mercredi 30 juin 2021

Retour du refoulé

 



1978: un enfant disparaît dans une forêt suédoise. 25 ans plus tard, à la suite de faits similaires, une jeune scientifique rouvre l’enquête. Après des millénaires de crédulité, et un ou deux siècles de déni scientiste, la cryptozoologue prend au sérieux l’existence des trolls et autres créatures de l’ombre. Ce thriller surnaturel mâtiné de fantasy redonne du crédit aux ogres qui hantaient nos enfances.




La Chasseuse de trolls - Stefan Spjut - Traduit du suédois par Jean-Baptiste Coursaud - Actes sud - 632 pages – 23,80€ - ***
François Rahier



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lundi 28 juin 2021

A mourir de lire


Le crime parfait n'existe pas, sauf à faire du narrateur le criminel, ce qui revient à ôter au crime son invisibilité. 


Chaque lecteur de roman policier est nostalgique du suspense absolu délivré par Agatha Christie dans "Le Meurtre de Roger Ackroyd". C'est ce genre de lecteur que nous présente Peter Swanson dans un exercice de style réjouissant. Le libraire Malcolm Kershaw a publié sur son blog "Huit crimes parfaits", une étude sur la littérature policière qui prouve la perversité des intrigues et pourrait donner des idées aux criminels. Ce passage à l'acte d'un imitateur désigne le libraire comme suspect et ménage de belles surprises au lecteur. À mourir de lire. 



Huit crimes parfaits – Peter Swanson – Traduit de l'américain par Christophe Cuq – Gallmeister – 352 pages 24,30€ - ****
Lionel Germain



 

vendredi 25 juin 2021

Méfiez-vous des anges gardiens


Les violences faites aux femmes sont d'une actualité toujours aussi insupportable. En France, Louise Mey dans son roman "La deuxième femme" publié au Masque a su donner une voix aux victimes, mettre à jour les mécanismes de l'emprise et interroger l'indulgence qui autorise encore trop souvent les bourreaux à revenir sur les lieux d'un premier crime. Mais l'horreur des féminicides n'est pas française. 




"Keeper", le titre du roman de la Britannique Jessica Moor offre une polysémie troublante. Si le gardien n'est pas un ange, n'est-il pas parfois celui qui enferme et maintient sous sa coupe? En lui préférant pour l'édition française "Les femmes qui craignaient les hommes", Belfond rétablit la jurisprudence dont les cours d'assises nous renvoient l'écho.





Dans ce roman, la victime est une énigme. Elle s'appelle Katie, travaille dans un refuge pour femmes en danger et s'est apparemment suicidée en se jetant du haut d'un pont. Une énigme rendue oppressante par la construction alternée des chapitres entre "Avant" et "Maintenant". Ils nous délivrent peu à peu la chronologie d'une relation toxique de Katie avec un personnage dont l'identité reste un mystère pour les policiers chargés de l'enquête. 

L'inspecteur Whitworth, associé à un jeune inspecteur, participe de cette "naïveté" qui sous-estime en permanence la nature du mal. Et bien-sûr, l'hostilité que la directrice du centre exprime à l'égard des hommes en général et de Whitworth en particulier reste incompréhensible. Par contraste, le flic pense à sa mère qui allait sans broncher à l'usine tout en régentant d'une main de fer quatre gamins et un mari alcoolique. "Et oui, il était déjà arrivé que son père lui colle une droite en revenant du pub. Qu'elle lui rendait sur le champ, d'ailleurs. Voilà comment ça se passait."

Et voila surtout comment on passe à côtés des signaux de détresse que les femmes destinent en vain aux services spécialisés. Le roman passionnant de Jessica Moor et sa fin glaçante nous rappellent cette autre vérité de Margaret Atwood: "Les hommes ont peur que les femmes se moquent d'eux. Les femmes ont peur que les hommes les tuent."

Les femmes qui craignaient les hommes – Jessica Moor – Traduit de l'anglais (GB) par Alexandre Prouvèze – Belfond noir – 352 pages – 21€ - ****
Lionel Germain



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mercredi 23 juin 2021

"No future"... et après?

 
Le premier Prix Goncourt, en 1903, récompensa "Force ennemie", un roman de SF de John-Antoine Nau. Que le Goncourt 2020 renoue avec ses origines est peut-être un signe des temps. Devant l’effet de sidération produit en 2016 par le plan de colonisation de Mars d’Elon Musk, en 2020 par une pandémie qui semble tout droit sortie du film de Soderbergh, ou par la commercialisation à Singapour des premiers nuggets de poulet cultivé in vitro, il faut raison garder.
 

Nos subjectivités baignent dans un imaginaire SF que l’idéologie ambiante instrumentalise en nous proposant des futurs convenus. Le défaut d’anticipation de cette vision populaire et scientiste est flagrant, explique Kyrou: un roman qui porte sur les robots n’est pas une anticipation de la robotique; et les fictions les plus apocalyptiques, loin de boucher nos horizons, sont autant de sources de savoir et de pistes pour comprendre le réel, décaler notre regard et bouleverser nos a priori. Il faut désincarcérer nos lendemains. 


Anticiper le pire, c’est chercher des voies pour s’en extraire. Et Damasio de renchérir: la SF est une littérature de l’altérité qui ouvre et émancipe, en offrant armes de jet et lignes de fuite pour se construire un avenir. Un ouvrage qui fera date; dans son domaine, c’est l’essai le plus important depuis "Malaise dans la SF" de Gérard Klein publié en 1975.

Dans les imaginaires du futur - Ariel Kyrou, avec une "volte-face" d’Alain Damasio – ActuSF - 590 pages – 21,90€ - ****
François Rahier - Sud-Ouest-dimanche - 13 décembre 2020


 

lundi 21 juin 2021

Œuvre posthume

 
"une petite merveille de manipulation." (Lire la suite)


Son autre mort – Elsa Marpeau – Folio policier Gallimard – 304 pages – 8€ - ****



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vendredi 18 juin 2021

Martel en tête



Thomas Fecchio a choisi la gendarmerie pour traquer les fauteurs de trouble. À Soissons, le vase de la concorde est brisé dans la nécropole de la Première Guerre mondiale. On y a profané les tombes musulmanes et l'adjudant Gomulka est chargé de l'enquête. Un beau personnage, proche de la retraite et fatigué de s'avouer vaincu par la délinquance ordinaire. Le roman interroge les obsessions de l'extrême-droite sur les migrations. On y recherche aussi un mystérieux docteur qui promet l'Angleterre aux exilés. Charles Martel fait des émules mais d'autres démons plus cupides œuvrent dans l'ombre.


L'Heure des chiens – Thomas Fecchio – Seuil Cadre noir – 304 pages – 19€ – **
Lionel Germain





mercredi 16 juin 2021

Schtroumpfant!




Dans un roman de Gogol, un notable perd son nez, qui se voit doté d’une existence indépendante. Dans cet apologue contemporain, le petit Schtroumpf  tout nu emprunté à Peyo qui fait irruption à des centaines de verstes de Moscou a peut-être un rapport avec cet autre organe si important pour l’homme qui vient de faire défaut cruellement à un important personnage de la capitale. Désopilant, et culotté si l’on peut dire.




L’Outil et les Papillons - Dmitri Lipskerov - Traduit du russe par Raphaëlle Pache – Agullo - 379 pages - 22€ - ***
François Rahier



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lundi 14 juin 2021

Peur générique


Robin Cook s'applique à libérer les démons de la médecine moderne. Un filon efficace pour inscrire la peur au générique de ses romans dont certains jouent les "lanceurs d'alerte" sur les dérives de la recherche. 



Sans nécessité complotiste, c'est souvent dans le secret des laboratoires que le diable façonne l'argile d'un Golem qui lui échappe. "Origines" explore la piste de la généalogie génétique pour identifier le père d'un embryon d'une dizaine de semaines retrouvé chez une femme assassinée. Industrie de pointe en délicatesse parfois avec l'éthique médicale, cette pratique est sollicitée par une interne en médecine légale, gamine effrontée légèrement sociopathe.




Origines – Robin Cook – Traduit de l'américain par Pierre Reignier – Albin Michel 426 pages – 21,90€ - ***
Lionel Germain




vendredi 11 juin 2021

Ça sent le sapin du Grand Nord


Commençons par du brutal: La mort d'une grand-mère étouffée par son propre fils. Liv, l'enfant qui nous raconte en partie cette histoire et ce cérémonial est la fille de Jens, l'étrangleur. Son père fabrique de beaux cercueils dans lesquels il passe parfois la nuit la veille des livraisons. Ce jour-là, c'est la grand-mère de Liv qu'on installe avec tendresse sur le coussin qui a servi à lui ôter la vie avant une crémation sauvage dans les bois. On l'aura compris, le roman d'Ane Riel est un éprouvant voyage au cœur de la folie domestique initiée par ce Jens.


 
Sur cette île danoise, il était pourtant "le plus bel homme", restaurateur de meubles et menuisier comme son père. Quand la fantaisie survivaliste bascule peu à peu dans l'horreur paranoïaque et criminelle, il devient un bourreau aussi appliqué qu'implacable. Sa femme obèse est recluse, sa fille Liv est déclarée morte et soumise à une existence clandestine dans une benne. La maison est un bric-à-brac à la Prévert où s'entassent poutrelles, jerricans et autres objets volés la nuit aux habitants de l'île. 



Mais la folie du père, et son portrait, nous parviennent biaisés par la rationalisation enfantine de Liv, effrayée et malgré tout convaincue d'une raison cachée à la déraison de son géniteur. C'est bien-sûr la grande force de ce roman primé plusieurs fois en Scandinavie et bientôt sur nos écrans "déconfinés". 

Résine – Ane Riel – Traduit du danois par Terje Sinding – Seuil Cadre noir – 304 pages – 20€ - ****
Lionel Germain 



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mercredi 9 juin 2021

Le rébus, le mystère et l'énigme



Le Codex Gigas, la plus grande Bible du monde, existe bel et bien,  et l’immeuble des archives de Cologne s’est vraiment effondré le 3 mars 2004. Tout est vrai ou presque dans ce roman en forme de course poursuite ésotérique, mené comme un jeu de piste hanté par la figure de Dracula. Sans doute le page turner de cet étonnant thriller souffre-t-il quelque peu de l’étourdissante érudition d’un auteur dont c’est le premier roman traduit en français. Mais son personnage d’anthropologue amateur d’étrangetés, à mi-chemin d’Indiana Jones et de Sherlock Hommes, est devenu populaire en Roumanie. 


La Bible perdue - Igor Bergler - Traduit du roumain par Laure Hinckel - Fleuve noir - 582 pages – 21,90€ - ***
François Rahier



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lundi 7 juin 2021

La Fabrique du héros

 
Peut-on être un témoin "dégagé"? C'est la question posée par Michel Moatti à travers le personnage de son roman "Les jardins d'hiver". Mathieu travaille à l'Institut français de Buenos-Aires en 1979. C'est un jeune homme qui croit pouvoir vivre en spectateur les méfaits de la junte militaire. Jusqu'à sa rencontre avec Jorge Neuman, un écrivain torturé qu'il recueille et qui lui confie un manuscrit. 



Les "vols de la mort" font partie du cérémonial macabre utilisé par les bourreaux pour se débarrasser de leurs victimes depuis la carlingue d'un skyvan au-dessus du Rio de la Plata. Mais que sait-on des hommes relâchés après la torture et qu'on retrouve errant dans les rues de Buenos-Aires? Ceux qui sortaient vivants des "jardins d'hiver", comme avait été rebaptisée une salle d'un centre de détention, avaient plusieurs fonctions.



La première servait d'avertissement aux candidats à la résistance, la seconde plus terrifiante encore les désignait comme traitres. Pour Michel Moatti, cette interrogation vaut aussi pour son narrateur. "Les dictatures ne fabriquent pas de héros. (…) Elles ne fabriquent que des traitres et des morts dont on trahira le souvenir.


Les jardins d'hiver – Michel Moatti – Éditions Hervé Chopin – 288 pages – 19€ - ***
Lionel Germain




vendredi 4 juin 2021

Mystère et chapeau boule


Magritte inspire les romanciers comme Christophe Carlier et son "Assassin à la pomme verte" publié chez Serge Safran, évidemment les auteurs de polars comme le Flamand Toni Coppers et son "Affaire Magritte" publié chez Diagonale, et peut-être davantage les poètes qui savent animer la rencontre entre le mystère de l'art et l'art du mystère.



Nadine Monfils cumule toutes ces fonctions "poétiques" de l'écriture. Magritte était déjà "parti" quand elle a rencontré Georgette, sa femme, "dans leur maison de la rue des Mimosas à Schaerbeck". Et c'est à cette adresse au nom parfumé que nous mène l'autrice pour une variation autour de l'énigme policière à résoudre. Ou plutôt, l'énigme que Magritte va résoudre. Fan de Zigomar et d'Edgar Allan Poe, Magritte va s'intéresser à la disparition de Madeleine et de Rosa, deux femmes qu'un correspondant anonyme a séduites par des billets doux avant de les assassiner. 


Comme le Rouletabille de Gaston Leroux, Magritte est poursuivi par le fantôme de sa propre mère victime d'un mari malveillant. Mais pour Nadine Monfils, ce voyage dans l'imaginaire du peintre ne pouvait se faire qu'en compagnie d'un autre Belge immense, Jacques Brel. Avec lui, Mathilde est toujours là et Rosa se décline encore. Un bel hommage aux flâneurs inspirés de la Grand Place où l'on rêve d'un bock à la terrasse du Roy d'Espagne. 

Nom d'une pipe – Nadine Monfils – Robert Laffont La Bête noire – 312 pages – 14,90€ - ***
Lionel Germain 



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mercredi 2 juin 2021

Du beau et du sublime

 



Le quotidien d’une lointaine colonie humaine sur un monde de vent et de glace. Une expédition à haut risque pour ravitailler un avant-poste perdu dans un hinterland hostile. C’est beau mais ça fait peur. Et le huis-clos surréaliste d’un homme et d’une IA pilotant le convoi, une IA prénommée Anne-Marie, à la voix rassurante de speakerine, débouche sur des perspectives touchant le beau et le sublime que n’aurait pas démenties Kant. 




Helstrid - Christian Léourier - Une heure lumière/Le Bélial’ - 115 pages – 8,90€ - ***
François Rahier



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