Étudiants et amis, Adrien et Tony trompent l'ennui et leur débine avec des rêves d'avenir qui les conduisent directement en prison. Le pacte d'origine programmé par Tony prévoyait que la séduction d'une riche héritière leur épargnerait les petits jobs auxquels sont contraints les moins fortunés des étudiants. Déjouer le mauvais sort est plus facile en théorie qu'en pratique et ce premier paragraphe baptisé "The Game" est aussi celui d'une amitié trahie.
A sa sortie de prison, Adrien s'est reconverti en barman. Il est désormais le voyageur immobile qui accueille devant son comptoir les naufragés de la nuit. Grand reporter, artiste, capitaine de navire, tous ont embarqué un jour pour un ailleurs qui les privait de l'essentiel: l'amour d'une femme. En secouant son shaker, Adrien éponge les drames dont les contours embrassent un territoire proche de son propre exil intérieur.
"Parce qu'il ne faut pas croire. Boire, c'est le prétexte. La plupart des gens viennent ici pour parler. Et moi, tant qu'ils parlent, je les écoute, et tant que je les écoute, je ne rumine pas. Sauf qu'il y a des jours où les souvenirs ne veulent apparemment pas vous lâcher."
Roman gigogne qui déploie ses ombres dans la lumière ouatée d'un bar de luxe, comme un polar dont la loi du genre menace en permanence la fausse exubérance des conteurs de passage, on s'accroche à la barre cuivrée du comptoir, on se demande avec angoisse jusqu'à quand le personnage d'Adrien résistera aux vents contraires. On connaît la puissance du déterminisme et la faille ténébreuse dans laquelle va sombrer le trop désiré happy-end.
Un petit chef d'œuvre où le tragique de David Goodis se conjugue avec brio au venin de Patricia Highsmith. Irrésistible et passionnant.
Le plus vieux chant du monde - David Agrech – Éditions Do – 424 pages – 23€ - *****
Lionel Germain
Lionel Germain
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