vendredi 30 novembre 2012

Tord-boyaux



 
Si par malheur vous vous retrouvez sur un banc du jardin public, dans un bus ou un wagon bondé de la SNCF avec le secret espoir de cultiver votre isolement par la lecture, vous risquez l’incident majeur. L’intrigue à base d’écolo-terrorisme et de lutte industrielle pour s’approprier la molécule d’un “sopo-laxatif à effet retard” est d’une efficacité redoutable contre la morosité ambiante et provoque des troubles associés qui vont de la franche rigolade à l’hilarité irrépressible. Les grincheux chroniques devront s’assurer qu’ils possèdent en outre “Un quart d'heure, pas plus” du même auteur, nouvelles publiées chez Librio. Indispensable mais non-remboursé.
 
 

La santé par les plantes - Francis Mizio – Après La Lune - 10€ - ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 12 septembre 1999



 

jeudi 29 novembre 2012

On ne devrait jamais quitter Montauban.



A partir d'une photo publiée dans "Sud-Ouest" en janvier 1959, Michel Boujut réinvente la vie d'une femme. Michel Boujut est mort, le 22 mai 2011.
 
   Sur Internet, la photo est de la taille d'un timbre poste. Un front qui prend le large sous une poignée de cheveux fous, les lunettes baissées sur le nez pour laisser filer un regard ironique, un sourire qui en dit long. Professeur de philo en province, architecte, médecin de famille, le portrait invite au jeu des ressemblances. Il est forcément troublant pour qui n'avait qu'un nom en tête: Michel Boujut. Le nom évoque la caresse des balais sur une caisse claire, un saxophone enroué ou la traînée floue d'un générique des années quatre-vingts, "Cinéma-Cinéma". Romancier aussi, Michel Boujut a déjà tenté chez Arléa de réanimer une image d'archive avec "Le jeune homme en colère" photographié par Paul Strand. Aujourd'hui, c'est Marie Thérèse "qui bifurqua quand sa passion pour le jazz prit une forme excessive".


 
Sur cette photo de "Sud-Ouest", on la voit aux côtés du chanteur de blues Big Bill Broonzy. Une jolie jeune femme dans un tailleur noir. Elle sourit parce qu'elle ignore encore qu'elle sera un jour l'héroïne d'un fait divers tragique. C'est cette collision entre la photo et la légende du rédacteur qui donne  envie à Michel Boujut de déchiffrer l'énigme. Marie-Thérèse était la fille d'un colonel de gendarmerie de Montauban. Une éducation sans faille et un gouffre d'ennui. 



La jeune fille épingle les interdits au revers de ses journées interminables. Le jazz sera sa subversion. Elle retrouve chez Billie Holiday une détresse qui la fascine. Elle fréquente un bras cassé qui la malmène. Il finira par tuer le patron d'une boite de jazz toulousaine. Fin de l'histoire.

La photo judiciaire interdit la profondeur de champ. Michel Boujut prend le prétexte de cette biographie romancée pour l'élargir à l'extrême. On revisite les années soixante, la guerre du swing menée par le guru totalitaire du Hot Club de France, Hugues Panassié, la lutte des classes larvée au cœur de cette affaire, le cinéma avec Gérard Barray, "chevalier de Pardaillan", la tribu des de Caunes avec le grand-père avocat, les ambiances poisseuses de Goodis, les nocturnes de Melville… Où l'on apprend avec l'âge que les femmes fatales ne le sont souvent qu'à elles-mêmes. On ne devrait jamais quitter Montauban.

La vie de Marie-thérèse - Michel Boujut - Rivages - 175 pages - 7,50€
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche - mars 2008











mercredi 28 novembre 2012

Les dames du lac

 
 
 
 
 Patrice Pelissier construit un face à face très contrasté entre un capitaine de police et un major de gendarmerie. Le flic des villes est l'archétype du héros de roman noir avec sa femme dans le coma et sa dépression très tendance. Le flic des champs cultive son côté rustique et aimerait bien comprendre pourquoi le nom de son collègue est retrouvé inscrit sur un papier dans la main d'un cadavre. Autour d'un trésor abandonné par les nazis, blotties près d'un lac dont les brumes n'exhalent que des mauvais souvenirs, les femmes de ce village provençal sont l'atout maître. Trahies, courtisées mais avares des secrets qui font le sel d'un bon suspense.

Le testament noir – Patrice Pelissier – Presses de la Cité – 290 pages – 19€ - **
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche - 25 novembre 2012



mardi 27 novembre 2012

Ça se corse!

 
 
 
Après trente ans de RG, Alex Deniger a décidé de sortir de l'ombre. Dès le prologue de son roman sur la Corse, explosif au sens propre, il fustige la fusion avec la DST. Au-delà du constat laissé aux héritiers, on découvre les limites de l'efficacité policière à enrayer la violence d'une île quand l'idéal le dispute à la cupidité des racketteurs. Beaux portraits de flics, de voyous, de clandestins et de terroristes en herbe dont les embrouilles n'ont pas fini de faire la une des gazettes.


I Cursini – Alex Deniger – Série noire Gallimard – 288 pages – 16,90€ - ***
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche - 25 novembre 2012



lundi 26 novembre 2012

Des vies sans importance




Inspiré de faits réels, le roman de Sam Hawken raconte le sort tragique des femmes de Juarez.


 
 
Cet État du Mexique a beau s'appeler Chihuahua, il n'évoque pas une seule seconde la tendresse d'un chiot dans son panier. A portée de jumelles des mirages du Nord, séparée du Texas par un fleuve au nom mythique, le Rio Bravo, Ciudad Juarez offre ses propres mirages aux hommes perdus des villes frontières. Drogue, prostitution, la balance commerciale pose des vies sur ses plateaux pour arracher un équilibre terrifiant. En dix ans, plus de quatre cents femmes ont disparu et on a créé ce mot de "feminicidios" pour qualifier les meurtres dont elles sont victimes.
 Sam Hawken leur dédie ce roman. A travers deux personnages, un boxeur américain de seconde zone et un flic mexicain alcoolique, on s'aventure d'une manière radicale sur la scène de crime. Et à y regarder de plus près, Juarez n'est que ça, une scène de crime. On y meurt pour une poignée de pesos, on y survit en lâchant ses dollars.
 Quand les "maquiladoras", usines de sous-traitance pour les Américains, maintiennent la pulsation vitale de la ville de un à trois dollars de l'heure, les narco-trafiquants viennent cueillir leurs proies aux portes du bagne. Justice, police, tout est à vendre et chacun a son prix. Les héros de Sam Hawken sont deux épaves en quête d'une rédemption impossible. Parce qu'à Juarez, les hommes et les femmes ne s'appartiennent plus, maquignons  ou détenteurs précaires d'une vie humaine dont le cours fluctue inexorablement à la baisse.

Les disparues de Juarez – Sam Hawken – Traduit de l'américain par Mireille Vignol – Belfond – 395 pages – 21€ - ***
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche - 25 novembre 2012

A lire également dans Sud-Ouest



vendredi 23 novembre 2012

Les caves de la Nation

 

 

Imaginez un pays au bord de la Méditerranée. Les plages y sont magnifiques, la jeunesse exubérante et les boites de nuit bondées. On y rit et on y danse mais plus loin sur cette avenue où une jeune fille en mini jupe se laisse bercer par la douceur du soir, se dresse un immeuble ordinaire. Dans les caves, rien ne filtre de l'insouciance des flâneries estivales. On y souffre et on y meurt. C'est Tel-Aviv. Et c'est là que le narrateur interroge avec une brutalité parfois définitive les détenus arabes.


Pour maintenir cette fiction d'un état de droit, il faut éliminer la menace terroriste, ces bombes humaines qui déambulent déguisées en juif orthodoxe. Agent des services secrets, le héros de Yishaï Sarid doit attirer en terrain neutre le haut responsable d'un de ces réseaux palestiniens. Son appât: le père de ce dernier, un poète atteint d'un cancer en phase terminale.

 Roman désespéré d'un homme de paix sur la haine irréductible qui sépare les deux peuples, "Le Poète de Gaza" laisse entrevoir une Terre promise dont les sous-sols ne produisent en secret que du sang et des larmes.

Le Poète de Gaza – Yishaï Sarid – Traduit de l'hébreu par Laurence Sendrowicz – Actes Sud – 220 pages – 20€ - ***
Lionel Germain



jeudi 22 novembre 2012

Un cadavre dans le placard

 
 
 
 
Il faut lire l'article qu'elle publia en septembre 2003 dans Haaretz, le grand journal israélien, pour comprendre qui était Batya Gour. Cette romancière d'origine ashkénaze est morte en mai 2005 et la série noire publie le dernier épisode qu'elle consacra au commissaire Ohayon, un flic sépharade. Dans l'article de 2003, elle prenait le point de vue d'un vieil arabe palestinien contrôlé abusivement par trois jeunes soldates pleines de mépris. C'est ce point de vue de l'opprimé qui caractérise toute son œuvre et cette ultime enquête où la mort soudain rôde dans les couloirs de la première chaîne de télévision publique israélienne. Magouille des intégristes religieux, crise sociale, racisme, comme dans Meurtre sur la route de Bethléem, réédité en folio, les petits fils des pionniers généreux découvrent soudain que leur nation a un cadavre dans le placard, que ce cadavre s'appelle la Palestine, et qu'il bouge encore.

Meurtre en direct - Batya Gour - Série noire Gallimard - 426 pages - 22€
Meurtre sur la route de Bethléem - Batya Gour - Folio policier - 465 pages - 7,50€
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – avril 2006



mercredi 21 novembre 2012

Femme de méninges



Le polar est un luxe littéraire et la Palestine manque de tout. Matt Rees a créé Omar Youssef pour dénoncer les travers d'une société palestinienne corrompue. C'est dans la logique du roman noir. Sauf que Matt Rees n'est pas palestinien. Jusqu'à vendredi, c'est donc du côté israélien qu'on interrogera les rapports entre les deux peuples avec les polars de Shoulamit Lapid, Batya Gour et Yishaï Sarid.

 
 
Les éditions Fayard explorent deux facettes du polar israélien en publiant les romans de Batya Gour et de Shoulamit Lapid, deux femmes nées à Tel-Aviv et qui ont créé des personnages récurrents, le commissaire Michael Ohayon pour Batya Gour et la journaliste Lisie Badikhi pour Shoulamit Lapid. Cette dernière se distingue par l’originalité de son héroïne, enracinée dans la capitale du Néguev, et dont toutes les aventures mettent en évidence un réseau familial compliqué. Intelligente, dynamique et volontaire, elle enquête ici sur des magouilles liées à la fermeture d’une usine. Un éclairage intéressant de la société israélienne.

Tempête sur Beershéva - Shoulamit Lapid - Traduit de l’hébreu par Laurence Sendrowicz - Fayard - 395 pages - 18,90€
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 6 février 2000 -

découvrir l'interview de Matt Rees pour Rue89. (vidéo de 3 minutes sur Daily Motion)



mardi 20 novembre 2012

Guerre et paix



Trophée 813 du meilleur roman étranger 2012




C'est un premier roman remarquable construit comme une tragédie shakespearienne. Gerry Fegan, sorti de prison après les accords de paix du 10 avril 1998, se coltine les fantômes des douze personnes qu'il a assassinées quand il était tueur de l'IRA. Les chiens de guerre savent rarement faire la paix et celui-ci, assailli par les ombres de ses victimes est sommé de leur rendre justice en éliminant les commanditaires. Sombre, cruel, hanté par le destin.




Les Fantômes de Belfast – Stuart Neville – Rivages thriller – 410 pages – 22 euros - ***
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche - 4 septembre 2011


A lire aussi dans ce blog, la critique du dernier roman de Stuart Neville "Collusion"



lundi 19 novembre 2012

Meurtre aux abattoirs

 
 
 
 
 
Quand ils sont réussis, les polars historiques ont cette faculté inestimable d'animer nos souvenirs d'étudiant, de donner une couleur aux mots gris des livres scolaires. Ici, on découvre le cadavre d'une femme aux abattoirs mais le Traité de Versailles sert de toile de fond aux sombres agissements d'un tueur en série qui semble avoir Clémenceau en ligne de mire. Tout nous renvoie à la grande boucherie du Siècle et on se surprend à frissonner dans l'atelier de Soutine.




Le bal de l'Équarisseur – Guillaume Prévost – 10/18 – 310 pages – 7,50€ - **
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche - 18 novembre 2012



vendredi 16 novembre 2012

Rome en noir

 
 
 
 
D'une coupe du monde à l'autre, près de vingt-cinq ans de la vie d'un flic, jeune dragueur compulsif dans la chaleur des nuits italiennes, puis sage et vieux quand il reprend l'enquête sur le meurtre d'une jeune fille, enlisée dans les non-dits de l'église et les obstructions politiques. Instrumentalisation des Roms, recherche d'un bouc émissaire pour échapper à la faillite du rêve communautaire européen, Costantini analyse avec beaucoup de finesse les menaces qu'on voit déjà s'actualiser dans les faubourgs d'Athènes.



Tu es le mal – Roberto Costantini – Traduit de l'italien par Anaïs Bokobza – Presses de la Cité – 575 pages – 23€ - ***
Lionel Germain



jeudi 15 novembre 2012

Prise de sang


 
 Patrica Parry raconte très bien ce Paris à la fois frivole et affairé de 1885. On y suit les aventures d'une belle prostituée dont le protecteur, à sa mort, formule par testament une étrange requête: qu'elle remette un petit pactole à un jeune médecin métis inconnu. Hommage à Dumas et aux révolutionnaires noirs, trahis par Bonaparte, évocation de l'esclavage, des colonies lointaines, de la condition encore effrayante réservée aux enfants pauvres que l'on saignait pour soigner les riches, le roman feuilleton est parfait.


Sur un lit de fleurs blanches – Patricia Parry – Le Masque – 570 pages – 6,90€ - ***
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche - 11 novembre 2012



mercredi 14 novembre 2012

Hymne à la joie




Une énergie mauvaise vous étreint dès les premières lignes. Il neige de la cendre et la nuit est pourtant glacée comme "les dents d'une fillette". On est à quelques encablures de Cincinnati, un endroit aussi charmant que les toilettes d'une rave partie. Pike, truand assagi et Derrick, flic enragé, se reniflent comme des fauves. Entre les deux, un gamin qui rêve avec ses poings, une gamine trahie par l'overdose de sa mère, et l'Amérique sans foi ni loi, celle des grands romans noirs.




Pike – Benjamin Whitmer – Traduit de l'américain par Jacques Mailhos – Gallmeister – 264 pages – 22,90€ - Réédition Totem Gallmeister janvier 2017 - 288 pages - 10€  ****
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche - 11 novembre 2012







mardi 13 novembre 2012

Mémoire vive

   
Le juge Galtier raconte à deux jeunes auditrices l'enquête inaboutie sur la mort d'un vieillard. En relatant le parcours d'une adolescente abandonnée dans un pensionnat suisse et celui d'un flic rusé et corrompu pendant la guerre, André Fortin comble les vides et décrit la veulerie ordinaire sans laquelle les bourreaux auraient eu la tâche moins facile. S'il ne reste au juge que des intuitions et des confidences trop tardives pour satisfaire la machine judiciaire, ce retour de mémoire édifiant sur le Marseille de l'Occupation interpelle le lecteur, et grâce au tempo singulier d'André Fortin, distille une petite musique ensorcelante et vénéneuse.


Restez dans l'ombre – André Fortin – Jigal – 262 pages – 18€ - ***
Lionel Germain - Sud-Ouest-dimanche - 11 novembre 2012



lundi 12 novembre 2012

L'arène du crime



Le héros de polar est un demi-dieu que les écrivains modernes ont arraché au ciel. Si la science espère triompher avec les précurseurs de l'enquête romanesque, la critique sociale éclairer les turpitudes d'un ordre établi ou plus récemment la béance de l'âme nous délivrer la noirceur de nos tourments intimes, c'est toujours par le biais d'une divinité masquée dont la ressemblance avec les hommes n'est qu'une ruse de poète.

Ed McBain nous avait parlé du temps élastique pour expliquer la jouvence de Carella et de ses disciples. Elizabeth George fait preuve de la même discordance des temps avec la trinité principale de son œuvre, l'aristocrate Linley, le légiste Saint-James et le sergent Barbara Havers.

  

Dans "La ronde des mensonges", c'est ce trio là qu'on trouve en première ligne d'une enquête délocalisée au cœur du Comté de Cumbria. Un homme victime apparemment d'un simple accident en rentrant d'une promenade en bateau est bientôt l'objet d'une procédure officieuse diligentée à la demande du patron de Linley. On entre donc par effraction dans la vie privée d'une riche famille où les secrets accumulés par chacun des membres pourraient bien justifier le meurtre de l'un d'eux. 




La victime, Ian Cresswell, est un homosexuel qui s'est séparé de sa femme après son coming-out. Au moment du drame, il vit avec un jeune Iranien. Son ex-épouse, à la fibre peu maternelle, cherche à lui confier ses deux enfants, Gracie, une fillette déboussolée par la séparation, et Tim, un adolescent aux rêves meurtriers qui se connecte en secret sur un site infréquentable.


Impossible de donner toutes les pistes sur lesquelles le lecteur est invité à découvrir les failles d'un univers pourtant si soucieux de convenance: rôle des tabloïds, procréation assistée, réseaux pédophiles, famille en miettes, couples mixtes ou maman juive. Une chose est certaine, Elizabeth George démontre une nouvelle fois qu'en littérature, la scène de crime est un leurre. Les mouches qui vrombissent au-dessus du cadavre ne sont pas destinées à fournir des réponses aux enquêteurs. Elles sont là pour féconder un autre monde. Et au final, dans cet effondrement de signes, il nous reste Simon, Linley et Barbara, moins pour la commodité du prochain chapitre que pour assurer au lecteur un semblant d'horizon.

La ronde des mensonges – Elizabeth George – Traduit de l'anglais par Isabelle Chapman – Pocket – 828 pages – 9,40€ - ***
Lionel Germain Sud-Ouest-dimanche - 11 novembre 2012

A lire également dans Sud-Ouest



vendredi 9 novembre 2012

Passage en revue

 
 
 
Dans ce numéro 13, c'est donc le western qui passe au scanner. Mission réussie, notamment pour cet article de Julien Vedrenne sur la femme dans le western, et avec un bémol pour l'absence remarquée d'Elmore Leonard. L'auteur de "3 heures 10 pour Yuma" (Rivages) aurait sans doute mérité un feuillet de commentaires. Autour de ce thème, on retrouve les rubriques habituelles, le cinéma, les notes de lecture de l'équipe, une interview de Michel Embarek sur les clichés auxquels n'aurait pas échappé Caryl Férey dans "Haka". Enfin signalons cette excellente initiative d'Emeric Cloche qui donne à entendre la bande son des livres.

L'Indic – N°13 – Novembre 2012 à Février 2013 – 40 pages – 5€ - ***
Lionel Germain



jeudi 8 novembre 2012

Papa Blues

 
 
 
 
 
 Jake Lamar, écrivain noir américain installé à Paris depuis une vingtaine d'années, l'avoue sans détour, il lui a fallu du temps pour comprendre les préjugés. Mais son récit est d'abord celui d'un fils essayant d'arracher au temps les secrets du père, une immersion dans le langage des signes quand les mots n'ont jamais permis de donner un sens à la violence et aux terreurs nocturnes du jeune homme. Au final, ces confessions dessinent le portrait d'une Amérique où, malgré le leurre d'Obama, les frustrations restent vivaces.

Confessions d'un fils modèle – Jake Lamar – Rivages – 252 pages – 8,15€ - ***
Lionel Germain



 

mercredi 7 novembre 2012

Du noir sur la Place Rouge





 Alexandra Marinina a été flic. C'était dans une autre vie, les camarades étaient au pouvoir et il fallait surveiller ses fesses avant d'ouvrir son cœur. Aujourd'hui que la "liberté" a triomphé partout, la Russie n'échappe pas au vent libéral qui rafraîchit ses prisons.  Et pourtant, rien n'a vraiment changé non plus dans la vie quotidienne des Moscovites, comme cette procédure de maintenance héritée des soviétiques qui oblige à couper l'eau chaude en été durant trois semaines. Dans ce roman, on suit les relations vénéneuses d'une chanteuse de rock avec un couple de bourgeois "libérés" pendant qu'un mystérieux assassin s'acharne sur ses fans. Au cœur de l'enquête, Nastia Kamenskaïa et son équipe de flics rappellent le meilleur d'Ed McBain.

Quand les dieux se moquent – Alexandra Marinina – Calmann-lévy – 456 pages – 21,90€ - ***
Lionel Germain



mardi 6 novembre 2012

Un père et manque

 
 
 
 
Après dix-huit ans passé en prison pour avoir assassiné les bourreaux de sa fille, un homme adresse à celle-ci une longue lettre de justification. Ou comment faire émerger peu à peu les failles tragiques d'une éducation jugée irréprochable. Avec ces petits polars à neuf euros, les Presses de la cité tentent de retrouver la formule des collections populaires. Cette réédition d'un roman paru en 1995 sent un peu la naphtaline mais la narration resserrée tient la route et la chute inattendue permet d'ouvrir bien des débats.

Le fossé – Hervé Jaouen – Presses de la Cité – 157 pages – 9€ - **
Lionel Germain



 

lundi 5 novembre 2012

Une femme en cavale

 
 
 
 
 
Sinead McKeown est en cavale après l'assassinat de son mari. Pour la police irlandaise, elle est la coupable idéale à cause de ses liens supposés avec l'IRA. Après avoir repêché dans la Seine un SDF dont le cadavre semble irradié, le policier Raphaël Zeck croisera la route de cette jeune femme, traquée et combattive. Scénario à gros budget, voyage au bout de l'horreur des manipulations scientifiques, Jérôme Delafosse garde la main sur ses personnages. Suspense efficace et dépaysement garanti.


Les larmes d'Aral – Jérôme Delafosse – Robert Laffont – 454 pages – 21,50€ - **
Lionel Germain - Sud-ouest-dimanche - 4 novembre 2012



vendredi 2 novembre 2012

New-York: Société Anonyme


  
L'ouragan Sandy a plongé une partie de New-York dans le noir. Au fil des reportages, on nous a présenté une ville solidaire où la débrouille et l'esprit pionnier triomphent de l'adversité. Un récit édifiant que s'emploient à déconstruire Jess Walter dans son roman sur le 11 septembre, et Ellory, sur la légendaire police de New-York.

 

 Il y a bien-sûr la boule de feu qui obscurcit le ciel, le nuage de poussière, la foule, les pompiers survivants aux gueules noircies comme des mineurs après un coup de grisou. Il y a la chanson de geste avec ses héros et ses martyres. En reprenant l'histoire quelques jours après le drame du 11 septembre, Jess Walter déconstruit le récit officiel et convoque la mort, jamais visible et l'odeur de la mort qui bute sur nos écrans.
 Son héros, Brian Remy, est un flic blessé dont la conscience a des trous d'air. Au point qu'il doute de la réalité d'une mission qu'on lui confie dans le plus grand secret: rechercher une jolie jeune femme de 26 ans parlant le grec, l'arabe et le farsi, disparue après le crash mais suspectée de ne pas être la 23ème victime de son entreprise. Ce sont évidemment ses liens avec un expatrié Saoudien qui alimentent les soupçons des enquêteurs. Se dessine peu à peu le portrait d'une société délirante et cupide, pressée de nettoyer la zone et de fourguer l'acier aux mafias locales. Brian Remy n'a plus de mémoire mais son amnésie s'insère parfaitement dans la paranoïa institutionnelle. La bannière étoilée apparaît alors comme le logo d'une entreprise dont les milliers de succursales se livrent à une compétition féroce pour arracher le marché de la perpétuation du mythe. Dans la béance sucrée du rêve, Jess Walter orchestre le bal tragique des petits actionnaires.

Le Zéro – Jess Walter – Rivages – 314 pages – 21,50 euros - ****
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 5 février 2012



LES BELLES HISTOIRES DE L'ONCLE SAM

 
 

Dans le dictionnaire du crime, ils ont une proximité alphabétique troublante. Mais le très Britannique Ellory et l'Américain Ellroy n'ont pas qu'une anagramme en commun, ils ont aussi un territoire romanesque peuplé de personnages cabossés affrontant le revers des mythologies. Quand Ellory brosse une histoire de la police new-yorkaise, c'est pour en finir avec les légendes colportées lors des cérémonies officielles. Les belles histoires sont rarement vraies.
 D'ailleurs à New-York, les Anges, c'est le nom qu'on donnait aux flics dans les années cinquante, l'époque où la mafia passait la surmultipliée avec le contrôle du fret aérien. Le héros, Frank Parish est un flic solitaire, divorcé et en demi-solde après la mort en mission de son partenaire. Son père était une légende vivante dans les années soixante et c'est bien-sûr chez le psy qu'il brise l'idole en retraçant les liens d'affaires qu'entretenait le crime organisé avec les différents services de police. Même s'il y a quelque chose d'un peu convenu désormais dans sa façon de construire ses intrigues, Ellory réussit parfaitement à mener de front les rapports compliqués d'un fils avec son père et le récit de l'enquête en cours qui plonge au cœur du mal, là où l'innocence fait naufrage et où comme le chante si bien Tom Waits, on ne trouve pas forcément le diable mais peut-être "Dieu quand il est soûl".

Les Anges de New-York – R.J. Ellory – Traduit de l'anglais par Fabrice Pointeau – Sonatine – 554 pages – 22,30 euros - ***
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 18 mars 2012



jeudi 1 novembre 2012

Les saints vont en enfer



Si pour Cesbron, l'enfer est à nos portes, dans la brutalité d'une condition terrestre que les plus pauvres ont en partage, les polars comme celui de Karim Madani ne nous délivrent pas du Mal.



La ville qui ne dort jamais, balafrée de néons, trempée d'une flotte maussade, accrochée aux flancs des buildings, avec ses putes, ses camés et ses flics comme Paco Rivera qui tête son sirop pour la toux, c'est Arkestra. Madani mêle habilement nos souvenirs de vieux films noirs et la mythologie urbaine des super-héros pour construire sa variation parfois brillante, parfois déconcertante sur le thème du flic dépressif à la recherche d'une rédemption.



Le jour du fléau – Karim Madani – Série noire Gallimard – 297 pages – 13,90 euros - **
Lionel Germain – Sud-Ouest-dimanche – 19 février 2012