouth


Le polar aime bien se promener "là où ça fait mal". Et il n'est pas étonnant de voir les romanciers s'emparer du chaos contemporain pour proposer le dessous des cartes. Dans "Beyrouth Forever", David Hury décrypte l'essentiel des maux libanais avec un personnage de vieux flic pris dans la tourmente des réseaux sectaires et corrompus. 



Marwan Khalil aimerait prendre sa retraite mais l'assassinat d'une universitaire le contraint à un dernier baroud au côté d'une jeune collègue chiite. Ancien membre des milices chrétiennes, il a vu mourir sa sœur dans les attentats de 1982 contre Bachir Gemayel et sa propre fille a été défigurée après l'explosion du port en 2020. Le voilà désormais en première ligne au cœur des oppositions irréductibles, politiques ou religieuses. 



David Hury, journaliste et photoreporter au Liban pendant dix-huit ans met sa connaissance et son amour du pays au service d'un très beau personnage de flic. 

Beyrouth Forever – David Hury – Liana Levi – 304 pages – 20€ - ***   
Lionel Germain


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mercredi 12 février 2025

Les lumières du Caire


Le roman de Christopher Bollen est baigné de lumière hitchcockienne. On sait à quel point le maître du suspense cherchait à contrer le cliché de l'ombre et du nocturne dans la construction de l'angoisse. 




La lumière du Caire, violente et dangereuse accompagne le parcours du combattant de l'héroïne, Cate, pour opposer un démenti à la version officielle de la mort de son frère. Au service d'une société d'armement américaine, il ne s'est pas suicidé mais l'hypothèse du meurtre est pourtant écartée. 





Entre secret défense et vie personnelle nimbée de mystère, Cate déchiffre peu à peu l'énigme de cet expatrié. Répression politique, homosexualité interdite: au pays des pyramides, l'envers du décor déteste la lumière.

Le Disparu du Caire - Christopher Bollen – Traduit de l'amé-ricain par Blandine Longre – Calmann-Lévy – 368 pages – 22,90€ - ***  
Lionel Germain



Coke en stock


L’actualité a révélé les circuits retors du trafic de drogue dans l’un des plus importants ports français, Le Havre. En 2023, la série "De Grâce" tentait déjà d’apporter quelques réponses sur les relations troubles et complexes entre le monde des dockers, la police et la mafia de la drogue. 

Pierre Leprieur (Olivier Gourmet), ancien syndicaliste, figure tutélaire du port et pater familias craint et respecté, voit son existence basculer le soir de son soixantième anniversaire quand ses deux fils Jean (Pierre Lottin) et Simon (Panayotis Pascot)sont arrêtés pour trafic de drogue. Leur sœur cadette, Emma (Margot Bancilhon), avocate à Paris, est appelée à la rescousse pour les défendre.
 
Entre polar et tragédie grecque, le trop plein d’évènements laisse vite l’émotion tout comme l’intrigue se perdre dans les méandres d’une descente aux enfers familiale, souvent parsemée d’invraisemblances (ainsi les procédures judiciaires bâclées). 

Malgré des dialogues forts en gueule et une belle prestation d’acteur d’Olivier Gourmet, aussi monolithique que charismatique, la narration s’éparpille sur les six épisodes de la série et sur cette malédiction de la famille Leprieur.

De Grâce (6 épisodes)- Canal VOD - Arte VOD - VIVA By VIDEOFUTUR - **

Créée par Maxime Crupaux et Baptiste Fillon
Réalisée par Vincent Maël Cardona
Avec Olivier Gourmet, Panayotis Pascot, Pierre Lottin, Mar-got Bancilhon, Eliane Umuhire, Xavier Beauvois

Alain Barnoud






mardi 11 février 2025

À l'œil


On connaît Clémentine Thiebault pour son travail autour du polar, notamment son implication dans le festival palois "Un Aller-Retour dans le Noir". C'est aussi une journaliste indépendante à qui l'on doit le témoignage intime de Juré aux Assises qu'elle a publié sous le titre "En votre intime conviction" chez Robert Laffont.

Plus proche du travail de journaliste mais livré à la première personne, "Voyeur", chez le même éditeur, est une enquête sur une perversion qui n'a pas toujours été considérée comme un délit. Et quand le voyeur se déguise en artiste comme Tichy, il a même droit à une exposition à la Biennale de Séville. 




Dans ce reportage passionnant à partir d'une affaire paloise, Clémentine Thiebault met sous le feu des projecteurs ces hommes (à 90%) de l'ombre et révèle la face criminelle de cette activité.
"Comme si seules les femmes comprenaient que le voyeurisme n'avait rien d'anecdotique, d'amusant même, mais que c'est bien un des nombreux noms que peuvent prendre les violences sexuelles et, plus largement, le vaste continent de la domination masculine." 



Voyeur! - Clémentine Thiebault – Robert Laffont La Bête noire – 175 pages – 18,50€ - *** – 
Lionel Germain



Le voyage du fils





Codeur surdoué, Thomas est repéré par les chasseurs de tête d’une mystérieuse firme qui n’envisage rien moins que de produire des implants neuraux abolissant le frontière entre le rêve et la réalité: désormais, sans se connecter à un écran, chacun pourra vivre en direct ses fantasmes, pour le meilleur et pour le pire. Le jeune homme quitte alors sa Bourgogne natale, la ferme de ses parents vieillissants, pour Paris puis la Silicon Valley. 



Par touches délicates l’auteur peint le Morvan, ses maisons aux parois jaunes, la terre, la forêt, l’humus gras – et, en contraste l’univers high-tech où tout semble plus léger. Mais aussi, dans un final surprenant, l’opéra fantôme d’Amargosa au cœur de la Vallée de la Mort, où Thomas trouvera peut-être sa résilience. 

Journaliste au Nouvel Obs l’auteur vit en Dordogne. Ses livres questionnent les rapports entre individus et images, à l’heure de la dématérialisation.

La Vallée - Arnaud Sagnard - Éditions du Seuil - 218 pages - 20,50€ - ***
François Rahier


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lundi 10 février 2025

"Appelez-moi Hank"


Vous souvenez-vous de vos premières lectures de romans noirs? Chandler, Hammett, Ross McDonald ou peut-être Lawrence Block? Ce sentiment de découvrir la face cachée du monde. Une façon de ne pas se prendre au sérieux tout en respectant le lecteur et la littérature.
 
Autant de qualités qu'on retrouve chez Jonathan Ames. La sincérité de l'auteur dans "Alcoolique" est encore flagrante dans "Il s'appelait Doll", un roman qu'on ne peut réduire à un hommage aux grands maîtres du roman noir sans passer à la trappe l'arrière-plan critique d'une société américaine très contemporaine et très loin de ses plus beaux rêves.



Hank Doll est un héros sans armure. Même celle trouée de Marlowe le protégerait des coups du mauvais sort.
"H. Doll Enquêtes et Sécurité – La plupart des gens m'appellent Hank. Mais mon vrai nom c'est Happy, Happy Doll. C'est mes parents qui m'ont affublé de ce prénom. Et pour eux, il ne s'agissait pas d'une blague. Ils voulaient tout ce qu'il y avait de mieux pour moi. On ne peut pas dire que ce soit une réussite. On ne peut pas non plus dire le contraire."



À cinquante ans, dont un certain nombre d'années passées dans la Navy puis dans la police de Los Angeles, la "poupée heureuse" a quelques rides et des turbulences dans les hautes sphères que le mélange vodka-cannabis ne parvient pas totalement à stabiliser. Quand Lou Shelton, son vieux pote, vient lui quémander un rein pour gagner quelques mois de survie, Happy Doll ne manifeste pas un enthousiasme exagéré. Et quand le lendemain, le même Lou vient sonner à sa porte, c'est pour mourir sur son palier d'une blessure par balle sans rapport avec ses problèmes de santé. 

Jonathan Ames asticote le destin de son personnage jusqu'aux extrêmes limites de la bienséance. Les flics grincent des dents de joie à l'idée de coffrer le coupable idéal. Même son psy ne peut plus rien pour lui. Avec pourtant du lourd dans le dossier: un papa qui l'appelait "ma poupée", la fréquentation à onze ans d'un animateur de camp adepte de la sodomie et le suicide de son meilleur ami. Reste dans un coin du tunnel, la séduisante Monica, patronne de bar dont il est amoureux. Oui, sans doute autant du bar que de Monica. 

Jonathan Ames nous livre une belle mécanique littéraire, rodée sans tapage, avec l'équilibre parfait entre humour et noirceur. Un polar indispensable pour sonder les reins de l'Amérique. Du moins, celle d'avant l'agent orange.  

Il s'appelait Doll – Jonathan Ames – Traduit de l'américain par Lazare Bitoun – Joelle Losfeld Éditions – 222 pages – 23€ - ***  
Lionel Germain



mercredi 5 février 2025

Haute tension



On est en décembre 2015. Alors que Noël approche, le Haut-Arctique va subir des turbulences géopolitiques. Le roman poursuit l'aventure des personnages découverts dans "Le Cimetière de la mer", les tribulations de la famille Falk, entre tensions aux frontières de la Norvège et de la Russie, espionnage et agents infiltrés. Les paysages sont peut-être somptueux mais la guerre qu'on y livre est vraiment froide, et à travers le monde du sauvetage en mer, le journaliste Aslak Nore révèle quelques dégâts collatéraux des conflits modernes.



Les héritiers de l'Arctique – Aslak Nore – Traduit du norvégien par Loup-Maelle Besançon – Le Bruit du Monde – 480 pages – 25€ - ***  
Lionel Germain

Goodbye Vietnam


Adaptée du roman éponyme de Viet Tanh Nguyen (prix Pulitzer de la fiction en 2016), "The Sympathizer" emprunte le genre de la série d’espionnage. Ou comment, après la chute de Saigon en 1975, "Le Capitaine", fils d’un Français et d’une Vietnamienne (et dont on ne saura jamais le vrai nom), agent vietnamien infiltré au sein des services secrets sud-vietnamiens, mais aussi agent double pour la CIA, se voit imposer une mission spéciale. Celle d’espionner son "Général", en exil avec sa famille aux Etats-Unis, ainsi que la communauté des réfugiés sud-vietnamiens. 

Écartelé entre la séduction de la vie américaine et le mal du pays, personnage double du fait de ses origines et de ses rôles, "Le Capitaine" (Hoa Xuande)sera le révélateur de la manière dont le colonisé perpétue, malgré ses idéaux, la culture du colonisateur. Face à lui, ou avec lui, Claude, l’agent traitant de la CIA, trouve son incarnation dans Robert Downey Jr, extraordinaire dans sa quadruple performance d’acteur. Sous les traits de différents personnages, il se métamorphose d’une scène à l’autre. 

Exercice de style post-colonial, satirique, sombre et parfois jubilatoire, "The Sympathizer" met en relief toutes les facettes de l’hégémonie américaine: la violence de son soft-power, et le conflit principal mis en scène, celui qui divise les Vietnamiens. 

Dans une citation initiale, Park Chan-wook nous livre la note d’intention sous-jacente de son récit: "Toutes les guerres sont combattues deux fois. La première fois sur le champ de bataille, la deuxième fois dans les mémoires".

The Sympathizer (7 épisodes)– Max - ****
Créée par Park Chan-wook (Decision to leave, Old Boy, Mademoiselle)et Don McKellar (Blindness)
Réalisée par Park Chan-wook (3 épisodes), Fernando Meirelles (La Cité de Dieu) et Marc Munden(Utopia)
          Avec : Hoa Xuande, Robert Downey Jr, Sandra Oh (Killing Eve, Grey’s Anatomy)

Alain Barnoud






mardi 4 février 2025

Les tourments de l'ogre


En racontant le crime commis le lundi de Pentecôte 1974, c'est l'affaire Ranucci que Patricia Delahaie remet en scène. Journaliste, avocate, parents de la petite victime et mère du coupable, les noms sont changés mais cette liberté du roman permet de mieux appréhender la vision des protagonistes.


Le pédocriminel risquait la peine de mort et l'échafaud apporte une conclusion provisoire à l'affaire. Provisoire parce que les opinions changent, la haine après l'exécution s'est portée sur les parents, et le débat s'est évidemment rouvert avec Gilles Perrault, sa remise en question de l'enquête dans "Le Pull-over rouge". Patricia Delahaie, elle, préfère convoquer les pensées secrètes de l'assassin, son trouble, et cet "ogre" qui le tourmente. La peine capitale sera finalement abolie en 1981. 




Un lundi de Pentecôte - Patricia Delahaie – Belfond – 368 pages – 19,90€ - *** – 
Lionel Germain




"Ce monde est le vôtre"


Un siècle après sa mort, l’immense Joseph Conrad n’avait pas encore été intégralement traduit en français. Publié en 1901, ce récit prophétique injustement oublié sorti en librairie en ce début d’année dénonce les techniques de désinformation qui ne cessent de menacer les démocraties. 


Écrit avec Ford Madox Ford, ami et collaborateur de Conrad, le roman permet de prendre en considération le talent visionnaire d’un auteur à qui en 1970 Coppola empruntera le sujet de son film Apocalypse now. Il y a un lien entre les deux, puisque le personnage du financier qui veut s’emparer ici du Groenland est inspiré du roi belge Léopold II dont Conrad avait pu mesurer la folie mégalomane lors de son séjour au Congo en 1890, séjour à l’origine du récit adapté par Coppola. 



Entre uchronie et satire, le roman révèle la profonde empathie avec le réel d’un auteur qui continue de sonder les abysses de l’âme humaine; c’est en même temps un livre qui résonne étrangement avec notre actualité.   

Les Héritiers du monde - Joseph Conrad et Ford Madox Ford - Traduit de l’anglais par Paul Decottignies - Le Rouge et le Noir/Arfuyen, 284 pages, 19,50 € - ****
François Rahier




lundi 3 février 2025

Cartel en tête


C'est sans doute l'un des romans les plus effrayants de 2024. Au-delà du suspense inhérent au genre, l'effroi se cache dans la certitude que le roman nous décrit avec une précision parfois à la limite du voyeurisme l'arrière-plan encore invisible du monde réel. Invisible pour quelques privilégiés du monde occidental, mais pour combien de temps?



Depuis la péninsule du Yucatan, on assiste à l'émergence d'un nouveau cartel de la drogue, le "cartel 1011". Meurtres, intimidation, enlèvement, viol, prostitution forcée, une vraie jouissance du mal anime les acteurs de ce cartel. On peut reprocher à Mattias Köping de ne pas manier l'ellipse mais on peut aussi s'interroger sur notre refus de "voir" la réalité en face. En aval de toutes ces horreurs, les lessiveuses de luxe des criminels finissent par se confondre avec les façades de nos institutions.



"Employeur modèle, le cartel pourvoyait des milliers d'emplois légaux partout dans le monde. (…) Pour parvenir à ses fins, le cartel recourait à pas moins de dix experts-comptables salariés à plein temps, résidant sur cinq continents."

Une galerie de personnages plus sombres les uns que les autres pourraient dissuader le lecteur dépressif. L'auteur a eu la grande sagesse de nous offrir une respiration admirable avec le portrait d'un Padre obstinément à la recherche des âmes perdues. Premier volet prometteur d'une série proche dans un autre domaine de celui "D'argent et de sang" de Fabrice Arfi.

Les Bâtisseurs - Mattias Köping – Flammarion – 623 pages – 23€ - ****  
Lionel Germain