lundi 12 novembre 2012

L'arène du crime



Le héros de polar est un demi-dieu que les écrivains modernes ont arraché au ciel. Si la science espère triompher avec les précurseurs de l'enquête romanesque, la critique sociale éclairer les turpitudes d'un ordre établi ou plus récemment la béance de l'âme nous délivrer la noirceur de nos tourments intimes, c'est toujours par le biais d'une divinité masquée dont la ressemblance avec les hommes n'est qu'une ruse de poète.

Ed McBain nous avait parlé du temps élastique pour expliquer la jouvence de Carella et de ses disciples. Elizabeth George fait preuve de la même discordance des temps avec la trinité principale de son œuvre, l'aristocrate Linley, le légiste Saint-James et le sergent Barbara Havers.

  

Dans "La ronde des mensonges", c'est ce trio là qu'on trouve en première ligne d'une enquête délocalisée au cœur du Comté de Cumbria. Un homme victime apparemment d'un simple accident en rentrant d'une promenade en bateau est bientôt l'objet d'une procédure officieuse diligentée à la demande du patron de Linley. On entre donc par effraction dans la vie privée d'une riche famille où les secrets accumulés par chacun des membres pourraient bien justifier le meurtre de l'un d'eux. 




La victime, Ian Cresswell, est un homosexuel qui s'est séparé de sa femme après son coming-out. Au moment du drame, il vit avec un jeune Iranien. Son ex-épouse, à la fibre peu maternelle, cherche à lui confier ses deux enfants, Gracie, une fillette déboussolée par la séparation, et Tim, un adolescent aux rêves meurtriers qui se connecte en secret sur un site infréquentable.


Impossible de donner toutes les pistes sur lesquelles le lecteur est invité à découvrir les failles d'un univers pourtant si soucieux de convenance: rôle des tabloïds, procréation assistée, réseaux pédophiles, famille en miettes, couples mixtes ou maman juive. Une chose est certaine, Elizabeth George démontre une nouvelle fois qu'en littérature, la scène de crime est un leurre. Les mouches qui vrombissent au-dessus du cadavre ne sont pas destinées à fournir des réponses aux enquêteurs. Elles sont là pour féconder un autre monde. Et au final, dans cet effondrement de signes, il nous reste Simon, Linley et Barbara, moins pour la commodité du prochain chapitre que pour assurer au lecteur un semblant d'horizon.

La ronde des mensonges – Elizabeth George – Traduit de l'anglais par Isabelle Chapman – Pocket – 828 pages – 9,40€ - ***
Lionel Germain Sud-Ouest-dimanche - 11 novembre 2012

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