mercredi 31 août 2022

Nous nous battrons avec nos rêves



Véritable manifeste du premier salon de l’imaginaire en Nouvelle Aquitaine, le festival Hypermondes qui s’est tenu à Mérignac à l’automne 2021, ce gros recueil placé sous le patronage symbolique du charentais Régis Messac et du périgourdin Michel Jeury propose des fictions oubliées, des relectures contemporaines du mythe des robots, et surtout de passionnants entretiens avec des chercheurs bordelais, l’astrophysicien Franck Selsis, le mathématicien Olivier Ly ou l’universitaire Natacha Vas-Deyres, mais aussi des gens du livre: notre région, la plus grande de France, est la deuxième en nombre d’éditeurs.


Hypermondes # 01 Les robots - Anthologie présentée par Fabrice Carré et Alexandre Marcinkowski - Les moutons électriques - 352 pages - 17€ - ***
François Rahier




mardi 30 août 2022

Amour en mer




C'est pas l'homme qui prend la mer, dans le roman d'Élisa Vix, c'est la mère qui prend l'homme. Une histoire d'amour en cascade avec mademoiselle Rose en fin de parcours. Une jeune femme si belle que Lancelot, pas celui du Lac mais un beau gosse de Martinique couvé par sa propre mère, en tombe raide dingue. Et voilà que Rose est clouée au lit d'un hôpital au dernier stade d'une leucémie dont seule une greffe de moelle osseuse pourrait contrer l'issue fatale. 




Élisa Vix nous entraîne dans un mélo à suspense à travers les Océans à la recherche du père biologique de Rose. "Qui voit Ouessant voit son sang" murmure la lande bretonne. Les naufrageurs de l'amour devront s'en souvenir.

Qui voit son sang – Élisa Vix – Rouergue – 208 pages – 18,50€ - *** 
Lionel Germain




Mûrir en cave


Proche de l'Écossais Rankin ou de l'Anglais John Harvey, dont les héros à la retraite s'autorisent quelques tours de piste pour débusquer les criminels, Arnaldur Indridason a eu son heure de gloire avec son personnage de flic Erlendur


Personnage tourmenté par son rapport avec son frère disparu, il s'est effacé désormais dans la production romanesque de l'auteur au profit de Konrad, un policier à la retraite dont les stigmates n'en sont pas moins douloureux. Un père assassiné dans sa jeunesse le contraint à interroger cette histoire ancienne entrée en collision avec une autre affaire de cadavre planqué au fond d'une cave. Et le procédé littéraire ne change pas: le passé dissimule des failles béantes où les personnages se perdent.




Le mur des silences – Arnaldur Indridason – Traduit de l'islandais par Éric Boury – Métailié noir – 320 pages – 22€ - ***
Lionel Germain



 

vendredi 26 août 2022

Sterling se livre


Vous pouvez l'appeler Hans, mais son vrai nom c'est Hans Solo. Il a généralement la queue dressée et les oreilles en arrière. Rassurez-vous ce n'est qu'un chat. Celui de Sterling, capitaine de police au 3ème DPJ de Paris. 



Et comme le dit Jean Cocteau en tête de chapitre: “si je préfère les chats aux chiens, c'est parce qu'il n'y a pas de chats policiers.” À quarante ans, Sterling est déjà un de ces flics de fiction fatigués. Serial tombeur de jolies filles qu'il abandonne à l'aube, le voilà sur les traces d'un autre amateur de séries, mortelles celles-là. Un bon polar bien rythmé, ponctué de pensés profondes ou malicieuses chuchotées par Pindare, Foucault, Arletty et Woody Allen. Elles éclairent un héros plutôt sombre et tourmenté. 



Le chat qui ne pouvait pas tourner – Anne Dhoquois – Equinox Les Arènes – 336 pages – 14€ - **
Lionel Germain



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jeudi 25 août 2022

Les rues de Sumatra


On lui doit "Les Petites filles" qui a obtenu le Prix du Polar Historique et le Prix Sang d'encre des lycéens, Julie Ewa utilise aujourd'hui encore la fiction pour nous décrire le versant criminel de l'archipel indonésien.



En Indonésie, c'est le ministre des Affaires sociales qui l'affirme, il y aurait "plus de 16 000 enfants qui vivent dans la rue." Julie Ewa a passé un an dans ce pays où la sensibilisation à ce drame de la misère l'a conduite aux côtés du système associatif à raconter cette histoire. Celle d'une gamine qui en voulant échapper au dénuement de sa famille devient la cible des prédateurs dans les rues de Sumatra. 





Jungle pourpre – Julie Ewa – Albin Michel – 384 pages – 20,90€ - ***  
Lionel Germain





mercredi 24 août 2022

Glissements progressifs du réel



Dick, perdant magnifique, nous a quittés il y a quarante ans. De nouvelles traductions permettent aujourd’hui de redécouvrir son œuvre, dont ce roman est peut-être la pierre angulaire. Sur fond d’entropie galopante, des télépathes pirates dotés de pouvoirs pré-cognitifs déroutants, manipulent le temps et l’espace au chevet de morts maintenus en semi-vie dans des caissons cryogéniques. Ce feu d’artifice fictionnel qui se joue des points de repère du lecteur, instille un doute térébrant et jouissif, entre pataphysique et expérience religieuse. Mais qu’y a-t-il derrière le réel?



Ubik - Philip K. Dick - Traduit de l'américain par Hélène Collon - Postface de Laurent Queyssi - J'ai Lu - Nouveaux millénaires - 254 pages - 18€ - ****
François Rahier



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mardi 23 août 2022

A nuit ouverte


Quand le compagnonnage des morts est plus bruyant que celui des vivants, il est peut-être temps, comme le narrateur de la première nouvelle, de suivre le battement d'ailes d'un papillon pour s'écarter des sentiers battus. 



Tout Pascal Dessaint s'exprime dans cet art de la digression champêtre. Elle dissimule avec courtoisie un trésor de noirceur. La nouvelle, c'est aussi l'art de l'ellipse et l'auteur y excelle. Une femme contemple avec tendresse l'érection de son compagnon. Et après? Dieu a raté son casting pour la planète. "Jusqu'ici tout va mal", la faune et la flore disparaissent, le parfum des cimes ne sera bientôt qu'un souvenir, et le pire n'est plus à craindre, il nous ouvre sa nuit.




Jusqu'ici tout va mal – Pascal Dessaint – Éditions La déviation – 146 pages – 12€ - ***
Lionel Germain




lundi 22 août 2022

Entrez dans la danse


Morguélen, ça rime avec morgue pleine. Autour de cette île bretonne assaillie par les vents et la mer, on ne peut cauchemarder que sur des intrigues qui vous trempent jusqu'aux os. Nicolas Lebel s'amuse avec l'Histoire (on cavale après les fantômes de la guerre yougoslave), avec son héroïne Yvonne Chen (elle a du monde aux fesses depuis le précédent épisode), et avec le lecteur (celui qui a lu Tintin et apprécié Fu Manchu). Les Furies, cette organisation qui rend une justice expéditive, pourraient bien vouloir recruter Yvonne Chen. Mais le feuilletonniste a quelques mesures d'avance sur les danseuses du destin. Réjouissant.


La Capture – Nicolas Lebel – Le Masque – 396 pages – 21,90€ - *** 
Lionel Germain



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lundi 8 août 2022

Confluence identitaire


Si vous voulez comprendre le "problème" de l'allégeance contestée, lisez ce livre. De ma terre natale, je n'ai nul besoin de me justifier pour en parler. Nul besoin de me justifier pour en contester certaines règles. Mais la contestation ne vient pas de moi, dit Ayad Akhtar, elle irradie le regard que vous posez sur moi, elle suinte par les plis les plus blancs de ce drapeau largement métissé de toutes les couleurs qui se sont épuisées à le défendre. Originaire du Pakistan par un père dont le premier des paradoxes le convertit en admirateur de Trump, l'auteur interroge dans ce livre une identité américaine à jamais transformée le 11 septembre 2001. 



Pour se dessaisir du vertige où l'entraîne l'effondrement des tours, Ayad Akhtar revisite l'histoire de sa famille à travers la partition de l'Inde et le souvenir des affrontements entre Musulmans et Hindous, ne pose aucun tabou sur aucun sujet, critique l'Islam et l'impuissance des Musulmans à relever les défis d'une modernité qui doit s'affranchir du religieux, mais critique aussi ce pseudo paradis des libertés où pourtant l'intolérance affleure, où la violence du capitalisme abandonne sur le parvis des banques des milliers de victimes. 


Le père faussement laïc, l'oncle porteur d'une sagesse traditionnelle et la mère qui rêve d'un retour au "pays" sont les trois facettes d'un questionnement que "l'Américain" cherche à résoudre. Il y a le sexe, un au-delà du sexe comme celui qu'éprouvait le "nègre" Chester Himes avec ses compagnes "blanches". Ayad reconfigure le logiciel de la domination sans bien-sûr apaiser sa colère.

"Terre natale" est un roman parfois bouleversant mais d'abord d'une extrême lucidité sur le rapport aux différences dans un monde pétri de valeurs constamment bafouées. Un jour l'écrivain répond aux questions du public, et il y a celle-ci qui finit par arriver: puisque tant de choses vous déplaisent, pourquoi vous ne partez pas? 

"Je suis ici parce que je suis né et que j'ai grandi ici. C'est ici que j'ai vécu toute ma vie. Pour le meilleur et pour le pire – et c'est toujours un peu des deux -, je ne veux être nulle part ailleurs. Je ne l'ai même jamais envisagé. L'Amérique est mon pays."

Terre natale – Ayad Akhtar – Traduit de l'américain par Anne Rabinovitch – Fayard – 410 pages – 22,90€ - *****
Lionel Germain