mercredi 29 janvier 2025

Shelley contre Kraemer

 
"L'arrêt rendu par la Cour suprême il y a 75 ans a aboli toutes les conventions et restrictions raciales et ethniques dans la vente des biens. À partir de ce moment-là, les Juifs, les Noirs, Les Chinois, tout le monde a eu le droit d'acheter ce qu'il voulait et de vivre où ça lui plaisait. Cela dit, bien sûr, ça demandait encore beaucoup de courage de le faire. Cette même année-là, Nat King Cole a acheté une maison à Hancock Park et des racistes ont mis le feu à une croix du Ku Klux Klan sur sa pelouse."




Sans l'ombre d'un doute - Michael Connelly – Traduit de l'américain par Robert Pépin – Calmann-Lévy noir – 450 pages – 22,90€ - ***


Sur le site de l'éditeur



Port de la glace


Que fait ce tronc humain démembré dans les filets des pêcheurs de ce petit village du nord de l’Islande? Alors qu'un ferry danois vient juste d’accoster, une violente tempête de neige va isoler le bourg du reste du pays. Routes, voies navigables et aériennes, tout est paralysé. Peu à peu, la peur gagne les habitants, la petite ville plonge dans une ambiance de fin du monde et bascule dans le chaos.

Thriller polaire sur le huis clos et ses effets anxiogènes, Trapped est une série classique mais efficace, avec ses énigmes entrecroisées, son climat austère et oppressant et des scènes rappelant parfois Bergman.  

Andi Olafson, en chef de police taciturne, mène l’enquête à la tête d'une petite équipe (Hinrika et Asgeir), plus habituée aux contraventions qu’à la chasse aux criminels. Dans les paysages sublimes et grandioses de l’Islande, on trouve là des personnages, typés, des "gueules", avec leurs faiblesses et leurs souffrances, et on n'hésite pas une seconde à enfiler une parka rembourrée pour se fondre dans le décor.

Trapped – VIVA by VIDEOFUTUR VOD, Bbox VOD - ****
Créée par Baltasar Kormákur
Avec Ólafur Darri Ólafsson, lImur Kristjánsdóttir, Ingvar Eggert Sigurðsson, Nína Dögg Filippusdóttir, Baltasar Breki Samper
Alain BARNOUD






mardi 28 janvier 2025

Des nouvelles du futur


Trois nouvelles atypiques d’un auteur américain d’origine taïwanaise, né à Los Angeles en 1976, Charles Yu. En 2006, la National Book Foundation l’avait désigné comme le "plus grand écrivain de moins de 35 ans" des États-Unis. Romancier et scénariste pour la TV, il est l’auteur en particulier de Chinatown intérieur (J’ai lu, 2022) et du Guide de survie pour le voyageur du temps amateur (Folio, 2017).
 

Les trois textes que propose ce recueil sont autant de variations douces-amères sur la condition humaine… ou post-humaine. Qu’on soit la dernière personne sur une Terre devenue un magasin de souvenirs, des avatars sans âmes tournant sans fin sur le manège de la vie ou ce personnage un peu falot balloté entre les objurgations absurdes de sa psychothérapeute, c’est la perte d’identité, le grand danger des sociétés modernes, que pointe l’auteur, quelque part entre la chanson de Malvina Reynolds "Little boxes" (Petites boites) popularisée par Pete Seeger, et en France par Graeme Allwright, ou le cocasse tragique des pièces de Ionesco. 


Un entretien avec l’auteur conclut le recueil. Charles Yu y témoigne de cette difficulté souvent ignorée chez nous: être un américain d’origine asiatique dans un pays dominé par l’opposition des Blancs et des Noirs fait de vous automatiquement un "personnage secondaire".

Seule sur Terre - Charles Yu – Traduit de l’anglais (États-Unis) par Thibault Eliroff et Aurélie Thiria-Meulemans – Fiction/Aux forges de Vulcain - 140 pages - 16 € - **
François Rahier




lundi 27 janvier 2025

"Osez Joséphine!"


Sur le Spirit of Ulysse, on s'apprête à vivre une croisière mouvementée en compagnie de Joséphine, chanteuse préposée aux animations. Le paquebot crache son mazout de Barcelone à Cagliari et malgré un affichage publicitaire vantant ses prétentions écologiques, sa principale raison d'être clignote dans ses entrailles où les boutiques aimantent les cartes bleues avec une voracité sans limite. L'héroïne de Vincent Maillard, très critique sur l'entreprise, en a quand même profité pour inviter sa famille à un tarif de basse saison réservé aux parents du personnel. 




Mais si son père, sa mère et son jeune frère se retrouvent à bord, c'est aussi pour communier dans le souvenir de Baptiste, le frère aîné disparu en montagne. Chaque année, la tribu se reforme le 8 juillet pour évoquer l'accident d'escalade survenu dans les gorges de l'Ardèche. Ce moment d'émotion, Vincent Maillard le dépouille de tout pathos grâce à ce personnage survitaminé, borderline et plein d'humour.



"Jusqu'au collège, j'ai détesté mon prénom, ce truc de vioque dont mes parents m'ont affublée en mémoire d'une tante – bonjour l'audace. Ensuite, avec la chanson de Bashung, je me suis réconciliée avec lui et, lui et moi, on a commencé à se mettre d'accord pour dire: je m'appelle Joséphine et je vous emmerde."

Un soir, un homme a le malheur de draguer Joséphine alors qu'il est avec une autre femme. Et cette autre femme se suicide un peu après en passant par-dessus le bastingage. L'enquête écarte la possibilité d'un meurtre mais elle renvoie Joséphine à un questionnement sur l'identité de cette passagère. 

Toute la magie du polar se concentre autour des raisons qu'elle pouvait avoir de rencontrer Joséphine, autour du vol en spirale du milan royal, d'une grand-mère obstinée, de la chute de Baptiste sur les falaises ardéchoises, et de ce qu'on devine sans pouvoir le comprendre avant les dernières pages. Osez Joséphine.  

La spirale du milan royal – Vincent Maillard – Philippe Rey – 304 pages – 21€ - ***  
Lionel Germain


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mercredi 22 janvier 2025

Filer à l'anglaise


Une dernière comédie noire où le noir l'emporte sur la comédie, c'est le cadeau que nous laisse Élie Robert-Nicoud, disparu en 2023. Un polar à la Louis Sanders, avec ses Anglais exilés en Dordogne et ses personnages jamais très sympathiques.




À la mort de Michel, son copain Gilbert découvre une fortune inespérée sur laquelle il fait main basse après avoir dissimulé le corps dans le congélo. Le genre de bonne idée promesse de lendemains tourmentés, notamment avec les voisins british qui ont délocalisé leurs propres ennuis. La morale n'est pas sauve, le rire est amer, et l'argent ne fait pas le bonheur.




L'argent de mes amis - Élie Robert-Nicoud – Rivages – 208 pages – 19,80€ - ***  
Lionel Germain




Au pays des merveilles de Lou


"Dans la tire qui mène à Hollywood, vous savez bien qu’il faut jouer des coudes", c’est ce que pense Lou Simms (Kiernan Shipka), énième papillon attiré par les lumières de la Cité des Anges. Un scénario certes pas très original, mais une "revisite" intéressante, façon côte ouest, du "Diable s’habille en Prada". Petite colombe naïve, Lou débarque en stage dans le célèbre studio Fountain Pictures, dirigé d’une main de fer par sa PDG Joyce Holt (Diane Kruger). Son admiration pour elle tourne progressivement à l’obsession, et elle est prête à tout pour devenir l’intime de son idole. Perdant son aspect candide, Lou va se révéler intrigante, et manipulatrice.

Pas de message réellement fort – sexisme, misogynie, homophobie et racisme, autant de thèmes effleurés dans une intrigue qui préfère le climat toxique des complots, trahisons et vengeances. Diane Kruger s’impose en femme de pouvoir glaciale, Donald Sutherland incarne à la perfection Redmond Isaacs, vieux producteur grabataire misogyne, vulgaire et pervers. Quant à la jeune actrice Kiernan Shipka, elle confirme le talent naissant aperçu dans "Mad Men" en fille de Don Draper. Alors, go west!

Swimming with sharks – Paris Première, Canal+ VOD - ***
Créée par Kathleen Robertson – Réalisée par Tucker Gates
Avec Diane Kruger, Kiernan Shipka, Donald Sutherland, Dekker Thomas
 
Alain Barnoud






mardi 21 janvier 2025

À coudre et en découdre




Dans son dernier polar, Hervé Commère enquête sur les coulisses de l'industrie textile et propose un personnage de flic dissident reconverti en gros bras d'un lobbyiste européen. Étienne, sale type adorable, père de famille comblé mais sans état d'âme, noue une liaison clandestine avec Anna, une amie d'enfance. Sa femme en rémission d'un cancer n'a pas quitté sa chambre d'hôpital qu'il est déjà dans celle de sa maîtresse. Pas pour longtemps.
 



Après l'amour, Étienne sort de la douche, découvre qu'on  a assassiné Anna, et disparaît rapidement pour échapper aux enquêteurs. C'est au cours de cette cavale que le vilain "dur-à-cuire" va devoir s'intéresser à la mission secrète d'Anna la journaliste et nous dévoiler les dessous d'Elbeuf, ville meurtrie par les mauvaises pratiques de l'industrie textile

Hervé Commère s'est beaucoup inspiré du travail de Florence Aubenas pour dessiner le personnage d'Anna. Et on s'en doutait, le méchant des premiers chapitres est certainement quelqu'un de bien.

Dernier cri – Hervé Commère – Fleuve noir – 480 pages – 21,90€ - ***
Lionel Germain


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Il était une fois la BD populaire


Boostée par l’essor économique du textile pendant la révolution industrielle, Tourcoing est encore dans les années 1950 une métropole florissante. Elle a connu aussi un certain âge d’or de la BD. 



Fondée par Émile Keirsbilk, la maison Artima y publie alors une cinquantaine de titres de bandes dessinées chaque mois tirant parfois jusqu’à 100.000 exemplaires, des petits formats aux couvertures criardes vilipendés par les censeurs de tous bords, qui faisaient pourtant le bonheur de leurs jeunes lecteurs friands de westerns ou de SF. Mais la dure loi du marché oblige Artima à licencier ses dessinateurs maison, presque tous français, pour se lancer dans la traduction de comics américains, avant de sombrer dans l’oubli. 



C’est cette histoire contrastée que raconte l’historien Benoît Bonte dans un livre passionnant et richement illustré. Nostalgie assurée.

Planète Arédit - L’aventure d’Artima-Arédit vécue de l’intérieur - Benoît Bonte - PLG/Néofélis - 431 pages - 32 € - ****
François Rahier - Sud-Ouest dimanche - 15 décembre 2024



lundi 20 janvier 2025

La fabrique du cauchemar


L'Histoire a souvent un caractère imprévisible quand elle se fait sous nos yeux. Peu de spécialistes du Moyen-Orient auraient pu parier par exemple sur une chute aussi rapide et spectaculaire du régime syrien. Dans son dernier roman écrit avant le coup de force contre la dictature, Pierre Pouchairet met en évidence les turpitudes des mafias au pouvoir à Damas, notamment à travers le trafic de Captagon, cette "drogue du djihadiste" dont on découvre la menace qu'elle représente pour les sociétés occidentales.

"Pour produire le Captagon, le labo avait besoin de précurseurs, ils provenaient d'Inde ou d'Amérique du Sud, mais il y a eu une rupture des approvisionnements. Et ils se sont tournés vers la Russie… De l'armée, elle est passée à des gens issus des services secrets et avec eux des Russes."




Grâce à Maïssa Thabet, son personnage de policière franco-palestinienne déjà rencontrée dans les premiers polars de l'auteur, le roman nous dévoile les enjeux géopolitiques de l'entreprise criminelle. Une fabrique du cauchemar qui contraint la jeune femme à endosser le costume de l'espion et de risquer sa vie au cœur de la poudrière du Moyen-Orient.
 



Pierre Pouchairet a été longtemps flic à la police judiciaire, chargé de la lutte contre le trafic de drogue, puis officier de liaison de l'Office des Stups à Beyrouth et à Ankara. Pour ce roman, "Captagonia", il a obtenu en 2024 le prix décerné par L'AASSDN, l'Amicale des Anciens des Services Spéciaux de la Défense Nationale. 

Captagonia - Pierre Pouchairet – La Manufacture de livres – 224 pages – 20,90€ - ****
Lionel Germain




jeudi 16 janvier 2025

Keys largués


Retour gagnant pour les créateurs de "Damages" avec "Bloodline" (3 saisons), nouvelle saga familiale. Les Rayburn ont trois fils, deux filles, et un hôtel de luxe, la Rayburn House, résidence de style planteur. Pour l’anniversaire des 45 ans de l’établissement, le patriarche Robert (Sam Shepard) et son épouse Sally (Sissy Spacek) organisent une grande fête coïncidant avec le retour dans les Keys de Danny (Ben Mendelsohn), le mouton noir de la famille.

Entre drame, enquêtes policières et judiciaires,"Bloodline" nous dévoile peu à peu les tourments intérieurs des trois frères et de la sœur. Pour éviter l'explosion du clan, ils vont devoir s’unir et surtout mentir à la police.

Violences paternelles, filiations obscures, noyade d'une des sœurs, trafic de drogue… Meg (Linda Cardellini) l'avocate ambitieuse et John (Kyle Chandler épatant),le shérif de la fratrie, tentent par tous les moyens d’endiguer les flots d’évènements contraires, jusqu’à ce qu’une réplique de la tragédie initiale vienne à nouveau tout bouleverser.

"Bloodline"  dessine avec succès des portraits contrastés: celui moralement irréprochable de John (le shérif narrateur) et sa part d’ombre, ou encore la personnalité anxieuse et paranoïaque du dernier frère (Norbert Leo Butz).  De quoi embarquer volontiers pour ce petit paradis tropical de l’archipel des Keys, au sud de la Floride. 

Bloodline – Netflix (VOD) - ****
Créée par Todd A. Kessler, Glenn Kessler et Daniel Zelman
Avec : Kyle Chandler, Ben Mendelsohn, Sam Shepard, Sissy Spacek, Linda Cardellini, Norbert Leo Butz

Alain Barnoud






mercredi 15 janvier 2025

Demain les pieuvres ?


L’intérêt récent des neurosciences pour le poulpe bouleverse nos certitudes touchant le comportement animal. Cet invertébré va bientôt bénéficier de la même protection juridique que les souris et les singes utilisés dans la recherche. Et la découverte en 2023 au large des côtes australiennes d’une sorte de ville sous-marine où les poulpes paraissent entretenir des relations sociales peut enflammer les esprits – ou suggérer à des auteurs de SF de passionnantes expériences de pensée. 


"La Montagne dans la mer", thriller environnemental situé dans un futur probable à la géopolitique délabrée par le changement climatique et les conflits locaux, met en scène une biologiste et un androïde enquêtant sur une zone interdite où se développe une forme d’intelligence extrahumaine. Menace? Promesse? Des questions vitales pour l’auteur, Ray Nayler, Américain né au Canada et chercheur spécialisé dans l’observation océanique et atmosphérique. 



On retrouve un autre avatar du Kraken dans "Octopus" de Xavier Müller, roman catastrophe conjuguant montée des eaux, pollution au plastique et mutation inattendue du genre qui va s’attaquer aux humains et menacer la planète. 


Les deux romans, pour surprenantes qu’elles soient, fondent leurs hypothèses sur les données actuelles de la science: les pieuvres sont des animaux sentients qui possèdent une mémoire et sont capables d’éprouver des émotions transmises par homochromie grâce aux millions de cellules colorées que recèle leur peau. De là à conjecturer un langage et imaginer une pierre de Rosette pour le décoder?

La Montagne dans la mer - Ray Nayler - Traduit de l’anglais par Henry-Luc Planchat - Le Bélial’- 429 pages - 24,90€ - *** - 
Octopus - Xavier Müller - XO éditions - 396 pages - 21,90€ - **

François Rahier




mardi 14 janvier 2025

De vie et de mort


Dans un bled perdu de Caroline du Nord, Ron Rash éclaire un arrière-plan de funérailles où le cimetière n'accueille que des fantômes. Blackburn, le croque-mort est lui-même un avatar de Quasimodo, boiteux et défiguré après une polio. Il veille à la demande d'un riche propriétaire sur la sépulture de Noémie, jeune fille pauvre qui a un jour croisé la route de Jacob, fils de famille trop bien nanti. 




Le roman nous raconte le destin tragique d'une mésalliance. Coupables d'une machination aberrante que Ron Rash réussit à rendre crédible, les parents de Jacob achèteront le silence du père de Noémie en le contraignant à s'exiler avec sa fille pendant que Jacob fait la guerre en Corée. Pour chacun des amoureux, on inventera la mort de l'autre. Et Blackburn sera le gardien d'un tombeau déserté. 



Malgré l'âpreté du décor de Blowing Rock, malgré la férocité de l'intrigue, une incroyable douceur émane de ce roman noir porté par la générosité du croque-mort. 

Une tombe pour deux - Ron Rash – Traduit de l'américain par Isabelle Reinharez – Gallimard La Noire – 302 pages – 20€ - ****– 
Lionel Germain



lundi 13 janvier 2025

Passion de famille


Michel Quint n'a pas faibli depuis "Billard à l'étage", Grand Prix de littérature policière en 1989. Après la consécration pour ses "Effroyables jardins", adapté au cinéma par Jean Becker, il s'est mis en retrait de la fabrique industrielle du genre, pour nous offrir un travail d'artisan. Un roman du Nord dont l'intrigue pleine de tendresse commence pourtant dans la fureur d'un home-jacking. 



Autour d'un couple en construction, Henri et Violette, on s'affaire dans une maison d'hôtes qui ressemble aux pensions de famille du siècle dernier. Ida, l'écrivaine aux tenues affriolantes, Edouard, le gominé représentant en monte-escalier, les Belsunce, propriétaires d'un bar-tabac à Avignon, et l'inquiétant voisin, Abel, poète sentencieux qui refait le monde, toute une micro-société prête à basculer dans le drame. Du polar cousu main pour l'atelier d'excellence de Serge Safran.


Et ma vie pour tes yeux… - Michel Quint – Serge Safran éditeur – 160 pages – 18,90€ - ***  
Lionel Germain



 

mercredi 8 janvier 2025

Tango sur le Bassin


Invité à plusieurs reprises du Prix des Lycéens organisé par la commune de Gujan-Mestras, Frank Andriat avait promis de revenir sur le Bassin d’Arcachon, ne serait-ce qu’à travers un roman. C’est chose faite, avec "Les Silences de Buenos Aires". 

La terreur dans laquelle vit le peuple argentin au début des années de plomb est au cœur du roman. Le sinistre général Videla y est au pouvoir depuis 6 ans. Le 24 mars 1982 une jeune avocate est assassinée à Buenos Aires, en pleine rue, sous les yeux de sa fille Lola âgée de sept ans. Partout des morts, des disparus, et ces "Mères" de la place de Mai qui défilent et manifestent en demandant Justice et Vérité. 




Désespéré, Rodolfo, le père de la petite Lola, quitte l’Argentine pour la France. Ils s’installent à Gujan-Mestras: "L’air y était capricieux et les allers-retours de la mer comme un mouvement de tango lui rappelaient l’Argentine". Il s’établit comme glacier, un métier qui l’avait tenté jadis avant de faire de longues études universitaires. 




Les années passent, Lola grandit, noue une idylle avec un jeune ostréiculteur "aux yeux si bleus que s’y perdait la mer", puis quitte le Bassin pour Paris. Ce qu’il leur reste de famille argentine les y retrouve un jour, le passé revient aussi, avec brutalité, mais sans qu’on verse dans l’horreur des premières pages. 

La prose sensuelle de Frank Andriat fait de ce thriller une chronique douce-amère, et non une tragédie de la vengeance: même s’il y reste "dans l’air des tranches de nostalgie et des parts de tristesse", ce tango d’amour et de mort trouve un lieu de paix dans la ville aux sept ports et nous invite à voir "que la lumière vainc les ombres et que nous sommes tous capables de nous libérer de nos pires démons".

Les Silences de Buenos Aires – Frank Andriat - Éditions F deville - Bruxelles-Paris - 20€  - **
François Rahier




mardi 7 janvier 2025

Double action


Deux séries B, la première avec un tueur collectionneur de tétons et de paupières.  Promesse tenue de quelques frissons avant d'arriver à un coupable digne de confiance: chirurgien, vétérinaire, taxidermiste, charcutier? Cochez la bonne case et rendez-vous au dernier chapitre.


La deuxième prend l'eau. Normal, ça se passe en Bretagne. Alexandre Dumas dont les parents avaient fumé après l'accouchement est un flic de Cap et de paix. Il y a la came et les méchants, il y a les vivants et ceux qui sont en mer. Ça tangue mais Denis Lépée tient la barre.
 


La mort dans l'âme - Lecerf Mathieu – Pocket – 368 pages – 8,60€ - **
Rester le chasseur - Denis Lépée – Pocket – 288 pages – 8,30€ - **
Lionel Germain



lundi 6 janvier 2025

Rallier le parquet


Marc Trévidic n'a pas oublié le juge d'instruction qui lui a sans doute légué les émotions les plus fortes de sa carrière de magistrat. À la façon de McBain, l'auteur propose une chronique passionnante des crimes et délits du  siècle dernier où chaque nuit vient s'échouer sur la grisaille des procédures. 



Celles dont les enquêteurs du Parquet de Paris ont la charge concernent un SDF assassiné, un corps retrouvé dans une poubelle, et les ombres titubant à la périphérie de chacun de ces drames. Avec ce long travelling sur la dérive d'une jeune Marocaine, des souks enchanteurs de Fès jusqu'au salon sordide d'un bordel parisien, la Série-noire donne alors une chair douloureuse au procès-verbal.




Des enquêteurs épuisés, des coupables qui prennent la lumière malgré la noirceur de leurs crimes, le roman qui se referme sur la disparition de la "Huitième section" est un hommage à tous ceux qui en furent les héros anonymes.

Huitième Section - Marc Trévidic – Série noire Gallimard – 270 pages – 20€ - ***  
Lionel Germain