lundi 15 avril 2013

"Choisissez un camp ou une pierre tombale"




 Avec "Un Pays à l'aube", Dennis Lehane nous racontait le chaos originel, celui des prédateurs de Boston, Irlandais, Noirs, riches et pauvres en quête d'un territoire avant les années vingt. Son dernier roman décrit l'étape intermédiaire où émergent les figures dominantes. Elles illustrent le passage du gangstérisme sauvage au crime organisé.
 
 
 
 Même si Joe Coughlin, jeune délinquant irlandais, est le héros du livre, la figure centrale reste celle du père, Thomas Coughlin, commissaire adjoint de la police de Boston et père déjà malheureux de Danny, dont "Un Pays à l'aube" nous retraçait le parcours. Comme dans les romans d'Ellroy, Thomas Coughlin est l'interface indispensable à la restitution d'une vision globale de cette société corrompue. Dans le nœud du système policier s'étouffe le corps social et se délivrent les secrets des échanges pervers entre crime et pouvoir.
 
 
 
 
 Joe Coughlin débute sa carrière criminelle en 1926 par le braquage d'un tripot appartenant à Alfred White et une romance avec la belle Emma, la maîtresse du mafieux en question. En pleine guerre des gangs de l'alcool, le mot d'ordre est simple: "Choisissez un camp ou une pierre tombale". Joe choisit de faire allégeance à Maso Pescatore, le meilleur ennemi de White, pendant un séjour au pénitencier. Une protection qui coûte à son père un certain nombre de manquements à l'éthique policière. Promu à sa sortie pour une reprise en main des affaires de Pescatore en Floride, Joe refuse la proposition de son frère Danny de le rejoindre en Californie et devient un "Boss". Une autre histoire commence avec Cuba en point de mire.
 
 Mélodrame, fresque historique, pétri de fièvre et de désir de rédemption, le roman de Lehane ne manque pas de souffle. La réconciliation du père et du fils témoigne de la volatilité des valeurs américaines, insensibles à la porosité des frontières entre le Bien et le Mal. Danny, le premier fils a choisi le jour et la normalité blafarde que Joe considère comme une défaite. Mais qu'on devienne Dieu ou diable, rien ne se fait qu'à l'ombre du père. Et le grand roman américain ne peut être qu'un roman noir parce que la Nation s'est constituée dans le creuset d'une violence aux accents bibliques. Nocturne et criminelle, lumineuse et justicière, elle est le terreau sur lequel des cités modernes ont dressé leur puissance vers le ciel.
 
Ils vivent la nuit – Dennis Lehane – Traduit de l'américain par Isabelle Maillet – 530 pages – 23,50€ - ****
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche – 14 avril 2013