vendredi 31 mars 2023

Un cas d'école

 
N'allez pas croire que la collection Syros dans laquelle Danielle Thiéry publie les aventures du capitaine Marin est réservée aux ados. Même si c'est Olympe, la fille du flic, qui occupe la place centrale de l'intrigue, on est dans un vrai thriller indifférent à l'âge de son lecteur. Chaque épisode de la série peut se lire aussi en toute indépendance, malgré le retour brutal de Rafaël, un personnage disparu dans "Cannibale" en 2020 et revenant comme un fantôme dans la vie d'Olympe.


 
Deux ans plus tard, Olympe est étudiante en criminologie et les apparitions de son ami ne réussissent pas à intéresser son père occupé à traquer un autre fantôme, véritable prédateur sexuel, celui-là. L'occasion d'un cours passionnant du professeur Danielle Thiéry sur la caractérologie du criminel. Et du rôle mineur des femmes dans la cohorte des agresseurs. Du moins, si on s'en tient à l'acte lui-même. 





Parce qu'à l'image d'Edmund Kemper, grand tueur sexuel américain, l'ombre portée d'une mère terriblement toxique plane sur sa randonnée meurtrière. Et les "obsessions" du roman de Danielle Thiéry pourraient bien se transformer en cas d'école. 

Obsessions – Danielle Thiéry – Syros – 400 pages – 17,95€ - ***
Lionel Germain



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mercredi 29 mars 2023

Le sang de la Cité


Dans l’entregent un peu convenu des auteurs de fantasy, qui semblent souvent écrire des romans ciblant un public tout aussi compartimenté, il y a parfois de bonnes surprises. Ce livre nous transporte bien sûr dans un Moyen-Âge parallèle, une Cité portuaire, avec ses cohortes de marchands et de voleurs. Mais il y a la vigne, le vin, l’auteur sait en parler avec sagesse, et ici les livres ne sont pas tous des grimoires maudits, ils véhiculent la parole des poètes et ce n’est pas rien. Le roman s’inscrit par ailleurs dans une expérience intéressante de co-working littéraire: dans le même univers Claire Duvivier publie "Capitale du Nord".


Capitale du Sud 1 - Guillaume Chamanadjian - Le Livre de poche - 414 pages – 8,40€ - ***
François Rahier




lundi 27 mars 2023

Coup double


Quand il y a un survivant dans un suicide organisé à deux, tout ne fait que commencer pour celui qui voulait en finir. C'est ce qui arrive à Roxane, jeune héroïne du roman de Barbara Abel. Son compagnon n'a pas survécu et un terrible doute saisit l'entourage (et le lecteur). Le suicide du couple n'était-il pas une feinte de Roxane pour dissimuler un crime parfait? Le cinéma s'est déjà emparé d'une précédente intrigue de l'autrice belge et des Américains préparent même un remake de "Duelles" adapté de "Derrière la haine". Ces "fêlures" hitchcockiennes pourraient bien séduire encore le grand écran. Famille toxique et machination retorse.


Les fêlures – Barbara Abel – Pocket – 480 pages – 9,20€ - **



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vendredi 24 mars 2023

Mains propres et idées noires


Dans cette maison magnifique d'un quartier chic de Long Island, la famille Winchester imaginée par Freida McFadden se présente comme une arme à deux coups. L'épouse, d'abord: Nina. Quand elle recrute Millie pour faire le ménage et s'occuper de sa fille, elle apparaît très vite aux yeux de sa jeune employée comme une ennemie aux attentions perverses. 



Le mari, Andrew Winchester est donc là, en deuxième rideau pour arrondir les angles. Du moins, on l'espère et pour la bibliothèque rose, on s'en tiendrait à ce début de scénario. Mais l'Américaine Freida McFadden est également médecin spécialisée dans les lésions cérébrales et sa fréquentation des fêlures de notre humanité la pousse à s'inspirer davantage de Ruth Rendell que de la comtesse de Ségur. 




Personne n'a les mains propres dans cette histoire de ménage. À commencer par Millie. Elle aimerait bien faire oublier sa "conditionnelle" que le lecteur découvre comme par inadvertance. Quant au gentil mari, c'est presque un modèle du genre, emprunté à la galerie "psychose" de Robert Bloch. Frisson de la cave au grenier.

La femme de ménage - Freida McFadden – Traduit de l'américain par Karine Forestier – City éditions – 368 pages – 19,95€ - *** 
Lionel Germain



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mercredi 22 mars 2023

Terre, années 5200


Un futur noir de chez noir en phase avec la vision qu’en donnent aujourd’hui beaucoup de romans post-apo ou simplement dystopiques. Un monde d’inégalités criantes contre lequel luttent de sympathiques jeunes brigands, des Robins des Bois qui ont parfois d’étranges pouvoirs leur permettant de s’affranchir des barrières de l’espace et du temps pour rétablir un ordre un tant soit peu juste au sein de la Galaxie. Cette fresque ambitieuse doit sa cohérence au souci du détail d’un auteur qui livre au début et à la fin de son livre une quasi-encyclopédie de son univers et n’hésite pas à s’expliquer sur son onomastique parfois complexe.


Les Ajusteurs - J. C. Gapdy - Rroyzz Éditions (57970 Yutz, Moselle)- 251 pages - 18€ - ***
François Rahier 



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lundi 20 mars 2023

Le crime a un visage


On a beau avoir lu quantité de témoignages romancés ou de pures fictions sur la barbarie nazie, Frédéric Couderc nous réserve encore une expérience de lecture aussi douloureuse qu'indispensable. Comment inscrire le destin d'un bourreau, Horst Schumann, en toile de fond d'une histoire d'amour entre un jeune Allemand, Viktor, et Nina, une rescapée des camps de la mort dans le Hambourg dévasté par la guerre en 1947? 

Cette alchimie improbable entre le réel et la fiction, entre l'horreur du génocide et la douceur du projet amoureux, tient au fil invisible qui relie le pire au meilleur de notre humanité. Et ce défi littéraire tenté par l'auteur est une réussite bouleversante.



Nous voici donc à l'été 2018 en compagnie de Paul, écrivain à succès, dans le quartier mythique de Sankt Pauli. Malgré l'embourgeoisement contemporain de ce cœur battant de la ville de Hambourg, il symbolise la résilience allemande, l'ouverture au monde et le devoir de mémoire. Comme un peu partout en Allemagne, de petites plaques de cuivre avec les noms des martyrs entretiennent cette exigence du souvenir.




A la recherche de Viktor, son grand-père disparu, Paul évalue le potentiel commercial de cette romance tout en s'effrayant du lien mystérieux qui mène à Horst Schumann. Expérimentateur de l'indicible à Auschwitz, Schumann a bénéficié des réseaux qui lui ont longtemps permis d'échapper à ses juges. On peut découvrir sur une photo d'archive la scène glaçante du bourreau à l'œuvre, et le narrateur nous en propose un décryptage essentiel. 

"Chez moi quelque chose de verrouillé se déverrouille. La fascination malsaine qui, je l'avoue, a déclenché l'envie d'écrire ce livre disparaît. Désormais, c'est la victime qui m'ordonne d'écrire."

De Berlin au Ghana, en restituant le parcours de cet assassin en blouse blanche, le roman de Frédéric Couderc donne à voir le vrai visage du crime, et nous interdit de douter du pire. 

Hors d'atteinte – Frédéric Couderc – Les Escales – 512 pages – 22€ - ****
Lionel Germain



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https://www.auschwitz.org/en/




vendredi 17 mars 2023

Baie des veuves


Ce n'est pas toujours la mer qui prend l'homme. Dans le dernier roman de Jérôme Loubry, les marins ont parfois des morts "terre-à-terre". Damien revient dans le village de son enfance, un village de pêcheurs, pour les funérailles de son père qui s'est suicidé. L'homme s'est jeté du sommet d'une falaise au nom sinistre: la Baie des veuves. 



Depuis ces hauteurs, les femmes de marin espéraient le retour d'un mari ou d'un fils en scrutant l'horizon. L'auteur nous raconte une histoire de fils, justement. Damien est encore plein de colère contre ce père, meurtrier supposé de son meilleur ami, et qui l'a contraint, lui et sa mère, à un exil de plus de vingt ans. En revenant sur son passé, il renoue avec ses amours oubliées, mais surtout, grâce à l'amitié d'un flic obstiné, il interroge la part d'ombre de cette communauté de pêcheurs. 



Et les doutes qui surgissent sur les événements de l'été 1995, rendent soudain la culpabilité du père incertaine. 

Après Les Chiens de Détroit, Prix Plume libre d'Argent en 2018, et le Prix Sud-Ouest/Lire en poche 2020 pour Le Douzième Chapitre, l'auteur propose un nouveau suspense de qualité. 

Le chant du silence – Jérôme Loubry – Calmann-Lévy noir – 450 pages – 21,90€ - ***
Lionel Germain


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mercredi 15 mars 2023

Le massacre des innocents


Né en 1945 à Wexford, en République d’Irlande, John Banville a alterné selon ses propres termes une double carrière d’artiste et d’artisan. Revendiquant des romans sérieux consacrés à Copernic, Képler, ou le très beau "Lumière des étoiles mortes", qu’il signe de son nom, il se dit aussi l’artisan de romans policiers pour lesquels jusqu’à présent il utilisait le pseudonyme de Benjamin Black. Mais son dernier roman publié chez nous, titré sobrement "Snow" ("Neige") en anglais, n’est pas signé d’un pseudonyme. 


Tout ou presque pourtant semble faire de ce livre un polar de facture classique, un "à la manière d’Agatha Christie": un cadavre dans la bibliothèque d’un manoir perdu dans la campagne enneigée, des personnages aux caractères contrastés qui pourraient les uns ou les autres faire de parfaits coupables, et l’humour latent d’une enquête menée par un jeune inspecteur-détective protestant dans un pays catholique – que par dérision on appelle Hercule Poirot. Mais la victime est un prêtre, sauvagement mutilé. Nous sommes à quelques jours de Noël, en 1957. 



L’enquête prend vite l’allure d’une descente aux enfers, au cours de laquelle rien n’est épargné au jeune policier. "Était-ce le Mal qu’il avait fini par rencontrer? Il n’avait jamais cru au Mal comme une force en soi… Mais ne se trompait-il pas?" Comme Luther l’avait suggéré, là où Dieu bâtit son Église, le diable construit une chapelle. Le détective, accablé, imagine mal que l’été revienne un jour… 

En délicatesse avec la religion de son pays, mais néanmoins influencé par le catholicisme, Banville disait récemment à un journaliste qui l’interrogeait sur le scandale de la pédophilie chez les prêtres: "L’Église a été notre goulag. Je suis horrifié par ce qui est arrivé à tant de jeunes enfants qu’on a tués spirituellement. Cela me rend très sombre.

Neige sur Ballyglass House - John Banville - Traduit de l’anglais (Irlande) par Michèle Albaret-Maatsch - Robert Laffont - 413 pages - 22€ - ****
François Rahier



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lundi 13 mars 2023

Un début à tout


En religion, un novice est astreint à confirmer ses vœux avant d'avoir "voix au chapitre". Quelle autre promesse pourrait mieux séduire l'apprenti écrivain? Cyril Nghiem effectue son noviciat avec ce premier roman auquel un prix du polar non publié offre un refuge éditorial. L'intrigue ne manque ni de naïveté ni de savoir-faire. 


Mettre en scène un détective privé et sa mystérieuse cliente dans le New-York contemporain pour chercher à prouver la culpabilité d'un compagnon volage est un pari narratif audacieux. L'amateur de romans noirs n'y trouvera pas son compte mais se laissera peu à peu embarquer dans la nostalgie des privés à l'ancienne. Le détective est lui-même un débutant qui force la sympathie, et le suspense bien réel autour de cette enquête réserve une surprise dans la grande tradition hitchcockienne. Adoubé par Thomas Bronnec, Cyril Nghiem vient d'entrer dans la confrérie du polar. 



L'ombre d'un doute – Cyril Nghiem – Préface de Thomas Bronnec – Novice – 324 pages – 19,90€ - ** 
Lionel Germain




samedi 11 mars 2023

La mauvaise réputation


Un "homme politique", jusqu'à ces dernières années, pouvait s'entendre d'un seul tenant comme si l'adjectif n'avait qu'un effet redondant auquel l'oreille s'était acclimatée. Par contraste, une "femme politique" est encore très souvent d'abord une "femme". Si l'ancienne Première Ministre écossaise avoue avoir "adoré" le roman de Sarah Vaughan, c'est sans doute en raison du destin de son héroïne, partagé par un grand nombre de femmes. 



Emma, députée travailliste, affronte à armes inégales un système affuté à traquer les maillons faibles. Alors qu'elle prépare une loi sur le porno diffusé par les harceleurs, sa propre fille est sous la menace, son passé recèle de mauvaises surprises, et elle se retrouve accusée du meurtre d'un journaliste. Sarah Vaughan à l'air de charger la barque mais ne néglige en fait aucun des atouts du polar pour disséquer la délinquance sexiste. 




Comme dirait Nicola Sturgeon depuis les premières loges du gouvernement écossais: "un regard contemporain sur la misogynie et le harcèlement des femmes." Brillant.

Fragile réputation – Sarah Vaughan – Traduit de l'anglais (GB) par Alice Delarbre – Préludes – 448 pages – 19,90€ - *** 
Lionel Germain



 

vendredi 10 mars 2023

Problèmes de voisinage


Partout dans le monde, ces communautés rétrécies que constituent les habitants de lotissements sont agitées par des conflits souvent dérisoires, parfois tragiques. M.T. Edvardsson s'attache à retracer ceux de Kopinge en Suède. 



À l'occasion d'un accident de voiture, on y croise une ex-mannequin alcoolique avec son fils ado, des retraités fouineurs et un couple modèle qui a choisi de fuir Stockholm. Derrière les façades impeccables, on rumine des idées noires dont M.T. Edvardsson utilise le pouvoir de nuisance pour un suspense efficace. L'accident du premier chapitre n'est que la conséquence d'une terreur préméditée. Et le coupable habite près de chez vous.




Ceux d'à côté – M.T. Edvardsson – Traduit du suédois par Rémi Cassaigne – Pocket – 432 pages – 9€ - *** –
Lionel Germain



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mercredi 8 mars 2023

Prélude à Xavi


Un jeune bordelais rejoint la team du monde de "Xavi el Valent", cette saga occitane menée de main de maître depuis 10 ans par François Darnaudet et quelques comparses. 



Il s’agit d’un préquel, nous ne sommes plus à l’époque de la croisade des albigeois mais en un temps où vikings et francs s’affrontaient violemment – dans un midi quelque peu décalé dans le temps et l’espace. La maîtrise narrative du nouvel auteur sied bien à cette fantasy d’un autre genre qui nous change des effets de muscles et de viscères des séries à la mode qui se prennent souvent au sérieux. Ici, un réel sens de l’épopée ne se départit jamais de bonne humeur, et d’humour.




Le Monarque noir - Raphaël Rodriguez - Rivière Blanche - 200 pages - 18€ - ***
François Rahier



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vendredi 3 mars 2023

Ramassage des ordures

 
"Billy l'Idiot est peut-être une arnaque, mais ça, c'est la vérité: il ne s'occupe que des méchants. Ça lui permet de dormir la nuit. (…) Que des méchants le paient pour liquider d'autres méchants ne lui pose aucun problème. Il se voit comme un éboueur armé d'un flingue."



Ainsi va donc la vie d'un tueur à gages, moraliste et grand lecteur, qui se verrait bien pondre un essai sur ce qui sépare Zola de Dickens, et qui n'a rien à apprendre de la mort depuis que la guerre lui a flingué le sens commun sur cette "notion". Stephen King ne pouvait pas écrire un "polar" sans le passer au crible d'une des contradictions majeures du genre. Le "Bien" est rarement du côté des victimes et le mal nous sert plus souvent de boussole que la lumière des évangiles.



Billy Summers – Stephen King – Traduit de l'américain par Jean Esch – Albin Michel – 552 pages – 24,90€ - *** 
Lionel Germain



mercredi 1 mars 2023

Espace, frontière ultime


Un cargo-monde quitte la proche banlieue d’une Terre du futur pour un périple de 27 ans vers Nüying, exoplanète où l’on a détecté de possibles manifestations d’intelligence extraterrestre. À son bord, plusieurs centaines de passagers en stase cryogénique, parmi lesquels une océanographe fascinée par la vie sous-marine, un sino-américain, patron du projet, qui poursuit un dessein plus personnel de réincarnation numériquement assistée, et un étrange moine tibétain – des dizaines et des dizaines d’hommes de sciences et de techniciens veillant par ailleurs à la maintenance du vaisseau. 



Cet ambitieux roman d’exploration et de premier contact comme on en fait peu en France a bénéficié des conseils de l’astrophysicien bordelais Franck Selsis. Avec ce deuxième roman, Émilie Querbalec confirme ses qualités d’écriture et la richesse de son imaginaire. Ici, la prospective scientifique se double d’une subtile intrigue géopolitique et débouche sur une interrogation métaphysique qui tente de dépasser le dualisme occidental: la suite de ce récit pourrait-elle être écrite avec des mots humains?


Les Chants de Nüying - Émilie Querbalec - Albin-Michel Imaginaire - 467 pages - 22,90€ - *** 
François Rahier