samedi 19 décembre 2020

Sous le signe noir


Poète, romancier et professeur de littérature française à Tokyo, Hisaki Matsuura est aussi critique de cinéma avant de publier un premier recueil de nouvelles en 1996 puis des romans policiers comme "Tomoe", ce roman noir de 2001 dont les éditions Rivages nous proposent aujourd'hui une traduction sous le titre "Le Calligraphe".
Le Calligraphe s’appelle Kôyama. C’est un homme de 70 ans plusieurs fois primé pour son œuvre, "la fusion d'une flambée d'énergie vernaculaire dans l'expérience formelle moderne." 




Hisaki Mutsuura tourne habilement autour de ce flou artistique où le signe dessiné s'anime pour s'affranchir d'un système d'équivalence qui le réduirait à sa fonction d'échange. Mais au moment où l'idéogramme "oiseau" prend son envol, c'est le corps qui s'asservit à l'exigence du signe. Et Otsuki, toxicomane gigolo, va se perdre physiquement dans cette rencontre avec le Calligraphe.

 



Ce dernier lui demande d'achever le film pornographique dans lequel il a mis en scène sa petite fille Tomoé, une adolescente de 17 ans. Hisaki Matsuura s'empare des codes de la violence, du sadomasochisme et de la manipulation, et cherche l'instant de grâce meurtrier pendant lequel le signifiant inoffensif se confond avec la chair blessée. "Tomoé, c'est un caractère d'écriture. Un corps allongé sur le dos, les yeux fermés, qui flotte en l'air, sans défense, une ligne gracieuse tracée à l'horizontale." 

Le roman qui provoque jusqu'au malaise l'incertitude des représentations, exhale aussi quelques fumerolles métaphysiques servies par une écriture affutée. Rendez-vous pris avec le "signe" noir dans les faubourgs d'un songe macabre.

Le Calligraphe – Hisaki Matsuura – Traduit du japonais par Silvain Chupin – Rivages noir – 352 pages – 21,50€ - ***
Lionel Germain



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vendredi 18 décembre 2020

De boue et de crasse


"Il mesurait près de deux mètres, et sa minceur était telle qu'il paraissait décharné. Il ne portait pas de chapeau, et son crâne commençait à se dégarnir. Son costume, taillé dans un tissu de couleur sombre, était vieux, fripé, maculé de traînées de boue. Le personnage avait tout d'une loque, une de ces épaves qui dorment sous un arbre avec un mouchoir sur la figure. Le fait que sa chemise crasseuse fût fermée au col par un nœud papillon de couleur noire était ridicule, mais de ses yeux, profondément enfoncés dans leurs orbites, émanait une force qui aurait réduit au silence les railleurs éventuels."




L'épouvantail – Ronald Hugh Morrieson – Traduction de l'anglais (Nouvelle-Zélande)et postface par Jean-Paul Gratias – Rivages noir – 286 pages – 8,50€ - ***


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jeudi 17 décembre 2020

Science avec conscience




Passionnant contrepoint aux constructions dystopiques déjà anciennes de la SF et aux fantasmes actuels du transhumanisme, ce petit essai très tonique s’interroge sur les relations de l’homme avec son corps, et sur les risques sérieux d’aliénation en germe dans certaines pratiques irréfléchies pour lesquelles on s’emballe aujourd’hui. Venant d’une théoricienne du genre, engagée dans le féminisme, le propos n’est pas anodin.




L’Homme désincarné - Sylviane Agacinski - Tracts/Gallimard - 48 pages – 3,90€ - ****
François Rahier – Sud-Ouest-dimanche – 29 septembre 2019



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mercredi 16 décembre 2020

Fin d'un monde


A lire "Le Voyageur secret", on pourrait penser qu'il ne s'agit que d'une justification quasi posthume du Cirque, cette machine bureaucratique destinée à contrer le Centre Moscou pendant la guerre froide. L'idée géniale de l'auteur consiste à mettre en scène Ned, l'un des principaux protagonistes de "La Maison Russie" aux côtés du légendaire Smiley. Ned est professeur chez les apprentis espions et il invite Smiley à faire une conférence à ses élèves. Le roman est construit autour de cette conférence dont les charnières constituent autant d'épisodes de la carrière de Ned. 



A postériori, le Cirque apparaît moins kafkaïen, comme une entreprise où les hommes, certes faillibles, mais animés d'une foi identique à celle de Silas Sibley chez Littell, ont tenté de déjouer les attaques d'un adversaire qui leur ressemble. Même si à l'inverse de la profession de foi du héros de Robert Littell, la fin ici justifie les moyens, tant qu'un homme comme Smiley est à la barre. Ce n'est pas la machine qui déraille mais les "espions" qui ne sont pas à la hauteur du sacrifice.



Ainsi au fil des souvenirs de Ned, nous découvrons les compagnons de route qui ont flanché un jour ou l'autre par peur, par cupidité ou par négligence. Et c'est bien-sûr une part de sa propre vérité que lui révèle chacun des portraits enfouis dans sa mémoire. Le voyageur secret traverse le temps à la recherche d'une réponse aux questions que suscite Smiley: "Cela a-t-il servi à quelque chose?", "En quoi cela m'a-t-il affecté?", "Qu'allons-nous devenir maintenant?".

Face à ce questionnement, il est un personnage dont l'évocation permet à Ned d'éprouver la douloureuse incertitude de son engagement. A demi hollandais comme le narrateur, Hansen, prêtre défroqué, choisit l'Angleterre et son service de renseignement comme seconde patrie. Envoyé au Cambodge miné par la guérilla des Khmers rouges, il y rencontre une femme qui lui donnera une fille. Hansen n'est pas un traitre. Sa folie est comparable à celle du soldat perdu d'"Apocalypse now". En suivant sa trace, Ned réveille "le rebelle qui sommeillait" en lui, l'homme libre qui a payé le prix fort sans se soucier des compromis.

"Cela a-t-il servi à quelque chose?". Le "communisme" totalitaire s'est effondré de l'intérieur mais que resterait-il du "monde libre" si le Cirque n'avait pas déployé ses vigies? Silas est broyé par la machine folle qui l'emploie et Ned trouve dans le Cirque une forteresse où se protéger de lui-même. A l'heure de la retraite, Ned a fait le deuil de sa jeunesse, du temps où l'idéal l'emportait sur le réel. Le pessimisme absolu de Littell épargne Le Carré au moins dans cette fin de cycle. Et voici le fond de sa pensée: "Le mal ne se trouvait pas dans le système mais dans l'homme."

Le Voyageur secret – John le Carré – Traduit de l'anglais par Isabelle et Mimi Perrin - (1ère édition française chez Robert Laffont – avril 1991) – Réédition Livre de poche en 1993 – 439 pages – 6,10€ - ***
Lionel Germain




mardi 15 décembre 2020

Une morale d'espion


Vue à travers le prisme de Robert Littell, l'architecture des services secrets américains n'a rien à envier à la machine bureaucratique que nous décrit John le Carré. "Un espion d'hier et d'aujourd'hui" met en scène le Trieur, Silas Sibley, chargé pour la CIA de trier les informations fournies par un système d'écoute. C'est un héros paradoxal comme les affectionne le Carré. Vigie du sanctuaire animée par l'idéal patriotique, Silas Sibley n'est qu'un rouage de l'appareil dont il mesure aussi bien le cynisme que la nécessité. Mais un rouage capable de gripper la machine quand elle s'emballe. 



L'intérêt romanesque du paradoxe réside dans cette soumission conditionnelle à l'organisation. Celle-ci perd sa légitimité le jour où elle ne respecte plus le "contrat social" qui la lie à l'espion. Aux quelques psychopathes et paranoïaques qui alimentent la rhétorique du Mal dans les jardins secrets du Royaume, il faut opposer la rigueur de sa foi. Pour Silas Sibley, elle se nourrit de l'exemple de son ancêtre Nathan Hale, héros de la guerre d'Indépendance pendu par les Anglais en 1776. 



"Que nos mœurs nous distinguent de nos ennemis autant que la Cause que nous défendons", précisaient les Instructions pour l'enrôlement des hommes du 20 juin 1775. Tel est le credo de Nathan. Cette histoire de Nathan que Silas réinvente avec sa propre vie est le terreau d'une "entité plus connue sous le nom de nation". Une manière de "souscrire au même contrat social" pour lequel l'espion, figure mythique d'une certaine vision du monde, combat en première ligne. Or la vision du monde de Robert Littell n'est pas celle des maîtres de la Maison Blanche. Si le "Trieur" est un moraliste, Littell est sans illusion sur l'avenir de ce héros dans un système où l'intérêt de l'État se confond avec les enjeux du pouvoir.  

Un espion d'hier et de demain – Robert Littell – Traduit de l'américain par Natalie Zimmermann – (Julliard - mars 1991) – Réédition Points en 2011 – 431 pages – 8€ - ***
Lionel Germain





lundi 14 décembre 2020

Bons baisers de Russie


La Maison Russie est une petite maison du quartier Victoria à Londres. Comme son nom l'indique, les officiers qui y travaillent sont des spécialistes de la défunte URSS. Le narrateur, Horatio Benedict de Palfrey, est le conseiller juridique du Service. Le Carré s'amuse à démontrer que l'univers n'est qu'un réseau de signes. En ancien français, un palefrei est une monture destinée aux dames et c'est pour échapper à une dame que "ce vieux Palfrey" s'est réfugié à l'intérieur de cette "citadelle secrète" qu'est la Maison Russie. Pour couronner le tout, Palfrey se cache derrière le pseudonyme de Harry. Il y a donc loin des apparences à la réalité. Sa fonction consiste à fabriquer des mensonges suffisamment crédibles pour convaincre les éventuels associés du Service que ce qu'on exige d'eux n'est pas contraire à la légalité.



Au cours de la première "foire audio" et en pleine perestroïka, Katia, une Russe qui travaille dans l'édition, fait passer des documents à l'Ouest. Le destinataire est Barley Scott Blair, éditeur marginal, dilettante, musicien et amateur de whisky (Barley, c'est l'orge). Les documents révèlent certains secrets militaires destinés à rendre irréversible l'ouverture entre savants des deux blocs. Qui en est l'auteur? S'agit-il d'une manipulation? C'est ce que devra découvrir Barley Scott Blair, recruté malgré lui par les services secrets britanniques.



Si le monde du "secret" manipule les codes, John Le Carré utilise ses perversions, ses fantasmes et ses simulacres pour mettre à nu les contradictions les plus intimes de chacun de nous. "Espionner, c'est écouter, espionner, c'est attendre", dit-il. On songe à la "patience" de l'analyste et à l'analysé qui ruse avec lui-même.

La Maison Russie, c'est le double récit d'un monde qui abandonne ses masques, non sans résistance, et d'un homme, Barley, qui va sacrifier ses "couvertures" pour accéder, non sans mal également, à la liberté.

La Maison Russie – John LeCarré – Traduit de l'anglais par Isabelle et Mimi Perrin - (1ère édition française chez Robert Laffont - novembre 1989) – Réédition Folio en 1991 et Points en 2003 – environ 500 pages - ***
Lionel Germain



John Le Carré est mort le 12 décembre 2020.





samedi 12 décembre 2020

Jus de Grenade


Ça n'a sans doute rien à voir avec Chester Himes mais "Digger", le héros de Jacob Ross, est dépositaire d'une rage froide qui n'est pas sans rappeler celle du "Fossoyeur" de Harlem. Michael Digson, alias Digger, ne hante pas les rues de la "Grosse Pomme". Il est l'un de ces jeunes qui désespèrent d'accéder un jour à l'emploi en traînant dans les faubourgs des Caraïbes sur l'île de Camaho. C'est sa bonne lecture des scènes de crime qui le rend précieux aux yeux d'un flic, et lui permet d'intégrer la brigade criminelle. Jacob Ross, poète reconnu à Grenade, déborde largement du cadre pour nous raconter les fausses promesses d'un paradis miné par la violence.


Lire les morts – Jacob Ross – Traduit de l'anglais  (Grenade - Caraïbes) par Fabrice Pointeau – Sonatine – 368 pages – 21€ - *** 
Lionel Germain




vendredi 11 décembre 2020

A la douzaine


Ce sont des mômes, ils sont douze, mais ils ressemblent davantage aux créatures de Jérôme Bosch qu'à des images d'Épinal. Ils survivent comme une meute de chiens errants entre le terrain vague et la Zup. Ils ont des noms qui évoquent tous les ports de la Méditerranée. Dans leurs yeux ne brillent plus pourtant que les soleils factices arrachés aux vapeurs de trichlo. Et puis une fille débarque, venant troubler leurs petites rapines sans gloire, parce que celui qu'elle aime est en prison et qu'elle a décidé de l'en faire sortir. Lui, c'est Adrian. Le treizième môme.


 
La taule et ses matons vicelards, le commissariat et ses flics ripoux, la Zup et ses épaves, c'est le décor du quatrième roman de Philippe Conil. Seule l'étrange obsession de la fille adoucit la violence mécanique et glacée des autres. Avec des personnages dont le meilleur d'entre eux n'hésiterait pas à tirer sur une ambulance, l'auteur offre du noir en rafale. Et treize à la douzaine. 





Le treizième môme – Philippe Conil – Série noire Gallimard – *** - (1985) 
Lionel Germain




jeudi 10 décembre 2020

La mémoire invertie


Journaliste scientifique, Ben Matson a perdu sa compagne lors du crash du vol AL 77 sur le Pentagone, le 11 septembre 2001. Son corps n’a jamais été retrouvé. Ce roman est d’abord l’histoire d’un long travail de deuil. La découverte des restes d’un avion de ligne au large des côtes américaines, des années après, découverte vite camouflée par les autorités, rouvre la blessure: le narrateur reprend sa quête, tentant de démêler le faux du vrai dans les thèses officielles sans jamais tomber dans les délires complotistes.
 



L’auteur non plus, qui s’en explique avec clarté dans sa postface. Située dans un futur proche, l’histoire se termine en 2024 avec l’élection du 47e président des États-Unis. Le monde a changé, l’Écosse où vit le personnage principal, est devenue indépendante. La croissance exponentielle des réseaux sociaux, a modifié notre rapport au réel, au passé, et la vérité devient dangereusement alternative. 





Né en 1943, au Royaume-Uni, auteur du classique "Monde inverti", et, avec Christopher Nolan du film "Le Prestige", Priest était un des plus grands auteurs de SF d’aujourd’hui. Comme chez Dick, la fiction chez lui, s’attache à mettre en évidence les failles de notre perception. Une œuvre exigeante, parfois déroutante, un formidable décodeur en tout cas des angoisses ou des fantasmes de notre époque troublée.

Conséquences d’une disparition - Christopher Priest - Traduit de l’anglais par Jacques Collin - Lunes d’encre/Denoël - 335 pages – 21,50€ - *****
François Rahier – Sud-Ouest-dimanche – 30 septembre 2018



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mercredi 9 décembre 2020

L'effet Morgane



Stan et Angelo ont commis une erreur lors d'un braquage de banque. Ils ont descendu un troisième complice, Rachid, et le frère de celui-ci, considéré comme un "monsieur" du côté de Pigalle, a juré d'avoir leur peau. Il ne leur reste plus qu'à se planquer dans le désert quelque part au sud de la Loire. Tout irait bien malgré l'ennui qui ronge les deux braqueurs si Morgane, la bien nommée, pourchassée par des truands aussi noirs que féroces, ne venait piétiner leurs plates-bandes. Ça va rapidement devenir dangereux pour les pauvres moutons du Larzac et l'auteur d'un "Été glacé" n'hésite pas ici à faire chauffer les calibres.


La queue du lézard – Philippe Conil – Série noire Gallimard (octobre 1984) – 192 pages – 4€ sur les sites de vente en ligne - ***
Lionel Germain




mardi 8 décembre 2020

Malfaiteurs sans frontière



Quand des voitures brûlent à Roissy, on pourrait s'attendre à voir les silhouettes encapuchonnées s'agiter autour des braises, mais pour Lola Rivière et Zoé Dechaume, les deux enquêtrices du "36" délocalisé, c'est le début d'une affaire aux prolongements politico-mafieux. Comme il a été lui-même flic de terrain à la brigade criminelle, Hervé Jourdain est un écrivain "hyperréaliste", un peu sec parfois dans le maniement de son présent de l'indicatif. VTC clandestins, trafiquants sans frontière et parfum de kérosène sont au générique d'un polar qui vaut son pesant de CO2.



Terminal 4 – Hervé Jourdain – Fleuve noir – 320 pages – 19,90€ - ***
Lionel Germain




lundi 7 décembre 2020

Ne pas courir




Max Annas avait séduit avec "Enfer blanc", un roman africain dont on retrouve les accents dans cette intrigue berlinoise. On vante souvent la générosité allemande qui a su accueillir des centaines de milliers de réfugiés, et Berlin reste une capitale admirable. Mais les problèmes sont nombreux et c’est le rôle du roman noir de les pointer. Kodjo, historien au Ghana, n’est plus qu’une cible en mouvement après le meurtre d’une prostituée dont il ferait le coupable idéal. Racisme, traque des sans-papiers, courir la nuit dans les rues berlinoises est un sport à hauts risques.



Kodjo – Max Annas – Traduit de l'allemand par Mathilde Sobottke – Belfond – 224 pages – 19€ - ***
Lionel Germain





samedi 5 décembre 2020

La vie 3.0


Impossible de dresser la liste de toutes les malédictions qui assombrissent l'avenir de nos enfants, et "le roman n'est pas une prophétie, c'est un avertissement", nous dit Dos Santos. 




Avec son personnage de cryptologue, Tomàs Noronha, qui sert depuis de nombreux romans à éclaircir les mystères de la création, voire à déchiffrer les messages codés abandonnés par Dieu dans les caves du Vatican, Dos Santos anticipe ici l'ultime mutation de l'espèce humaine. Mutation numérique déjà largement engagée dans le développement de l'Intelligence artificielle. Toutes nos angoisses condensées sur plus de 500 pages avec une précision diabolique.




Immortel – J.R. Dos Santos – Traduit du portugais par Adelino Pereira – Hervé Chopin – 560 pages – 22€ - **
Lionel Germain




vendredi 4 décembre 2020

Des coups à prendre


Daniel Pennac a commencé à écrire un essai dans les années 70, puis des livres pour enfants avant d'aborder le polar en 1985 avec "Au bonheur des ogres" publié par la Série noire. C'est dans ce roman qu'apparaît Benjamin Malaussène, le personnage de bouc-émissaire professionnel. On le retrouve dans une tétralogie avec "La Fée Carabine" puis "La petite marchande de prose" et "Monsieur Malaussène" complété par "Aux fruits de la passion". Mais c'est avec "La petite marchande de prose" qu'il change d'étage chez Gallimard, passant de la cave au balcon prestigieux de la collection "blanche".


 

Dans ce troisième titre, Benjamin Malaussène travaille pour la reine Zabo, une éditrice qui le charge d'endosser toutes les colères des écrivains "refusés". Jusqu'au jour où elle lui demandera même d'emprunter la personnalité d'un fabricant de bestsellers. L'auteur véritable n'étant pas celui que l'on croyait, Benjamin est réduit à l'état de légume sur un lit d'hôpital. 





L'occasion pour Pennac d'écrire une des plus belles pages du roman. "Un corps tout entier se vide en clameurs et ceux qui sont au pied du lit ne perçoivent rien". "Johnny got his gun" revu par les frères Marx.
 
Comme dans les deux précédentes aventures, la tribu Malaussène a un rôle de première grandeur. Clara, la sœur photographe qui veut épouser un directeur de prison modèle, le petite frère, Julius, le chien épileptique, mais aussi Louisa de Casamance, Amar le restaurateur, Mo le Mossi et Simon le Kabyle, "les roitelets du bonneteau de Belleville à la Goutte d'Or". Tout ce petit monde évolue dans un climat de merveilleux loufoque qui ne caractérise pas particulièrement le roman noir. 

Après avoir éprouvé les contraintes du polar, le vrai danger du changement de collection pointe son nez: celui de céder au "subjectivisme nombrilaire de notre littérature hexagonale." Pennac s'en sort assez bien jusqu'à cette "Petite marchande de prose" mais dès les prolongations avec "Aux fruits de la passion" et plus récemment en 2017 avec "Le cas Malaussène", l'exercice de style manque de cette nécessité qui s'impose sur les rayons de la "noire". 



Au Bonheur des ogres – Daniel Pennac – Série noire – avril 1985
La petite marchande de prose – Daniel Pennac – Gallimard – (1990 et 1997)
 
Lionel Germain




jeudi 3 décembre 2020

Mystère de l'univers




Phénomène des lettres chinoises, adoubé par Obama de passage à Pékin, Liu Cixin continue à écrire de l’anticipation bien qu’il soit persuadé que le thème est sur le déclin car la technologie perd son mystère. Raison pour laquelle sans doute il s’attaque dans ce passionnant roman à un phénomène météorologique rare, présent souvent dans la culture populaire de Jules Verne à Hergé, mais qui laisse encore perplexes les savants.





Boule de foudre - Liu Cixin - Traduit du chinois par Nicolas Giovanetti - Actes sud - 439 pages - 23€ - ****
François Rahier – Sud-Ouest-dimanche – 6 octobre 2019



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mercredi 2 décembre 2020

L'autre bout du fil


Une bombe placée dans la sacoche d'un passager provoque l'explosion en vol d'un avion. Deux femmes et une jeune fille sont bientôt harcelées au téléphone par une voix mystérieuse qui laisse penser qu'elles ont une responsabilité dans le drame.



"Temps mort" de Harlan Coben, "La vengeance aux yeux noirs" de Lisa Gardner, ou encore "Radio-Panique" de Stuart Kaminski font partie de cette série de polars basés sur le surgissement d'une voix au téléphone, inconnue, inamicale, menaçante. La condition idéale pour entretenir le frisson, comme a su si bien le faire Mildred Davis. Claude Mesplède la classe parmi les meilleures autrices américaines de suspense. On peut le vérifier avec ce roman de 1964 publié une première fois en France en 1966 dans la Série noire. 



La voix au téléphone – Mildred Davis – Série noire (1966) - Clancier-Guénaud, 1986 - Presses Pocket, 1993 - *** 
Lionel Germain - 





mardi 1 décembre 2020

L'origine du monde


L'obésité, sans doute l'un des maux du siècle en occident, n'a pas épargné l'héroïne du roman de Nicolas Beuglet. Grace Campbell est écossaise et inspectrice. La douceur de son nom rime avec les rondeurs qu'elle a conservées après son régime. 




Sur l'île d'Iona, battue par les vents, au bout du "Chemin des morts", on l'attend au Monastère où git le cadavre d'un homme sauvagement mutilé. L'excérébration qui consiste à enlever le cerveau a été pratiquée sur ce pensionnaire accueilli par les cinq moines. C'est le début d'un thriller dont les enjeux scientifiques et philosophiques nous amènent à reconsidérer l'origine du monde, pas le tableau de Courbet mais le Big-bang et sa poussière d'étoiles. 



Le dernier message – Nicolas Beuglet – XO – 400 pages – 19,90€ - **
Lionel Germain