vendredi 30 novembre 2018

Trois femmes et un couffin



L'ancienne journaliste Fiona Barton avoue sur son site qu'une histoire "lui trottait dans la tête" depuis longtemps. Désormais retirée dans son petit coin de Dordogne, la voilà disponible pour réanimer à sa guise les silhouettes des faits divers.




On pourrait résumer "La Coupure" d'une formule: trois femmes et un couffin. De quoi donner un parfum de comédie à une affaire qui n'a rien d'amusant. Dans le couffin, il ne reste du bébé qu'un squelette retrouvé sur un chantier de la banlieue de Londres. Les trois femmes penchées sur ce berceau macabre ont chacune un bagage secret dont Fiona Barton ne délivre que des fragments chapitre après chapitre. 





Angela, d'abord, est la mère d'une petite fille qu'on lui a dérobée à la maternité. Emma, ensuite, est une éditrice aux relations familiales compliquées. On la surprend paniquée par la découverte de ce corps et par les investigations de Kate, une reporter à l'affût du scoop dans un journal fragilisé. Kate est celle qui va démêler peu à peu les fils qui pourraient relier les deux autres à la disparition de l'enfant. 

Mais c'est bien à la périphérie de ce mystère que Fiona Barton situe les enjeux du roman. Les trois femmes sont travaillées par des désaccords intimes qui les caractérisent. Quand Emma s'épuise dans une confrontation avec une mère enfant, Angela cherche des réponses aux questions que pose la plus terrible des absences. Kate est elle-même à la recherche d'une vérité professionnelle qui lui échappe. 

À travers ce personnage, l'auteure développe un commentaire désabusé sur l'état de la presse en général et sur l'évolution du métier de journaliste. Sa tendresse pour les arpenteurs de bitume de Fleet Street, où se concentrait naguère le fleuron de la presse britannique, est nuancée par l'inquiétude.

La Coupure – Fiona Barton – Fleuve noir – 480 pages – 20,90€ - ***
Lionel Germain




jeudi 29 novembre 2018

Poésie, science et fiction






Plume majeure de la SF américaine des années 60, Delany, afro-américain et homo, fut à l’avant-garde de tous les combats. Après avoir renouvelé le space opera, il fit une brillante carrière universitaire. Ce livre rassemble 7 textes marquants, romans ou nouvelles, empreints de son étrange poésie comme en témoigne le titre de l’un des plus célèbres, "Le temps considéré comme une hélice de pierres semi-précieuses"…




Chants de l’espace - Samuel R. Delany - Traduit de l’anglais (collectif) -  Bragelonne - 704 pages - 10€ - ***
François Rahier – Sud-Ouest-dimanche – 9 juillet 2017




mercredi 28 novembre 2018

Les travaux d'Eytan






Dans l'Antiquité, les demi-dieux descendaient de l'Olympe pour camper dans le monde ordinaire et tenter de le protéger. Eytan est un enfant polonais déporté, transformé en cobaye par les nazis. Le voilà qui combat à travers la planète les visées totalitaires d'un dangereux "Consortium". Avec ce super héros inscrit dans notre histoire contemporaine, on ne s'ennuie pas une seconde. 






Le programme D-X – David Khara – J'ai Lu – 416 pages – 7,60€ - **
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 18 novembre 2018




mardi 27 novembre 2018

Amazone interdite






Colin Niel revient en Guyane avec un nouvel épisode d'une série toujours aussi documentée. L'adjudante Angélique Blakaman, héroïne en métropole où une mission de sauvetage l'a laissée partiellement défigurée, retrouve son pays natal. Garimperos, chamanes, évangélistes, jamais ce territoire sauvage de la forêt amazonienne n'aura produit des personnages de fiction aussi denses que ceux de Colin Niel.




Sur le ciel effondré – Colin Niel – Rouergue – 512 pages – 23€ - ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche - 11 novembre 2018




lundi 26 novembre 2018

Blanc sur Blues





Prix des lecteurs Quais du Polar/20 Minutes avec "Bondrée", Andrée A. Michaud confirme ce succès après la parution de "Rivière tremblante". Les éditions Rivages en ont profité pour inscrire dans la fournée de septembre un roman de 2010 "Lazy Bird". Les errances radiophoniques d'un animateur albinos harcelé par une mystérieuse auditrice. De Coltrane à Morrison, la poésie d'Andrée A. Michaud se nourrit d'un lyrisme sombre.





Lazy Bird – Andrée A. Michaud – Rivages noir – 500 pages – 9,50€ - ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche - 11 novembre 2018




vendredi 23 novembre 2018

Romans de gare






L'idée, lumineuse, a d'abord épuisé les allées du Louvre où le crime est un des beaux-arts. Elle se projette aujourd'hui à Orsay. L'ancienne gare nous offre toute une série de romans noirs qu'ont illustrés les peintres du 19ème. Des martyrs chrétiens de Léon Bénouville à la magnifique pendule figurant l'assassin ultime, l'auteur s'attarde sur les morts sublimées par Gustave Moreau ou Cézanne. 




Scènes de crime à Orsay – Christos Markogiannakis – Le Passage – 256 pages – 22€ - ****
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche - 11 novembre 2018




jeudi 22 novembre 2018

Histoire comme si






Aujourd’hui le post-apo cède la place à l’après 11 septembre. La catastrophe est déjà arrivée, en fait, et on ne la voyait pas venir. Le moyen de comprendre, c’est peut-être l’uchronie. Faisons comme si tout avait commencé un 11 août à San Francisco, et qu’on parque là-bas les musulmans dans d’anciennes réserves indiennes. Faisons comme si: hypothèse, conjecture, ce livre est une véritable expérience de pensée.




D’un feu sans flammes - Greg Hrbek - Traduit de l’anglais (États-Unis) par Benjamin Fau – Phébus - 323 pages - 23 € - ***
François Rahier – Sud-Ouest-dimanche – 18 juin 2017




mercredi 21 novembre 2018

Eaux troubles






A travers la disparition d'un enfant près d'une rivière, la culpabilité des survivants se double d'une révélation sur l'imposture du couple. Ou plutôt sur la somme des postures avec lesquelles se constitue l'édifice familial. Quand sa validité se joue autour de l'enfant, la perte de celui-ci défait les artifices du face-à-face. Reste alors le constat cruel d'un désamour que plus rien ne maquille.  




Rivière tremblante – Andrée A. Michaud – Rivages – 368 pages – 21€ - ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 28 octobre 2018




mardi 20 novembre 2018

Mauvais esprit


Il existe réellement une association "Oklahoma-Occitania", "Ok-Oc" pour les intimes. Pour en comprendre l'origine, il faut faire un peu d'histoire et notamment se rappeler nos liens avec la "Nouvelle France" qui nous fait découvrir les Indiens d'Amérique dès le 17ème Siècle.





Plus tard, en 1829, trois membres de la tribu Osage aboutirent à Montauban après deux ans d'errance à travers l'Europe. C'est sur ce terreau historique que Jubert et Séverac imaginent le retour d'un chef dans un village proche de la cité occitane. Héritier d'un lopin de terre, sa venue bouscule la région et réveille de mauvais esprits.






Wazhazhe – Jubert et Séverac – Le Passage – 320 pages – 19€ - **
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche - 28 octobre 2018




lundi 19 novembre 2018

De plume et de glace





Invité à servir de "nègre" à un politicien, l'écrivain new-yorkais David McCae rejoint l'Alaska où un alpiniste célèbre doit étoffer son répertoire d'éloges. Mais le porte-plume va rapidement grincer sur la glace. En savoir trop sur celui dont on est censé façonner la légende s'avère dangereux. Dans ce roman "américain", l'auteur nantais décrit avec justesse les impasses auxquelles vous condamne une mémoire sélective.




Terres fauves – Patrice Gain – Le Mot et le Reste – 208 pages – 19€ - ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 4 novembre 2018




vendredi 16 novembre 2018

Tailler la route


"L'autre côté des docks", d'Ivy Pochoda nimbait Brooklyn d'une lueur fantomatique pour deux adolescentes en quête d'un ailleurs proche. Ivy Pochoda est née à Brooklyn, où les rêves de lointain peuvent se contenter des feux de Manhattan. Elle y a vécu jusqu'en 2009. Puis elle a posé son sac à Los Angeles. Chacun sait que le monde s'y est condensé dans l'illusion hollywoodienne, et c'est presque un film que ce nouveau roman dont le premier chapitre, comme un mouvement symphonique, est aussi une mise en mouvement du monde. On pense à "La la land", la scène d'ouverture qui infuse de la grâce dans la folie du siècle. Parce que Los Angeles se réduit chaque matin au monstrueux réseau routier où chaque segment figure le circuit neuronal d'une énergie sans conscience.




Tom Wolf révélait dans "Le Bûcher des vanités" le piège communautaire et la terreur panique de son "golden boy" coincé dans les phares du Bronx, Ivy Pochoda propose au contraire un personnage d'avocat soucieux d'échapper à l'enfermement auquel le condamne son mode de vie. L'occasion sera fournie par le surgissement d'un type courant nu le matin sur l'autoroute. 




La balade prend des accents plus sombres que la charmante fable de Damien Chazelle. Sur deux époques, on suit des marginaux perdus entre le désert des Mojaves, les quartiers dangereux de Los Angeles et leurs mauvais souvenirs. La liberté après laquelle on court a parfois des effets meurtriers.

Route 62 – Ivy Pochoda – Traduit de l'américain par Adélaïde Pralon – Liana Levi – 360 pages – 22€ - *** 
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche - 21 octobre 2018




jeudi 15 novembre 2018

Retour à Vénus






Vénus a fait longtemps rêver les hommes, elle est aujourd’hui tenue pour ce qu’elle est, un enfer à l’atmosphère létale. Futur proche: la technique des habitats spatiaux a permis de coloniser le système solaire. Autour de l’étoile du matin gravitent de stupéfiantes cités volantes, dont une satrapie hors du temps gouvernée par un enfant. Un subtil mélange de hard science et d’anthropologie prospective.






Le Sultan des nuages - Geoffrey A. Landis - Traduit de l’anglais par Pierre-Paul Durastanti - Une heure lumière/Le Bélial’ - 107 pages – 8,90€ - ***
François Rahier – Sud-Ouest-dimanche – 27 août 2017




mercredi 14 novembre 2018

Lendemains de fête






C'est un crime odieux dont la banalisation doit beaucoup à l'anonymat des réseaux. Louise O'Neil raconte l'histoire d'une lycéenne, jolie, "populaire", et victime d'un viol au cours d'une soirée. Les images diffusées avec leur lot de commentaires obscènes et haineux complètent l'agression. C'est la conséquence de ce point de rupture que le roman analyse avec pessimisme.





Une fille facile – Louise O'Neil – Traduit de l'anglais par Nathalie Guillaume – Éditions Stéphane Marsan – 288 pages – 18€ - ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche - 21 octobre 2018




mardi 13 novembre 2018

Milo la poisse





Milo est un enfant harcelé, ostracisé et toujours coupable aux yeux des adultes. Claire Favan bénéficie d'une préface de son propre fils pour nous raconter les fatalités qui pèsent sur les épaules d'un jeune garçon privé de son père. Sa révolte est une succession de mauvais choix: abandon des études, fréquentations à risque et prison. Mais pour une mère, un fils sera toujours davantage victime que coupable.





Inexorable – Claire Favan – Robert Laffont La Bête noire – 384 pages – 20€ - **
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche - 21 octobre 2018




lundi 12 novembre 2018

Né quelque part






Le refrain nous dit que la montagne est belle. Mais les hommes et les femmes qui vivent entre les ombres de la forêt et la lumière aiguisée par les roches se méfient de l'inconnu. Cet homme, par exemple, accablé de chagrin et réfugié dans les bois après l'incendie d'une ferme. Au plus près de la terre, Alexandre Lenot restitue avec une maîtrise éblouissante la chair d'un paysage où errent des figurants tragiques.





Écorces vives – Alexandre Lenot – Actes Sud – 208 pages – 18,50€ - ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche - 28 octobre 2018