mardi 30 avril 2013

Article 64

 En 1921, Kolvair est inquiet de la libération d'Anthelme Frachant, un ancien mutin de la Grande Guerre. Le héros unijambiste et cocaïnomane d'Odile Bouhier le soupçonne de l'assassinat, en pleine tourmente, d'un lieutenant dont il était l'ami.


 Avec Lyon, ses trésors historiques et sa technique policière de pointe, le refoulé de la guerre est un des ressorts essentiels du roman. Au fil des chapitres, on croise une population terrifiée par le spectacle des Gueules cassées et on comprend d'où viennent les cauchemars et l'addiction du flic lyonnais.


 En compagnie d'un collègue new-yorkais en visite en France, il traque son ancien camarade de tranchée.  Celui-ci ne tarde pas à commettre des crimes qui lui vaudront une nouvelle arrestation où sa folie est mise en évidence, un trouble nouvellement identifié sous le nom de schizophrénie. En pleine affaire Landru, c'est l'occasion d'ouvrir le débat sur l'article 64 qui définit la responsabilité pénale d'un accusé au moment de son crime. Landru qu'on avait reconnu sain d'esprit plaidera l'innocence puisqu'il "fallait être fou pour avoir commis ces actes barbares".


Le charme de cette série doit beaucoup au foisonnement maîtrisé des personnages de feuilleton dont on est curieux de suivre le parcours. Salacan, et sa science policière acquise près de Locard, la jolie psychiatre de Bron, Bianca Serragio, Damien Badou, le médecin légal homosexuel, Armand Letourneur, journaliste du Progrès de Lyon, et puis Legone, prototype du flic plus que borderline, flambeur et cinéphile d'un genre particulier, les films pornographiques. L'industrie du cinéma ne fait que balbutier mais on devine déjà que ce sera l'affaire du vingtième siècle.

Et justement, pour finir, ce sont les promesses de cette modernité que l'auteur nous laisse entrevoir. Hébétés par une tuerie inaugurale, les hommes découvrent les rudiments d'une science destinée à les affranchir d'un rêve barbare. C'est, hélas, parce qu'on sait ce qu'il adviendra de ce rêve que cette invitation à l'aube est passionnante.

La nuit, in extremis – Odile Bouhier – Presses de la Cité – 276 pages – 19,50€ - 
10/18 - 288 pages - 7,50€ - ***
Lionel Germain

Odile Bouhier a obtenu le Prix Polar Sud-Ouest/Lire en Poche 2013 pour La Nuit des bistanclaques




lundi 29 avril 2013

Drôle de trame

   
Le premier mystère de ce roman est dans le titre, irrigué d'un sang apparemment impur, celui des "bistanclaques". Odile Bouhier nous en donne l'origine en même temps qu'elle plante le décor. Lyon dans les années vingt. On glisse au cœur d'un atelier de soierie avec une vieille ouvrière devant sa machine.
  
 



Elle lève les fils, bis, repousse le battant, tan, et frappe la dernière trame sur les rouleaux de tissu, clac. Les canuts avaient baptisé leur métier en musique. Odile Bouhier va se charger du requiem. La vieille ouvrière venue faire des heures sup dans la nuit, sera retrouvée assassinée et mutilée.
 




Le héros, Victor Kolvair, est un flic rescapé de la Grande Guerre. De retour de la Somme en 1916, amputé de la jambe droite, il ne parvient à exorciser ses démons qu'au prix d'une addiction à la cocaïne planquée dans sa prothèse. C'est dans ce premier épisode aussi qu'on découvre Hugo Salacan, disciple de Locard et promoteur d'une police scientifique performante.
 
En plongeant dans les secrets d'une grande famille de soyeux, l'intrigue nous offre un tableau fouillé de Lyon, son funiculaire, son vieux quartier Saint-Jean, les fameux bouchons et le pied de nez des traboules au vieux rêve haussmannien.
 
Le sang des bistanclaques – Odile Bouhier – 10/18 – 264 pages – 7,50€ -
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 28 avril 2013 –
 
 
Ce livre a été sélectionné pour le Prix Polar Lire en poche Gradignan – Sud-Ouest.
Les modalités du vote seront annoncées le 26 mai.
 
Lire également dans Sud-Ouest
 
Le prix polar sur le site de Lire en poche - Gradignan
 
 
 
 
 
 

vendredi 26 avril 2013

Sortie de route




 
 Abandonné par ses proches et beaucoup par lui-même, Vincent dont la carrière de pianiste s'est arrêté à la MJC de Talence, se retrouve à distribuer des prospectus avec Carell, un boute en train décérébré. Incendiaires, voleurs de voiture et braqueurs de dabistes sectaires, leur périple burlesque est réglé comme une mécanique de précision. Avec une question sérieuse qui taraude l'instant où nous quittons l'ivresse adolescente: A quoi renonçons-nous?
 
 
 
 
Road Tripes – Sébastien Gendron – Albin Michel – 283 pages – 17€ - ***
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche – 21 avril 2013



jeudi 25 avril 2013

Dépression


Publié en 1968 chez Gallimard sous le titre "Chauffé à blanc", ce roman de Westlake appartient au cycle consacré à son héros dépressif, Mitch Tobin, qu'il écrivit sous le pseudonyme de Tucker Coe à la fin des années soixante. François Guérif explique dans "Du polar" (Payot) que c'est à la demande de Westlake que ces rééditions sont désormais publiées sous son nom.
 
 
Pour cause de rendez-vous galant sur ses heures de service, le policier Mitch Tobin n'a pu empêcher la mort de son coéquipier. Mis sur la touche, il éprouve une culpabilité sans borne autant envers sa femme qu'il a trompée qu'envers l'institution policière. Dans cet épisode, il est embauché par un mafieux pour trouver l'assassin de sa maîtresse. Allégé d'un joli magot, l'amant a des préoccupations plus triviales que romantiques et en affirmant dans un message posthume qu'elle a trouvé "un homme, un vrai", la victime permet d'éliminer un grand nombre de suspects.
 
 
Tobin mène l'enquête mais on le sent perdu dans une colère secrète depuis sa faute professionnelle et, à la limite de l'autisme, il s'est replié en silence dans la construction d'un mur de son jardin.
 
Une série à découvrir ou à redécouvrir grâce à la traduction révisée de Marc Boulet.
 
On aime et on meurt comme ça – Donald Westlake – Rivages – 222 pages – 8,15€ - ***
Lionel Germain
 
 
 

 
 
 
 

mercredi 24 avril 2013

Delete




Que se passe-t-il quand une femme rencontre un peintre avec lequel elle a tout partagé pendant quatre ans et que celui-ci ne la reconnaît même pas? Outre la blessure narcissique, cette obstination négative lui renvoie un sentiment d'irréalité qui contraint la jeune femme à forcer les verrous du souvenir, et n'en déplaise au LOST, Laboratoire d'Oubli Sélectif Thérapeutique, le cerveau n'est pas un disque dur.
 
 
 
 
 
Ni polar, ni science-fiction, le roman de Régis Descott diffuse une angoisse liée au refus de l'évidence. Aucun subterfuge de construction ne valide le "mauvais genre" mais cette sensibilité aux variations climatiques de l'âme consacre un écrivain.
 
 
 
 
 
 
 
 
Souviens-toi de m'oublier – Régis Descott – JCLattès – 250 pages – 19€ - **
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche – 21 avril 2013




mardi 23 avril 2013

Dernière campagne




 
 
 L'amour a déserté le pré. Entre sa mère Madeleine et ses potes de bistrots, Bertrand vit une grande solitude affective. L'amour flou avec sa Marijka s'est noyé dans l'eau de vie. Les coups dans le nez, c'est au sens propre. La rédemption pourrait venir de Marianne. SDF endurcie, elle a appris à se faire respecter. Malheureusement, son amitié avec Madeleine, la mère de toutes les bouteilles, ne présage rien de bon pour Bertrand et ses vilains secrets enterrés dans le jardin. Noir de tourbe.
 
 
 
 
Le paradis pour demeure – Pierre d'Ovidio – Presses de la Cité – 240 pages – 19,50€ - **
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 21 avril 2013



lundi 22 avril 2013

La part du diable




L'enfer est une région de l'âme, nous dit David Patsouris, et le paradis un mirage. Cognac, au cœur de la crise entre viticulteurs et négociants, a perdu de sa nonchalance cossue. Magazins fermés, cinéma vide, la sous-préfecture ressemble à une ville fantôme dont le coffre-fort a changé de mains au profit des multinationales. Elle devrait donc sa misère relative à une poignée de prédateurs, peu soucieux de redistribuer localement le trésor des chais.
 
 
En laissant grincer son blues au-dessus des vignes, David Patsouris donne à voir ce que dissimule l'arrière plan bucolique des campagnes: une violence aussi dévastatrice que la nuit minérale des cités.
 
D'ailleurs rien ne pourrait distinguer Charly le tueur de ses copains de bistrot. Un long monologue intérieur nous entraîne à percer ses murailles et menace l'étanchéité du mal. 22 500 euros pour la mort d'un syndicaliste, fatalement, ça provoque le retour de bile. Charly enterre son dégout à Royan, encore une bourgade anesthésiée entre maisons de retraite et promotion immobilière. La sensation de rompre avec un déterminisme brutal pourrait venir d'une femme mais la rédemption se gagne au prix d'un purgatoire, cet entre deux du monde trop loin déjà du bonheur et de l'amour.
 
La part des anges n'est pas montée au ciel. Elle a couvert d'une suie brune les murs de la ville. Avec un pessimisme lyrique, David Patsouris nous restitue la part du diable.
 
Cognac blues – David Patsouris – Rouergue noir – 205 pages – 18,50€ - **
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche – 21 avril 2013



vendredi 19 avril 2013

Trinité bostonienne




C'est avec "Un Pays à l'aube" que Denis Lehane entreprend la chronique de Boston à un moment clé de son histoire.

En 1918, à Boston et ailleurs aux États-Unis, différentes factions importent les idées révolutionnaires. Les anarchistes posent des bombes. Les syndicalistes tentent d'imposer une riposte collective aux brutalités que subit la classe ouvrière. Les Noirs enfin, à travers la NAACP, l'association nationale pour l'avancement des gens de couleur fondée en 1909, ébauchent une réponse à la ségrégation dont ils sont victimes. Aux colons anglais des origines ont succédé les vagues migratoires de la moitié du dix-neuvième siècle, des Irlandais surtout puis des Italiens, tous pressés d'échapper à la misère de l'Europe. Les échos de la révolution bolchevique enflamment une partie du chaudron tandis qu'en face, des intérêts déjà puissants se coalisent pour une réponse policière d'envergure.
 
 
Lehane s'empare de ce foisonnement à travers trois personnages. Le premier, Babe Ruth, est une légende du baseball. Une légende à l'origine d'une malédiction puisque son départ des Red Sox de Boston en 1919 pour l'ennemi juré de New-York, les Yankees, aurait condamné le club à une défaite perpétuelle. A côté de cette figure bien réelle, Luther l'ouvrier noir et Danny le flic irlandais constituent les pôles d'une tragédie où l'affrontement entre Blancs et Noirs dissimule une véritable guerre contre les pauvres. C'est le premier chapitre du roman. Lors d'une rencontre improvisée de son équipe avec une bande de jeunes Noirs à laquelle appartient Luther, Babe Ruth découvre intuitivement un des pouvoirs de son clan, celui de truquer les matches. Les Blancs qui ont ce pouvoir ne peuvent pas perdre. Babe Ruth est tout sauf un intellectuel mais il a gardé en lui la rage des anciens pauvres qui le pousse tout naturellement à fraterniser avec Luther. Même les joueurs de baseball en 1918 ont des comptes à régler avec leurs employeurs.
 
Luther, lui, n'a plus guère d'illusion. Condamné à la double peine: noir et pauvre, il a dû céder son emploi dans une usine de munitions à un soldat blanc de retour d'Europe. Après une tentative de rebond à Tulsa où il découvre l'aveuglement de la petite bourgeoisie noire contrainte de mimer les rituels étriqués des Blancs, il finira par devenir le serviteur de la famille Coughlin à Boston. Le père est capitaine de la police, le fils Danny est un flic infiltré dans les organisations subversives et le parrain, un porc bouffi de haine raciste qui n'aura de cesse de chercher à savoir ce qui se cache derrière l'élégance polie de Luther.
 
Danny l'Irlandais enquête d'abord sur les groupes anarchistes avec en point de mire l'espérance d'une plaque d'inspecteur. Fils du patron du Boston Police Department, filleul d'une éminence grise, il aime les filles et le whisky ce qui ne l'empêche pas de maintenir des liens ambigus avec une amicale de flics très revendicative. La rencontre entre Danny et Luther est respectueuse mais aucun des deux n'ignore la distance qui les sépare et Lehane décrit habilement les processus psychologiques qui vont les rapprocher. Si Danny l'infiltré ne partage pas la fureur idéologique de ses cibles, il comprend néanmoins qu'on lui ment sur les finalités de sa mission. C'est moins la sécurité de la nation qui est en jeu que les privilèges de ses commanditaires. Les flics sont des pouilleux surexploités tout comme les Noirs qu'on a libérés de l'esclavage pour mieux les asservir dans les États du nord. En septembre 1919, une grève sans précédent des forces de l'ordre va plonger la ville de Boston dans la tourmente.
 
Violence sociale, violence raciale, épidémie de grippe aux effets dévastateurs, le roman traverse une série de cataclysmes portés par l'énergie des hommes à transformer leur univers. 
 
Un pays à l'aube – Dennis Lehane – traduit de l'américain par Isabelle Maillet – Rivages noir – 864 pages – 10,65€ - ****
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 1er février 2009



jeudi 18 avril 2013

Tableau noir

 
 
 
 
 Que ce soit Deon Meyer ou plus récemment Mike Nicol, les auteurs sud-africains ne pêchent pas par excès d'optimisme. La preuve en est avec Roger Smith. La société qu'il nous décrit n'a guère été sensible à l'angélisme fondateur d'une réconciliation intercommunautaire. Un homme blanc marié à une métisse est accusé à tort du meurtre de sa femme. Son persécuteur est un Zoulou raciste protégé par une carte de flic. Corruption, mariage forcé, violence, détresse sociale, le tableau est sombre.
 
 
 
 
Le sable était brûlant – Roger Smith – traduit de l'anglais par Elsa Maggion – Calmann-Lévy – 344 pages – 20,90€ - ***
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche – 14 avril 2013
 
 
 
 

mercredi 17 avril 2013

Papa me fait peur




 
 
 Ambigüité du personnage et empathie contrariée du lecteur constituent les éléments essentiels d'un bon suspense, combinés au subtil dosage des incidents destinés à perturber l'intrigue. Une femme a disparu dans un hôtel de la Réunion et son mari, principal suspect, est en cavale avec sa fille. Qui menace qui? Le capitaine Aja Purvi, capitaine de gendarmerie "indigène" et audacieuse sera la première victime des faux-semblants qui désignent le coupable.
 
 
 
 
 
Ne lâche pas main – Michel Bussi – Presses de la Cité – 384 pages – 21€ - ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 14 avril 2013



mardi 16 avril 2013

Aveux sans repentir




 
 
 Confession d'un père à sa fille, le roman de Neil Gordon est un retour instructif sur la dérive du mouvement contestataire américain des années soixante. C'est à cause des promesses trahies que les étudiants ont basculé dans le Weatherman en référence à Dylan. Quand ils réalisent que le Voting Rights Act n'a été voté qu'en 1965, soit un siècle après la Guerre de Sécession, leur colère les transforme en rebelles. Braquage, clandestinité, drogue, Vietnam: ce monde était le nôtre.
 
 
 
 
Le dernier d'entre nous – Neil Gordon – 10/18 – Traduit de l'anglais par Éric Moreau – 570 pages – 9,60€ - **
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche – 14 avril 2013



lundi 15 avril 2013

"Choisissez un camp ou une pierre tombale"




 Avec "Un Pays à l'aube", Dennis Lehane nous racontait le chaos originel, celui des prédateurs de Boston, Irlandais, Noirs, riches et pauvres en quête d'un territoire avant les années vingt. Son dernier roman décrit l'étape intermédiaire où émergent les figures dominantes. Elles illustrent le passage du gangstérisme sauvage au crime organisé.
 
 
 
 Même si Joe Coughlin, jeune délinquant irlandais, est le héros du livre, la figure centrale reste celle du père, Thomas Coughlin, commissaire adjoint de la police de Boston et père déjà malheureux de Danny, dont "Un Pays à l'aube" nous retraçait le parcours. Comme dans les romans d'Ellroy, Thomas Coughlin est l'interface indispensable à la restitution d'une vision globale de cette société corrompue. Dans le nœud du système policier s'étouffe le corps social et se délivrent les secrets des échanges pervers entre crime et pouvoir.
 
 
 
 
 Joe Coughlin débute sa carrière criminelle en 1926 par le braquage d'un tripot appartenant à Alfred White et une romance avec la belle Emma, la maîtresse du mafieux en question. En pleine guerre des gangs de l'alcool, le mot d'ordre est simple: "Choisissez un camp ou une pierre tombale". Joe choisit de faire allégeance à Maso Pescatore, le meilleur ennemi de White, pendant un séjour au pénitencier. Une protection qui coûte à son père un certain nombre de manquements à l'éthique policière. Promu à sa sortie pour une reprise en main des affaires de Pescatore en Floride, Joe refuse la proposition de son frère Danny de le rejoindre en Californie et devient un "Boss". Une autre histoire commence avec Cuba en point de mire.
 
 Mélodrame, fresque historique, pétri de fièvre et de désir de rédemption, le roman de Lehane ne manque pas de souffle. La réconciliation du père et du fils témoigne de la volatilité des valeurs américaines, insensibles à la porosité des frontières entre le Bien et le Mal. Danny, le premier fils a choisi le jour et la normalité blafarde que Joe considère comme une défaite. Mais qu'on devienne Dieu ou diable, rien ne se fait qu'à l'ombre du père. Et le grand roman américain ne peut être qu'un roman noir parce que la Nation s'est constituée dans le creuset d'une violence aux accents bibliques. Nocturne et criminelle, lumineuse et justicière, elle est le terreau sur lequel des cités modernes ont dressé leur puissance vers le ciel.
 
Ils vivent la nuit – Dennis Lehane – Traduit de l'américain par Isabelle Maillet – 530 pages – 23,50€ - ****
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche – 14 avril 2013
 
 

vendredi 12 avril 2013

Haute tension



 Après "Le cul entre deux chaises" et "Banana Spleen", deux romans dans lesquels l'écrivain, antihéros par excellence, assumait sa marginalité avec une ironie mordante, Joseph Incardona a su négocier un passage au noir que les nouvelles déjà publiées annonçaient.



"Remington" est certes un polar mais on y retrouve la verve et le génie du détail qui ont séduit les lecteurs du recueil proposé par Delphine Montalant en 2003, "Dans le ciel des bars". La comédie humaine d'Incardona est centrée sur un type qu'il connaît bien même s'il est loin d'en être le double: André Pastrella dans le premier diptyque, Matteo Greco dans "Remington" et maintenant Ramon Hill pour "220 volts". Des écrivains dans la débine, trop lucides sur eux-mêmes ou sur leur entourage pour se faire beaucoup d'illusions.




Ramon Hill n'échappe pas à la règle. Il a réussi à écrire des bouquins qui se vendent mais ce sont des bouquins de salle d'attente. La panne sèche le surprend. Sa femme ne le surprend plus. Il finit par accepter l'idée d'une retraite en montagne pour relancer l'inspiration et sa libido paresseuse. Dans un polar, c'est souvent la plus mauvaise des solutions. Le chalet perdu au milieu de nulle-part n'a pour voisins que trois cochons et leur inquiétant propriétaire. Après avoir pris le jus sur une vieille prise, Ramon déborde d'une énergie mauvaise et tout s’enchaîne avec cruauté jusqu'à l'épilogue totalement amoral.
  
220 volts – Joseph Incardona – Fayard – 194 pages – 15 euros - ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 22 mai 2011



jeudi 11 avril 2013

Expulsion




"Dans la nuit du 13 au 14 novembre 1983, entre Agen et Montauban, au lieu-dit Fourrier Six-Basses, un homme est mort. On l'a jeté vivant d'un train en pleine vitesse, le 343, qui relie Bordeaux à Vintimille."
 
 
 
 
 En s'emparant du drame de ce jeune Algérien assassiné, Jean-Baptiste Harang dévoile les ambigüités de l'écart monstrueux, les interprétations parfois hâtives des commentateurs sur la motivation raciste du crime, la personnalité complexe des trois apprentis légionnaires et la passivité des voyageurs.
 
 La représentation du réel puise ici sa force "dans l'absence idéale de style" théorisée par Roland Barthes.
 
 
 
 
 
Bordeaux-Vintimille – Jean-Baptiste Harang – Grasset – 122 pages – 12,10€
Lionel Germain 
 
 
 
Escales du livre 2013 à Bordeaux – rencontre sur le thème du Faits-divers et fictions littéraires – Jean-Baptiste Harang pour "Bordeaux-Vintimille" chez Grasset et Philippe Motta pour "Servir l'oubli" (In8).



mercredi 10 avril 2013

Faits-divers






 
 Au "Télégramme de Vilroz", le "fédé" de service s'appelle Jack Ethic. Il traque les échos routiniers du commissariat dans l'espoir de lever un lièvre plus conséquent, comme l'accident banal de la circulation au cours duquel le fils de l'adjoint au maire trouve la mort en pleine nuit. Mais pour que la souris accouche d'une montagne, il faut creuser les apparences. Intimidation économique, compromissions politiques, c'est là que le petit journaliste va mériter sa carte de presse.




Servir l’oubli – Philippe Motta – In8/Noires de Pau – 300 pages – 22 euros - ** -
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 18 janvier 2009
 
 
 
Avec Jack Ethic, on est entraîné sur un tempo d'enfer dans la compétition  entre journaux. Il s'agit de nourrir la bête, fournir sa chronique quotidienne dans une démarche inverse de celle observée chez J.B. Harang pour "Bordeaux-Vintimille" où l'arrêt sur images prime sur le montage accéléré qui caractérise le travail des fait-diversiers.
 
"Dans la nuit de mardi à mercredi…", "Il était 22 heures environ…", la duplication des clichés, sans rapport avec le "degré zéro de l'écriture" imaginé par Barthes, aboutit parfois à une poétique étrange: "étranglée par un antivol, sauvée par un bélier". Une poétique qui trahit la tension permanente du "fédé" en quête de l'ellipse fatale.
Quand l'accident n'est plus celui d'un anonyme mais d'un fils de famille, on passe du récit clôturé, la nouvelle en trois lignes inventée par Félix Fénéon dans les années trente, au feuilleton. Le journaliste devient détective et le fait-divers, une affaire.



Escales du livre 2013 à Bordeaux – rencontre: Faits-divers et fictions littéraires – Jean-Baptiste Harang pour "Bordeaux-Vintimille" chez Grasset et Philippe Motta pour "Servir l'oubli" (In8).




mardi 9 avril 2013

F comme Foireux







 C'est le grand retour de Costes et Bernstein, les pieds-nickelés du polar français qui bâtissent des plans F comme foireux pour arnaquer la veuve et l'orphelin milliardaires. Un autre duo de bras cassés enlève le patron du nucléaire français que nos deux enquêteurs espionnaient pour le compte de sa femme. Au bal des débutants, Costes et Bernstein paraissent mener la danse mais en ce qui les concerne, le crime paie rarement. Immoral et joyeux.
 
 
 
 
 
Le bal des débutants – Philippe Colin-Olivier – Le Passage – 224 pages – 17€ - **
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 7 avril 2013